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S’agit-il de tombeaux ? Les archéologues l’espèrent, puisque, à ce jour, aucune sépulture royale n’a été trouvée dans l’une des plus importantes métropoles de Méso-Amérique, abandonnée mystérieusement entre le VIIe et le VIIIe siècle de l’ère chrétienne.
L'ENTRÉE DU TUNNEL Ñ
ENTRÉE DANS « L'INFRAMONDE, RÉGION SACRÉE DES MORTS »
Une immense tente blanche se dresse au pied d’une pyramide, non loin de l’entrée principale de ce site archéologique, classé Patrimoine mondial par l’Unesco. A l’intérieur, des amas de pierres, des casques de chantier, une grande poulie…
« Nous avons mis des années à retirer 9 tonnes de terre et de pierres dans cette galerie qui symbolisait l’entrée dans l’inframonde, région sacrée des morts », se félicite l’archéologue mexicain Sergio Gomez, en empruntant un escalier métallique qui descend à 15 mètres de profondeur. Le chercheur de l’Institut national d’anthropologie et d’histoire (INAH) suspecte l’existence de tombes au fond du conduit qui mène au centre du temple du Serpent à plumes, symbole du pouvoir et de la fertilité. La portée de cette découverte pourrait être colossale.
Par le passé, les archéologues ont déjà trouvé des sépultures de hauts dignitaires à Teotihuacan, ainsi que des ossements d’humains qui servaient d’offrandes sacrificielles lors de rituels, mais jamais la dépouille mortelle d’un prince ou d’un roi. « Si nos hypothèses se confirmaient, ce serait un événement dans le monde de l’archéologie qui permettrait de mieux comprendre le système de gouvernement des Teotihuacanos », annonce M. Gomez.
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UN « CHEMIN SOUS LA TERRE »
C’est un peu par hasard que l’archéologue et sa collègue française, Julie Gazzola, ont mis au jour, le 3 octobre 2003, une grotte artificielle. « Alors que nous réalisions la restauration du temple du Serpent à plumes, dont les sculptures s’écroulaient, des pluies diluviennes ont révélé un trou devant l’escalier de la pyramide dont nous pensons qu’il s’agissait d’un observatoire astronomique », raconte-t-il.
Accroché à une corde, M. Gomez descend à l’intérieur de ce qu’il pense être un puits naturel. Mais une faille laisse apercevoir une galerie bloquée par des éboulis. L’existence du tunnel est vite confirmée par un géoradar de l’Université nationale autonome du Mexique (UNAM). Deux chambres latérales sont repérées à 76 mètres. « Mais seul un petit robot pouvait évaluer les conditions d’exploration dans ce conduit bouché délibérément entre 250 et 300 après J. -C. », souligne M. Gomez.
Six ans plus tard, le projet Tlalocan (« chemin sous la terre » en langue nahuatl) est lancé par l’INAH en collaboration avec des ingénieurs en robotique industrielle de l’Instituto politecnico nacional, à Mexico. Ces derniers ont conçu un premier robot, baptisé Tlaloque I. Le véhicule (25 cm de haut, 40 cm de large), télécommandé, est doté de quatre roues motrices et de deux caméras infrarouges qui pivotent sur 360 degrés. « C’était la deuxième fois dans l’histoire de l’archéologie qu’un robot était utilisé pour des fouilles après celles de la pyramide de Kheops, en Egypte », commente M. Gomez avec fierté.
Curieusement, les batteries d’ordinateurs se déchargent très vite. « Ce mystère a été levé par un physicien nucléaire qui a détecté des doses anormalement élevées de radon affectant nos appareils électroniques », raconte M. Gomez. Ce gaz très toxique et cancérigène est issu de la décomposition de l’uranium. Il se rencontre souvent en explorant des pyramides fermées depuis des siècles. « Mais là, le radon était très concentré, comportant plus de 900 particules par mètre cube quand la norme internationale est à 200. » Depuis, trois énormes extracteurs permettent aux archéologues de travailler même si les conditions restent difficiles.
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TLALOC II-TC, UNE MERVEILLE DE TECHNOLOGIE
Le robot Tlaloc II TC qui a exploré la dernière tranche du tunnel en avril 2013.
A une trentaine de mètres du fond du tunnel, la boue, l’humidité et le dénivelé bloquent l’avancée de Tlaloque I. Une seconde version plus perfectionnée, Tlaloc II-TC, prend le relais en avril 2013. Capable de se déplacer sur des reliefs très accidentés, son véhicule tout-terrain se faufile dans cette cavité, inaccessible pour l’homme.
Mieux, le dispositif transporte un petit « robot-insecte» indépendant qui s’avance sur quatre pattes, en les dépliant telle une araignée. Equipée d’une caméra infrarouge, d’un drone vidéo et d’un scanner laser, cette merveille de technologie fournit des cartes détaillées en trois dimensions du tunnel. « Nos hypothèses initiales portaient sur la présence d’une seule chambre funéraire au fond du conduit, mais le robot nous a fait la surprise d’en détecter trois », se félicite M. Gomez.
