C’est sur ce sujet que commence l’interview de Michelle Bachelet par notre correspondante à Bruxelles, Isabel marques da Silva.
Euronews :
Malgré toutes les promesses et les engagements financiers, comment apporter une vraie différence dans la vie quotidienne des femmes des pays en développement ?
Michelle Bachelet :
Elles font tellement de travail d’entretien non payé – comme aller chercher de l’eau ou du bois pour le feu – que si l’on pouvait leur fournir l‘énergie ou les remplacer pour effectuer ces activités, comme la cuisine ou le chauffage, cela leur ferait économiser beaucoup de temps. Et elles pourraient s’en servir pour donner une meilleure éducation ou s’impliquer dans une activité productive.
Euronews :
Pourquoi y a t-il eu besoin de signer un memorandum entre les Nations Unies et l’Union européenne si vous travaillez déjà ensemble sur les droits des femmes ? Allez-vous travailler sur un sujet particulier en 2012 ? Avez-vous des exemples concrets de plus grande coopération à me donner ?
Michelle Bachelet :
Nous avons travaillé ensemble dans le passé mais nous avons besoin d‘étendre cette relation et la rendre un peu plus mondiale, un peu plus exhaustive, pour travailler moins en parallèle mais plus ensemble. Bien-sûr quelqu’un pourrait venir ici, parler à un commissaire et obtenir un projet. Mais nous voulions quelque chose de plus. Nous voulons généraliser et populariser l‘égalité des sexes au sein des activités de la Commission européenne, quand elle s’occupe de gouvernance et de participation politique, quelle est la place des femmes ? Si vous vous occupez de développement économique, comment les projets vont inclure le sort des femmes, les ressources pour les femmes…
Euronews :
Et cela signifie t-il aussi plus d’argent ? Vous avez du lever 500 millions d’euros dans votre première année et ensuite vous avez voulu doubler cette somme. Avez-vous été capable, lors de votre première année de mandat, de lever cet argent ?
Michelle Bachelet :
Pour cette année nous voulions 300 millions de dollars, nous en avons déjà 235, donc nous devons continuer cette levée de fonds. Mais nous avons besoin de beaucoup plus d’argent et cet objectif de 300 millions a été décidé parce que nous savons que la situation est difficile. Nos principaux donateurs jusqu‘à maintenant ont été principalement des pays européens comme l’Espagne mais bien-sûr leur situation est compliquée et ils doivent faire beaucoup d’ajustements. Les pays nordiques pour leur part sont des partenaires fantastiques et ils l’ont toujours été.
Euronews :
Et pas les Etats-Unis ?
Michelle Bachelet :
Eh bien, les Etats-Unis nous soutiennent avec de l’argent, mais ils ne sont pas notre plus gros donateur. L’australie est un donateur important, le Japon, la Corée aussi…
Euronews :
Donc, vous êtes optimistes ?
Michelle Bachelet :
Non, non, non… Nous faisons de mieux en mieux mais ce n’est pas assez. Nous avons besoin de beaucoup plus d’argent ! Pensez que sur les sept milliards d’humains sur la Terre, trois milliards et demi sont des femmes, et 70% d’entre elles vivent dans la pauvreté.
Euronews :
Pensez-vous que les partis extrémistes qui demandent l’instauration de la Charia menacent le Printemps arabe ? Quel est le rôle des femmes dans ce mouvement démocratique très important ?
Michelle Bachelet :
Nous avons tous vu avec le printemps arabe qu’il pouvait représenter une opportunité importante pour l’avancement des droits de femmes. Mais on ne peut pas parler de la même chose pour tous les pays, qui ont des situations très différentes. En Tunisie, après les élections, 26% des gens qui vont prendre des décisions sont des femmes. Nous voudrions être à plus de 30%, mais c’est déjà pas mal. C’est mieux que dans certains pays européens ! mais si on prend l’Egypte d’un atre côté, le taux est très faible : 1,8% des élus sont des femmes. Il nous fauit travailler avec les partis, avec les leaders religieux. Nous avons fait des choses très bien dans beaucoup de parties du monde.
Euronews :
En parlant de leaders religieux, parlons d’une autre partie du monde, l’Amérique latine en l’occurence, où les choses sont très contrastées. Au Brésil, au Costa Rica, en Argentine, beaucoup de femmes ont le pouvoir, mais il y a aussi beaucoup de violence faite aux femmes, par exmple avec l’avortement illégal. Quel est le dialogue avec les dirigeants de l’Eglise ?
Michelle Bachelet :
C’est la même chose qu’avec d’autres dirigeants : il s’agit de trouver un terrain d’entente pour améliorer les droits des femmes, et leur assurer l’accès aux services de gynécologie et d’obstétrique, ou de planning familial par exemple. Quand on voit aujourd’hui que le taux de mortalité maternelle dans le monde est tel qu’une femme meurt toutes les minutes en faisant la chose la plus normale qui soit, c’est à dire donner naissance à un enfant…
Euronews :
Oui mais par exemple, la présidente du Brésil, Dilma Rousseff, s’engagée à aller sur ce terrain, mais sous la pression de l‘église catholique, elle…
Michelle Bachelet :
Oui je sais, mais nous devons travailler avec elle et lui montrer combien il est important que les religions soient en faveur de la vie. Par exemple : il y a aujourd’hui 260 millions de femmes et de jeunes filles qui veulent avoir accès à la contraception, ce qui est impossible pour elles pour l’instant. Je peux vous assurer que si nous pouvions leur fournir des moyens de contraception, quels qu’ils soient, nous réduirions de façon drastique la mortalité de la mère à l’accouchement et après l’accouchement.
Euronews :
C’est un domaine que vous connaissez bien parce que vous venez du mileu médical. Mais je crois savoir que vous avez aussi fait des études militaires, et que vous avez été ministre de la Défense avant d‘être présidente du Chili. J’ai lu que vous vouliez plus de femmes policiers et plus de femmes gardiens de la paix ou médiateurs. Croyez-vous que des femmes avec des armes puissent faire une différence quand il s’agit de violence et de guerre ?
Michelle Bachelet :
Je le crois, mais il y a aussi des preuves : je pense ainsi que les femmes sont de vraies constructrices de paix, des vraies faiseuses de paix, et j’ai constaté dans beaucoup de situations internationales que les femmes peuvent apporter rationalité et paix dans beaucoup de discussions. Dans beaucoup d’endroits du monde les femmes sont malheureusement considérées comme des citoyens de seconde zone. Alors les voir porter une arme ou exercer un poste à responsabilité, ou être des entrepreneurs ou des dirigeants politiques, donne un sentiment de force et donne envie de soutenir les femmes et d’espérer pour elles.
Euronews :
Mais quoi qu’il en soit, à l’exception des pays nordiques, il y a toujours moins de 25% de femmes dans les gouvernements, les parlements, ou dans les conseils d’administration. Croyez-vous aux quotas ?
Michelle Bachelet :
Oui, complètement ! D’abord, la participation des femmes en politique est la lacune la plus importante à combler en termes de droits des femmes. Ce n’est pas seulement “Il nous faut plus de femmes”, c’est “il nous faut plus de femmes car elles ont une valeur ajoutée” qu’il faut dire. Parce que quand les économistes et les hommes d’affaire pensent aux moyens de redresser l‘économie, ils parlent de diversité, de nouveauté, de créativité. Si vous mobilisez des femmes et des hommes de différentes régions du monde, le résultat n’en sera que meilleur.
Euronews :
Madame Michelle Bachelet, au nom d’Euronews, merci.