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HWANG SOK-YONG |
Propos recueillis par Philippe Pons (Séoul, envoyé spécialL’écrivain, qui a combattu la dictature sud-coréenne, entrelace dans son œuvre petite et grande histoire. Partisan d’un rapprochement avec Pyongyang, le septuagénaire évoque son engagement dans la gauche pacifiste
L’ÉCRIVAIN SUD-CORÉEN HWANG SOK-YONG, LE 16 MARS 2016, À PARIS. PHOTO JOEL SAGET |
COUVERTURE MONSIEUR HAN |
Pourquoi ce titre « Le Prisonnier » ?
Prisonnier derrière des barreaux, je l’ai été. Je le suis toujours : du temps, de mon passé, de la division du pays…
Vous avez dit un jour : « Comment aurais-je pu ne pas être engagé : moins qu’un choix, ce fut mon destin ». Quand a commencé votre engagement ?
L’ÉCRIVAIN HWANG SOK-YONG EN MARS 2016 PHOTO JOEL SAGET |
COUVERTURE PRINCESSE BARI |
Mais allait commencer ce qu’on a baptisé le «miracle économique » : trente ans d’un développement effréné qui a sorti le pays de l’ornière de la pauvreté…
JEON TAE-IL |
C’est ce lourd tribut à la croissance que j’ai essayé de décrire dans mon récent roman Au soleil couchant (Editions Philippe Picquier, 2017) à travers la réflexion sur sa vie d’un architecte qui fut le serviteur de ce capitalisme sauvage. Il faut se souvenir aussi que cette « dictature pour le développement » fut féroce : chasse impitoyable aux dissidents, arrestations, tortures, enlèvements, disparitions inexpliquées dans des camps de rééducation….
Même la grande figure de l’opposition, Kim Dae-jung (qui deviendra président en 1998), fut enlevée à Tokyo et faillit être jetée à la mer si Washington n’était pas intervenu in extremis. Des étudiants dissidents qui étaient à l’université en France furent également enlevés.
Du temps de la dictature de Park Chung-hee (1961-1979), comment s’organisaient les opposants ?
Une partie d’entre eux se lança dans l’opposition souterraine en constituant des réseaux de résistance dans le mouvement ouvrier. Une autre a cherché à éveiller la conscience populaire par des pièces de théâtre, notamment sur les campus, des rencontres et des débats clandestins. C’est cette forme d’action que j’avais choisie. J’étais sous surveillance des services de sécurité et de la police de mon quartier ; je devais chaque mois faire un compte rendu de mes activités.
Puis, comme beaucoup de mes camarades j’ai dû faire mon service militaire et je fus envoyé au Vietnam, où l’armée sud-coréenne était engagée du côté américain. La division du Tigre et celle du Cheval blanc ont laissé des souvenirs atroces de massacres de populations civiles. Heureusement, je n’avais pas été affecté à ces unités. Il reste que j’étais là, du côté de ceux qui massacraient. Même si on n’est qu’un témoin, on reste responsable.
LE ROMANCIER VIETNAMIEN BẢO NINH PHOTO FLORENTINE FILMS |
Puis, vous revenez en Corée du Sud. Six ans plus tard, Park Chung-hee est assassiné par le chef des services de renseignements et un autre général, Chun Doo-hwan, prend le pouvoir. En mai 1980, à Gwangju (sud-ouest), des unités d’élite chargent la foule à la baïonnette, tirent sur les manifestants et tuent plus de 200 personnes. Gwangju reste une blessure ?
HIROSHI NOMA (1915 - 1991) |
Nous n’avons jamais connu une pareille sauvagerie depuis la guerre de Corée. Gwangju fut un tournant dans l’histoire de la dictature. Des centaines de manifestants ont été jetés en prison et nous avons essayé de cacher ceux qui avaient échappé à la répression et étaient arrivés jusqu’à Séoul. Je me suis alors consacré à mon activité de militant au point que beaucoup pensèrent que j’étais perdu pour la littérature. J’étais tellement pris par l’aide aux rescapés du massacre, à Séoul, que je ne suis pas allé à Gwangju où était ma femme. Peu à peu, la découverte de l’ampleur de ce massacre a radicalisé les opposants.
COUVERTURE LE VIEUX JARDIN |
Oui bien souvent… Je crois que l’amour et l’histoire ne font pas bon ménage. On court avec son temps. Et après s’installe la nostalgie de ce qui aurait pu être et n’a pas été.
À la suite d’une démocratisation embryonnaire à la faveur des JO de 1988, vous essayez de faire ce qu’aucun civil sud-coréen n’avait fait : aller en Corée du Nord…
J’étais alors le porte-parole de l’Association des arts et de la littérature de Corée dont le président était le pasteur Moon Ik-hwan. Le gouvernement lançait une politique d’ouverture vers la Chine et l’URSS. Et nous avons pensé qu’il était temps de rompre la glace avec le Nord. Mais il était interdit de s’y rendre sous peine de prison, la loi sur la sécurité nationale, d’ailleurs toujours en vigueur, interdisant tout contact.
Grâce à des amis japonais du Parti socialiste, j’ai obtenu à Tokyo un visa pour Pékin et de là, je suis allé à Pyongyang. J’y suis resté un mois et j’ai eu une dizaine de rencontres avec Kim Il-sung. Comme je ne pouvais pas retourner en Corée du Sud, je suis allé à Berlin. Le monde changeait : à Pékin, c’était le mouvement de Tiananmen, à Berlin, le mur tombait…
J’ai passé deux ans en Allemagne, aidé par Günter Grass, et étroitement surveillé par les services allemands, américains et coréens des deux bords. Puis, je suis allé aux États-Unis. Grâce aux relations nouées avec Kim Il-sung, j’ai contribué à amorcer des négociations en vue d’une rencontre entre ce dernier et le président sud-coréen de l’époque, Kim Young-sam. Mais Kim Il-sung est mort deux semaines avant cette rencontre. Pensant que j’aurais une peine légère, je suis rentré en Corée du Sud en 1993. Arrêté à l’aéroport, j’ai été condamné à sept ans de prison. Je fus gracié en 1998 par Kim Dae-jung devenu président.
Vous avez gagné le combat pour la démocratie, mais la division demeure. La réunification a été un grand idéal de votre génération. L’est-elle encore ?
HWANG SOK-YONG PHOTO SEVEN STORIES PRESS |
LA CORÉE DIVISÉE PHILIPPE REKACEWICZ, NOVEMBRE 1994 |
Réunification est un mot contaminé, brandi à des fins politiques par le camp conservateur qui accuse ceux qui parlent de paix d’être favorables à Pyongyang. La Corée du Sud n’était même pas signataire de l’accord de cessez-le-feu de 1953 : ce dernier a été signé par les États-Unis au nom des Nations unies et par la Corée du Nord. La nucléarisation de celle-ci est une question entre Pyongyang et Washington. Mais nous pouvons, et nous devons, chercher à pondérer le jeu, à faire retomber la tension intercoréenne pour ouvrir la voie au dialogue.
(traduit du coréen par Choe Mikyung)