L’air est chaud et humide à l’intérieur de la galerie. Des gouttelettes de condensation se forment sur le plafond voûté et les murs en tuf volcanique, soutenus par des poutres en acier pour éviter les éboulements. « Les habitants de Teotihuacan avaient construit 25 murs successifs de 3 mètres d’épaisseur chacun sur toute la longueur du tunnel pour en bloquer l’accès, précise M. Gomez en marchant délicatement sur des planches posées sur le sol boueux. Nos études ont révélé que cette galerie a été fermée à deux reprises. Notre hypothèse est que les Teotihuacanos ont rouvert le tunnel pour y déposer des corps ou quelque chose d’important au sein des trois chambres du fond pour en fermer définitivement l’entrée. »
SCULPTURES, BIJOUX ET MASQUES INCRUSTÉS DE CRISTAUX
Sans compter les sculptures en forme de tête d’oiseau, les perles de jade, les récipients en ambre et autres masques incrustés de cristaux de roche découverts en dégageant le conduit. M. Gomez précise que « ces offrandes sont plus nombreuses et plus précieuses à l’approche du fond du tunnel. Cela nous amène à supposer que des personnalités de haut rang, des prêtres ou même des souverains, sont descendues dans la galerie pour réaliser probablement des rituels funéraires ».
A une quinzaine de mètres, une poudre minérale recouvre les parois du conduit. « C’est un mélange de magnétite, de pyrite et d’hématite, précise M. Gomez. Eclairé par une torche, il devait donner un éclat particulier au lieu, simulant le ciel étoilé et la mer à la base de la création du monde. » De quoi confirmer les hypothèses sur la cosmogonie des habitants de Teotihuacan. « Les Teotihuacanos considéraient le monde en trois parties, l’une céleste, l’autre terrienne et la troisième souterraine. Le tunnel, orienté d’ouest en est, est une métaphore d’une grotte sacrée menant à l’inframonde, lieu sacré rempli de richesses symboliques. »
Des centaines de sphères métalliques, mesurant entre 2 et 25 cm de diamètre, ont été découvertes dans l’une des deux chambres latérales situées à 76 mètres. Tapissant les murs, le plafond et le sol, ces objets en argile sont recouverts d’un matériau jaune appelé « jarosite ». « Ce minerai, formé par l’oxydation de la pyrite, brillait sans doute avec beaucoup d’éclat. Les sphères pourraient représenter des gouttes d’eau ou des étoiles plus importantes que celles symbolisées par la poudre minérale retrouvée ailleurs. »
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UN MONDE SOUTERRAIN, RICHE DE DÉCOUVERTES « EXCEPTIONNELLES »
Coupe transversale du tunnel sous la pyramide du serpent à plumes, réalisée avec un scanner 3D.
A environ 30 mètres de son extrémité, le tunnel s’enfonce davantage sous la nappe phréatique à l’approche du centre du temple du Serpent à plumes. A la surface, l’édifice massif se dresse sur une immense place de dizaines de milliers de mètres carrés, baptisée la « Citadelle ».
« Cette grande esplanade sacrée a été construite pour être régulièrement inondée par les pluies, soutient M. Gomez. Le sanctuaire représentait un scénario rituel permettant aux habitants de revivre le mythe de la création du monde. La pyramide représente la montagne qui émerge de la mer à l’origine de l’humanité. Dessous, une grotte artificielle conduit à l’inframonde. Ce monde souterrain a sa propre géographie avec un ciel, des rivières et des lacs qui communiquent entre eux jusqu’à la mer. » Reste à connaître mieux sa fonction sacrée pour les Teotihuacanos.
Au bout du tunnel, les trois chambres détectées pourraient apporter des éléments de réponse aux interrogations des archéologues. « Peut-être allons-nous trouver les restes de ceux qui ont régné sur Teotihuacan, qui nous permettraient de comprendre qui ils étaient et comment ils gouvernaient », espère M. Gomez. Les dirigeants morts étaient peut-être enterrés là lors d’un rituel légitimant le pouvoir de leur successeur.
« Si cette hypothèse se confirmait, cela prouverait que la transmission du pouvoir se réalisait non pas sur terre, mais dans l’inframonde. D’autant que les analyses ADN de plusieurs corps pourraient révéler aussi que le pouvoir était héréditaire chez les Teotihuacanos. Pour l’heure, les possibles tombes restent obstruées par des tonnes de terre et de sédiments. »
« Une fois mises au jour, les dépouilles mortelles et les offrandes devront être analysées durant plusieurs mois », précise M. Gomez, qui confie néanmoins avoir déjà fait une découverte « exceptionnelle ». Laquelle ? L’archéologue garde le silence, car son Institut national d’anthropologie et d’histoire se réserve l’exclusivité de cette annonce, prévue à la fin de l’année 2014.