[ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ]
Un projet pharaonique compte tenu des conditions extrêmes de travail et de vie, mais aussi au regard des incroyables nouveaux enjeux scientifiques générés par Alma. Cet observatoire permet d'ouvrir une nouvelle fenêtre sur nos origines cosmiques à la fois dans l'espace et dans le temps.
« Un projet à 1,4 milliard de dollars », détaille pour La Tribune le directeur d'Alma depuis le 1er avril 2013, le Français Pierre Cox.
Pourquoi Chajnantor ?
Ce type de télescopes étudiant le rayonnement millimétrique et submillimétrique doit être construit sur des sites très élevés et très secs. L'observatoire d'Alma ne pouvait atteindre toute sa performance qu'à cette altitude, dans cet endroit perdu, hostile à l'homme, situé à plus de 50 km du premier village, San Pedro de Atacama, où se pressent de nombreux touristes venus du monde entier pour visiter les sites archéologiques. L'air y est sec, très sec, peut-être l'endroit de la Terre où il est le plus sec. Une condition sine qua non pour satisfaire les demandes plus exigeantes les unes que les autres des astronomes du monde entier.
Là, à Chajnantor, ils « y trouvent des conditions inégalées pour les observations, mais cela exige de faire fonctionner un observatoire de pointe dans des conditions extrêmes », précise Laura Ventura, la porte-parole de l'Observatoire européen austral (ESO) au Chili, qui exploite l'observatoire d'Alma.
Car à 5.100 mètres d'altitude, tout est beaucoup plus compliqué : la respiration est difficile, les jambes cotonneuses et la tête lourde.
[ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ]
Le nec plus ultra des observatoires
Ces antennes révolutionnaires ont pour mission de traquer en meute la naissance d'une étoile et d'une galaxie dans l'univers froid, telles qu'elles étaient il y a plus de 10 milliards d'années. Et pourquoi pas la vie...
Cet univers opaque et obscur à la lumière visible s'est révélé « transparent dans la partie millimétrique et submillimétrique du spectre électromagnétique » émis par ces antennes ayant un diamètre compris entre 7 et 12 mètres, explique l'ESO.
Elles travaillent en cohérence, comme une seule immense parabole virtuelle de 165 km de diamètre, donnant à Alma une formidable capacité de zoom. Cet univers froid qui était jusqu'ici très énigmatique pour les astronomes, commence à révéler quelques-uns de ses secrets.
« Techniquement, on peut aujourd'hui tout observer avec Alma. Y compris le Soleil et le système solaire », explique l'astronome système, Denis Barkats, basé à l'OSF (Operations Support Facility), le camp de base très confortable de l'observatoire, situé à 2900 mètres d'altitude et à 28 km du plateau de Chajnantor.
Une véritable tour de Babel où se côtoient 18 langues. Pour le compte d'Alma, Denis Barkats est chargé de traiter les demandes des astronomes qui sont sélectionnées.
« Quand les antennes sont disponibles, elles sont encore plus performantes que ce que les concepteurs en attendaient », souligne-t-il. Le travail de reconstitution des images est réalisé par le supercalculateur installé à Chajnantor et conçu pour Alma.
Il est aussi puissant que le plus performant des supercalculateurs généralistes. Il est capable d'exécuter jusqu'à 17 quadrillions d'opérations par seconde...
Ce bond technologique fait d'Alma la nouvelle Mecque de l'astronomie mondiale
Les 32 antennes géantes actuellement en service sont capables de scruter l'univers par tous les temps avec une vision dix fois plus précise que celle du célèbre télescope spatial Hubble... qui a pris un coup de vieux depuis la mise en service d'Alma, inauguré en mars 2013. L'observatoire a reçu 1382 demandes pour le deuxième cycle d'observation de dix-sept mois à partir de juin prochain. Soit un total de 7.314 heures d'observation.
« C'est un succès retentissant, qui démontre la très grande attente et le fort intérêt de la communauté scientifique pour Alma », estime Pierre Cox.
Malheureusement, il ne pourra offrir que 2000 heures d'observation, soit 100 campagnes de 20 heures.
« Entre 10% et 15% des demandes seront acceptées», explique Pierre Cox.
Des propositions qui vont être analysées par 80 experts répartis dans 11 comités.
L'observatoire sera 100% opérationnel en 2015. En juin 2014, 45 antennes seront en service et entre 50 et 55 à la fin de 2014, précise Pierre Cox.
« Nous sommes dans la courbe d'apprentissage », précise-t-il.
Clairement, Alma est dans une phase de transition. Sur un total de 66 antennes, 25 sont fournies par l'Europe. Des antennes fabriquées par un consortium dirigé par Thales Alenia Space (TAS), la filiale spatiale de Thales (67%), et l'italien Finmeccanica (33%), assemblées à l'OSF puis transportées à 4 km/h par deux monstres sortis de l'univers de Mad Max sur une piste aussi large qu'une autoroute. Deux véhicules de 28 roues, pesant 200 tonnes et baptisés Otto et Lore.
« Construire des paraboles aussi performantes et impressionnantes, avec leurs 12 mètres de diamètre, a été un véritable défi, explique le vice-président de l'optique, de l'observation et des sciences de TAS, Vincenzo Giorgio. Il ne faut pas oublier que ces paraboles devront être capables de garantir un pointage parfait des antennes pour des décennies à venir. »
Les réflecteurs paraboliques sont ainsi réalisés à partir de panneaux en nickel recouverts d'une couche de rhodium et d'une base en fibre de carbone renforcée avec du plastique. La surface de réflexion des paraboles doit être d'une extrême précision, de l'ordre du 25/1000e de millimètre et doit pouvoir résister à toutes les conditions climatiques (vents violents, écarts de températures extrêmes) ou autres contraintes extérieures.
En clair, à l'extrême dureté des conditions climatiques du plateau de Chajnantor. Au final, les antennes de TAS sont dix fois plus performantes que celles fabriquées par les États-Unis et le Japon, selon Denis Barkats. Pourquoi ? TAS est allé audelà du cahier des charges. D'où des antennes très innovantes.
FOCUS Un exemple de partenariat international
Quand les principaux blocs politiques du monde entier s'unissent, cela donne un très beau projet scientifique comme Alma (Atacama Large Millimeter / submillimeter Array), géré par l'Observatoire européen austral (ESO).
Cet observatoire très haut perché est un partenariat unique entre l'Europe, l'Asie et l'Amérique du Nord, en collaboration avec le Chili. Alma est financé en Europe par l'ESO, en Asie par les National Institutes of Natural Sciences du Japon, en coopération avec l'Academia Sinica de Taïwan et, en Amérique du Nord, par la US National Science Foundation en coopération avec le Conseil national de Recherche du Canada.
L'Europe et les États-Unis ont financé chacun 37,5% du projet, et l'Asie a pris en charge les 25% restants. La France est partie prenante du programme Alma à travers l'ESO, financé à 17% par Paris. Les chercheurs français ont été impliqués dès le départ dans ce projet, tant pour identifier les besoins techniques que pour définir les objectifs scientifiques prioritaires.