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PHOTO AGENCIA UNO |
L’assassinat injustifiable du jeune Mapuche Camilo Catrillanca (le 14 novembre 2018) a révélé une crise institutionnelle chez les Carabiniers, alors que grandit le consensus sur l’insuffisance démocratique de l’État de droit au Chili et que s’achève la période politique de transition démocratique inachevée initiée en 1990.
LE SÉNATEUR DE DROITE MANUEL JOSÉ OSSANDON PHOTO MARIO TELLEZ |
Le conflit entre l’État et les Mapuche dans l’Araucanie, a fait exploser la crise institutionnelle qui touche les carabiniers. La démission forcée du Directeur des carabiniers a révélé les limites de l’accord de fin de la transition sous le gouvernement de Ricardo Lagos en 2005. Certains espèrent que, à la différence des gouvernements de la Concertation ou de la Nouvelle majorité, la droite institutionnalise le contrôle des carabiniers par le Gouvernement élu au suffrage populaire.
Indéniablement la crise de l’Araucanie est toujours d’actualité. Le retrait du Commando Jungle est un geste de façade qui ne freinera pas la répression et la militarisation de la zone. Le plan Araucanie emblématique de la coalition de droite qui gouverne, Chile Vamos (En avant le Chili), s’est retrouvé sans interlocuteurs mais il y a peu de chance que les compagnies forestières et les entreprises hydroélectriques modifient leur modèle déprédateur d’accumulation. Les gauches redécouvrent dans le conflit mapuche les contradictions de leur expérience post-dictatoriale et la nécessité de repenser le Chili.
L’assassinat de Catrillanca n’est pas le premier
La violence policière contre les Mapuche s’est accentuée depuis 2000. L’usage abusif de la Loi antiterroriste viole le processus légal. La militarisation de l’Araucanie a provoqué au moins seize assassinats ; l’abus de la détention préventive et la criminalisation des revendications territoriales sont permanents. La politique de tous les gouvernements démocratiques depuis 1990 jette de l’huile sur le feu et conduit le conflit chileno-mapuche à une impasse.
Rappelons l’assassinat d’Alex Lemún (2002), sanctionné par la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH), celui du Lonko [1] Juan Collihuin (2006), de Matías Catrileo (2008), celui de Jaime Mendoza (2009), dont les coupables n’ont jamais été incarcérés. À cette liste il faut ajouter José Huenante (2005), détenu/disparu en démocratie. L’assassinat non élucidé du jeune Rodrigo Melinao (2013), alors qu’il était recherché par les carabiniers, mais absous post-mortem de toutes fautes, un an plus tard. Sans compter les assassinats de Luis Marileo et Patricio Gonzales par le latifundiste et ex carabinier Ignacio Gallegos.
Ajoutons l’usage abusif de la détention préventive qui résulte de la loi anti-terroriste héritée de Pinochet et condamné par la CIDH dans le cas de Norín Catrimán (2014). Un usage abusif de mois et même d’années de détention préventive injustifiée, allant jusqu’à des tortures et des traitements inhumains et dégradants d’innocents, finalement innocentés sans charge : comme ceux de Francisca Linconao et onze autres membres de communautés dans le cas de Lucsinger-Mackay ; de huit membres de la communauté Lof Choque. Un abus inacceptable, comme la détention préventive de huit leaders de la Coordination Arauco-Malleco (CAM) pour l’opération Huracán [opération Ouragan] (un montage par les carabiniers de fausses preuves) ou l’usage de témoignages occultes d’agents infiltrés des Carabiniers.
L’usage excessif de la force par les Carabiniers et la Police d’investigation (PDI) est constamment dénoncé par l’INDH, Amnesty international, l’ONU et le CIDH. L’État ne prend pas en compte la discrimination à l’égard des femmes et la violence contre les enfants mapuche, perçue comme un conflit interculturel profond.
La violence dans l’Araucanie va-t-elle continuer?
Les vidéos diffusées par le CIPER [2] et le CHV, en décembre, ont révélé la décomposition institutionnelle du corps des carabiniers, responsable de la nouvelle pacification de l’Araucanie. Toutes les versions des Carabiniers étaient mensongères : il n’y a jamais eu d’affrontement. Ce fut une exécution. Un document dévoilé par le CIPER pose encore plus de questions.
La manipulation des preuves, les mensonges éhontés et les demandes d’impunité ont réduit jusqu’à la dérision, la dissimulation de l’assassinat de Camilo Catrillanca. Le gouvernement de Piñera qui avait soutenu la version du directeur des Carabiniers, Hermes Soto, a exigé sa démission mais n’a pas résolu le problème. Son ministre de l’Intérieur, Andrés Chadwick, qui a pris parti pour Soto, en ressort affaibli. L’opposition envisage de présenter à nouveau une accusation constitutionnelle. Installer à nouveau le commando Jungle dans l’Araucanie est ouvertement critiqué jusque au sein même de la droite et considéré comme une erreur de Piñera.
