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mardi 12 août 2014

LES PREMIERS CHOCS DE LA GUERRE NAVALE

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PAPEETE APRÈS LE BOMBARDEMENT ALLEMAND, EN SEPTEMBRE 1914. PHOTO FONDS TONY BAMBRIDGE/COL. TEVA SHIGETOMI 

Les croiseurs Scharnhorst et Gneisenau (du nom de deux généraux prussiens des guerres napoléoniennes), dont les canons de 210 millimètres ont ouvert le feu sur la Polynésie française, sont alors parmi les fleurons de la flotte allemande. Cela fait deux décennies que la construction d’une puissante marine de guerre, capable de rivaliser avec la Royal Navy britannique, figure au cœur des ambitions mondiales de l’Allemagne du Kaiser Guillaume II, lui-même pris de passion pour les cuirassés. Une puissante association, la Ligue navale (Flottenverein), y compte près de 1 million de membres à la veille de la Grande Guerre, et contribue à soutenir, dans l’opinion, la coûteuse course aux armements ainsi que les entreprises coloniales qui y sont associées.

Car pour être une grande puissance maritime, on doit disposer de bases et de points d’appui pour le ravitaillement des navires, comme le port chinois de Qingdao (longtemps orthographié Tsing-Tao), dont l’Allemagne obtient la concession en 1898, participant ainsi au dépècement de la Chine. Dès 1884, les premières étapes d’une présence allemande dans le Pacifique avaient été posées, avec la prise de possession des îles Bismarck ainsi que d’une partie de la Nouvelle-Guinée et des îles Salomon. Dans les années qui suivent, la compétition croissante des impérialismes accélère encore les partages territoriaux et les rivalités sur les océans, faisant du moindre atoll un enjeu géopolitique. C’est alors que le réseau des bases allemandes est complété par l’acquisition de la petite île de Nauru en 1888, puis des Samoa en 1899.

Les premières semaines de la guerre vont pourtant révéler toute la fragilité de cet édifice et la solitude de l’Allemagne dans la région. Français et Britanniques y disposent en effet d’importantes possessions et d’une conséquente présence militaire, grâce aux dominions d’Australie et de Nouvelle-Zélande en particulier, entrés en guerre avec le Royaume-Uni le 4 août 1914. Il faut y ajouter l’appui du Japon, qui adresse un ultimatum à Berlin dès le 15 août, afin d’obtenir ses possessions en Chine, avant de déclarer la guerre le 23 août. Dans ces conditions, face à des adversaires si nombreux dans un espace si lointain, défendre ses territoires du Pacifique devient inenvisageable pour l’Allemagne. Car son isolement diplomatique est redoublé par un facteur peu connu, mais qui a toute son importance dans une guerre mondiale : la perte de ses capacités de transmission.

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 LA FLOTTE DE SPEE À VALPARAÍSO. PHOTO WIKIPèDIA


Six heures à peine après la déclaration de guerre, dans la nuit du 4 au 5 août 1914, le navire britannique CS Alert navigue en mer du Nord afin de repêcher et de sectionner les cinq câbles télégraphiques et téléphoniques sous-marins assurant les communications entre l’Allemagne et le reste du monde. Dans les semaines qui suivent, c’est l’ensemble du dispositif de communication allemand qui est détruit dans le Pacifique : les postes de TSF situés sur les îles de Yap et Nauru sont détruits par bombardements (9 et 12 août), et le câble sous-marin reliant Qingdao à Shanghaï est lui aussi coupé.

Une semaine après le début de la guerre, il est devenu impossible pour l’escadre d’Extrême-Orient, rassemblée à la hâte par von Spee aux îles Mariannes, de communiquer avec la métropole. Sa situation est rendue encore plus précaire par l’incertitude pesant sur ses réserves en charbon, alors que les croiseurs propulsés par la vapeur n’ont qu’une quinzaine de jours d’autonomie : il ne faut pas songer à rejoindre, vers l’ouest, le port d’attache de Qingdao (qui capitulera le 7 novembre 1914 face aux Britanniques et aux Japonais), ni compter sur les navires d’approvisionnement qui ont été arraisonnés dans les ports australiens. Quant aux dépôts se trouvant sur les Samoa, ils seront perdus avec l’arrivée des troupes néo-zélandaises qui prennent possession de l’archipel le 29 août. Le constat est cruel : tributaire, comme toutes les marines de guerre de l’époque, de la radio et du charbon, la flotte allemande n’a pas les moyens logistiques de ses ambitions mondiales.

