Quel doit être le mérite d’un Nobel de littérature?
AUGUSTO PINOCHET ACCUEILLE JORGE LUIS BORGES |
ODYSSÉAS ELÝTIS |
À ce type de récriminations, Borges en a rajouté d’autres, comme lorsqu’il parla de son voyage au Chili et du bon accueil qu’on lui manifesta : «Je savais que je mettais en jeu le prix Nobel lorsque je me suis rendu au Chili et que le Président….Comment s’appelle-t-il? (le journaliste qui l’interroge lui souffle : “Pinochet”). Oui, Pinochet m’a décoré. J’apprécie beaucoup le Chili et j’ai compris que c’est la Nation Chilienne, mes lecteurs chiliens qui me décoraient»… Pourtant chacun savait que la mémoire de Borges était prodigieuse. Cette manière de présenter les choses, comme s’il ne se souvenait plus de l’exécuteur d’Allende, est assez attristante ; terminer en affirmant que c’est le peuple chilien, opprimé par les militaires aux ordres de Washington, qui l’a décoré, n’est pas plus reluisant…
RAMÓN MARÍA DEL VALLE-INCLÁN |
Des considérations très étranges
La manière dont Borges a parlé de la langue est aussi une cause probable de refus du Nobel. L’auteur mexicain Nipongo propose plusieurs exemples :
Dans le livre « Borges, el palabrista » (Ed.Letra Viva, Madrid, 1980), celui-ci explique : «L’Espagnol est une langue moche. On trouve des mots splendides dans presque toutes les langues. Par exemple « cauchemar », « nightmare », « alptram », « íncubo». En espagnol on dit pesadilla, comme si vous disiez “petite lourdeur”. C’est idiot. Mais il nous faut accepter ce mot car nous n’en avons pas d’autres». Le jugement est trop rapide. Affirmer que c’est idiot d’utiliser le mot pesadilla prouve une certaine ignorance. Il suffit de consulter le vénérable dictionnaire du XVIIIème siècle, publié en 1737, pour apprendre que « Pesadilla » signifie quelque chose qui opprime le cœur, dont la cause se trouve dans un rêve qui afflige ou encore à cause d’un repas trop plantureux. Le mot pesadilla provient d’une ancienne expression mampesadilla qui décrivait, ironiquement, la main lourde qui pèse sur le cœur du dormeur et l’angoisse.
– Dans le même ouvrage, Borges se permet d’affirmer que l’Italien et l’Espagnol sont identiques. Il explique: « J’ai dit à Battiestesa qu’il avait commis une erreur en traduisant la Divine Comédie en Espagnol, car cela entretient la croyance que l’Italien et l’Espagnol sont deux langues distinctes. Alors que ce sont deux variantes très proches d’une même langue mère, le latin». Pourtant, les difficultés semblent multiples lorsqu’on entre dans les détails. Par exemple, une bière blonde se dira cerveza clara en espagnol et birra blonda en italien. Un jus d’orange, jugo de naranja en espagnol mais spremuta di arancia en Italien.
Bref, on se demande bien pourquoi il fallut traduire la Divine comédie de l’italien à l’espagnol, tant les deux langues sont en effet semblables…
Cela explique, selon notre auteur Mexicain, le refus du Nobel à Borges. Trente ans après, on se permettra d’y ajouter une autre raison. Pour faire désigner une personne comme prix Nobel ou comme lauréat du prix de la banque de Suède en mémoire d’Alfred Nobel, il existe toute une organisation de lobbying, c’est-à-dire en réalité une armée de maîtres chanteurs, de corrupteurs au service d’une coterie qui espère que le prix Nobel servira de locomotive à sa propagande. La personne qui obtient le prix est donc finalement sans importance, puisqu’elle sert de fanion ou d’étendard, en général, aux niaiseries occidentales. Borges était peut-être trop indépendant. Il savait que les sbires de Washington – Kissinger notamment – avaient organisé le coup d’État au Chili et en Argentine, mais peut-être n’avait-il pas compris que les médias qui éructaient contre le coup d’État étaient aussi à la solde des USA.
On sait désormais que le critère pour octroyer le prix Nobel est double : le lauréat doit être servile à l’égard des lobbys les plus puissants et en même temps utile, idéologiquement, à l’époque de la remise du prix. Borges n’a jamais rempli les deux conditions simultanément.