Certains présentent l’assassinat de Catrillanca comme le fruit d’un conflit interne entre Hermes Soto et l’ancien chef des carabiniers Bruno Villalobos. Soto cherchait à blanchir des carabiniers (Navarro). Villalobos aurait laissé filtrer des informations compromettantes montrant que Soto ne contrôlait ni ses troupes, ni son discours politique. Une vengeance pour avoir été démissionné par Piñera en mars, en raison du scandale de la fabrication de preuves de l’Opération Huracán, sous le gouvernement de Bachelet. Villalobos avait été mis sous contrôle judiciaire (détenu) pour l’assassinat de Patricio Manzano (1985).
Bien que Piñera ait annoncé le retrait du Commando Jungle, il a augmenté les effectifs du Service d’enquête de la police (PDI) et des Forces spéciales. La militarisation de l’Araucanie continue. Des carabiniers ont fait évacuer par des tirs 7 terres communautaires, le 31 décembre. Une intervention associée, comme par hasard, à l’assassinat du Lonko Juan Mendoza. La CAM a appelé à continuer la récupération des territoires. Des maires de Collipulli et Ercilla menacent d’expulser de leurs municipalités les Mapuche qui les occupent. Moreno n’a pas d’interlocuteurs pour le Plan Araucanie. La cote de popularité de Piñera chute dans les enquêtes.
Le conflit Mapuche contre l’État révèle la crise au sein des carabiniers
Les mensonges des carabiniers pour justifier l’assassinat du membre de la communauté mapuche, ont révélé que la crise que vit le corps des carabiniers a des impacts politiques. Les mensonges sur l’assassinat de Camilo Catrillanca ont fait perdre toute crédibilité à l’institution pilier de l’État de droit, sensée être en charge du contrôle citoyen et de la lutte contre les délits. À cela s’ajoute l’accumulation de plaintes pour abus persistants ; les soubresauts de l’opération Huracán et la corruption pour fraude du fisc de 28 milliards de pesos. Tout cela, dans des conditions privilégiées d’autonomie budgétaire, de pensions exorbitantes et d’impunité, comme celles de leurs congénères des Forces armées.
Tel un prestidigitateur, Piñera a retiré le commando Jungle et l’a remplacé par des Forces spéciales. Il a nommé comme nouveau directeur des Carabiniers Mario Rozas, son ancien aide de camp. Comme si ses dons de communicant lui permettaient de rétablir à lui seul la crédibilité des Carabiniers. Mais le problème est plus grave. La résistance de Hermes Soto à démissionner a obligé Piñera à demander le soutien du Congrès et du Contrôleur. Un président dont la devise est Loi et Ordre a dû avouer qu’il ne contrôle pas les Carabiniers.
Les réformes de 2005 de Lagos, pour mettre fin à la transition, n’ont donc servi à rien. De Felipe Portales à Martín Hirsch, tout le monde reconnaît que la démocratie est toujours sous tutelle. Les doutes exprimés par la France sont fondés. Beaucoup espèrent qu’un gouvernement d’ordre et de sécurité comme celui de Piñera parvienne à subordonner de façon effective les Carabiniers et de l’armée aux autorités civiles.
L’assassinat de Catrillanca a desserré « l’étau » de sécurité du plan Araucanie. Seul un contrôle civil transparent, qui liquide les relents persistants de la dictature pinochetiste, pourrait rétablir la confiance dans l’institution. Personne ne croit sérieusement que cela conduirait à démilitariser la zone ou à cesser d’appliquer la Loi antiterroriste dans l’Araucanie car le dialogue serait dirigé contre les intérêts des entreprises forestières.
Et… Que dit la gauche ?
Dans la perspective des grands cycles de l’histoire, le malaise révélé par la crise institutionnelle et politique de l’assassinat de Catrillanca interpelle une gauche européiste qui a tenu pour invisibles les Mapuche depuis le retour des gouvernements civils en 1990.
Cela remet en question le modèle néolibéral globalisant et prédateur de l’accumulation qui explique l’usurpation des territoires mapuche dans l’Araucanie. Un processus historique dénoncé traditionnellement par la gauche chilienne, particulièrement sous le gouvernement de Salvador Allende. Une position critique depuis la colonisation et l’intégration forcée du territoire mapuche dans l’économie mondiale au XIXe siècle.
Cela rappelle les promesses de résolution du conflit interculturel Mapuche-État comme celles de l’accord de Nueva Imperial, les promesses d’un Traitement nouveau des peuples indiens, de reconnaissance constitutionnelle, de respect des normes du droit international fixées par la Convention 169 de l’Organisation internationale du travail, ratifiée par le Chili en 2008.
Cela interpelle une gauche qui oublie les luttes héroïques des paysans et des colons des communautés contre les latifundistas (Ranquil en 1934, la réforme agraire entre 1964 et 1973) et rappelle la nécessité d’une gauche résolument anticoloniale, ancrée sur le territoire national. Une gauche qui défende les intérêts des travailleurs, des paysans, des couches moyennes et des peuples originels.
Nous poursuivrons notre analyse dans une troisième partie.
Texte original (espagnol) : ICI
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