Il reste au moins un avantage à l’amiral von Spee : la position de son escadre est encore inconnue de ses adversaires. Tout en détachant le croiseur léger Emden pour mener dans l’océan Indien une guerre de course contre les navires de commerce britanniques (il en coulera 19 avant de s’échouer aux îles Cocos, au sud-ouest de Java), il peut espérer rejoindre l’Allemagne en fuyant vers l’est à travers le Pacifique, pour contourner le cap Horn et remonter l’Atlantique. Il faudra charbonner et s’avitailler en chemin, sans se faire repérer des navires ennemis. Le 19 août, la flottille est à Eniwetok, aux îles Marshall, où on recharge les soutes ; on espère faire de même aux îles de la Société en septembre. Voilà pourquoi Papeete, et son précieux dépôt de 5 000 tonnes de charbon, pouvait constituer un objectif. Et c’est assurément la décision d’y mettre le feu, prise par le lieutenant de vaisseau Destremau alors chargé de la défense de Tahiti, qui a préservé l’île d’un débarquement.


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AU COURS DE CET AFFRONTEMENT, L'ESCADRE DES INDES OCCIDENTALES DE LA ROYAL NAVY COMMANDÉE PAR LE CONTRE-AMIRAL CHRISTOPHER CRADOCK, RENCONTRA ET FUT BATTUE PAR LES FORCES SUPÉRIEURES DE L'ESCADRE D'EXTRÊME-ORIENT DE LA MARINE IMPÉRIALE ALLEMANDE, AUX ORDRES DU VICE-AMIRAL MAXIMILIAN VON SPEE. SOURCE WIKIPEDIA


Désormais repéré par les Franco-Britanniques, von Spee poursuit cap à l’est, en direction de la côte américaine, arrivant à l’île de Pâques le 12 octobre, puis en vue du Chili, près de Coronel, où l’attendent des vaisseaux anglais. La bataille s’engage au détriment de ces derniers, dont la silhouette se découpe trop nettement sur l’horizon, le 1er novembre 1914 au soleil couchant. La précision du tir des croiseurs allemands emporte rapidement la décision : leurs homologues britanniques, de construction un peu plus ancienne, Good Hope et Monmouth, sont envoyés par le fond avec leurs 1 400 marins, dans ce qui constitue une défaite navale inattendue, la plus lourde du pays depuis plus d’un siècle. A l’inverse, dans le port de Valparaiso, le triomphe des marins allemands est fêté par leurs compatriotes émigrés au Chili. Mais quelques semaines plus tard, le 8 décembre, c’est devant les îles Falkland, dans l’Atlantique sud, qu’une autre escadre britannique intercepte les navires de von Spee au terme de leur longue course, et les coule, mettant fin à cette première phase mouvementée du conflit sur les mers.

Si ces parcours lointains ponctués de rencontres décisives entre grands bâtiments de surface correspondent assez bien à ce que le grand public imaginait avant-guerre, les batailles navales se feront en réalité bien rares dans les années suivantes. Tout comme, sur le front ouest, la meurtrière guerre de mouvements des premières semaines laissera place à l’enfermement dans les tranchées, la guerre navale se résumera bientôt au lent étranglement des puissances centrales par le blocus des Alliés, à peine interrompu par le combat incertain du Jutland (1916). Sa flotte de haute mer rendue impuissante, l’Allemagne fera le choix, lourd de conséquences, de la guerre sous-marine.

Quant à l’aire Pacifique, la guerre conduit à de profondes reconfigurations : de petits contingents, comme ceux  des Fidjiens et des Kanaks, rejoignent le front ouest du côté britannique ou français, non sans difficultés (révolte de 1917 en Nouvelle-Calédonie), et certaines populations insulaires sont très violemment touchées par l’épidémie de grippe de 1918-1919.

Sur le plan géopolitique, le conflit ouvre une nouvelle séquence de rivalités : sur fond de tensions raciales et de peur des « Jaunes » chez les Anglo-Saxons, les anciennes possessions allemandes dans la région font l’objet des appétits opposés du Japon, de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande mais aussi des Etats-Unis, que le règlement de paix, ici comme ailleurs, parvient difficilement à concilier.