[ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ]
LE JUGE DE LA COUR SUPRÊME DU NICARAGUA, RAFAEL SOLIS, À MANAGUA, LE 15 AVRIL 2010. PHOTO OSCAR NAVARRETE |
Le président nicaraguayen, Daniel Ortega, vient de subir un revers inédit : le juge de la Cour suprême du Nicaragua, Rafael Solis, a quitté ses fonctions, accusant le régime d’être « une dictature » qui impose « un état de terreur ». Cette démission surprise, révélée jeudi 10 janvier par la presse, est la première d’un haut fonctionnaire influent depuis le début de la répression contre une révolte populaire qui exige, depuis neuf mois, le départ du pouvoir de l’ancien guérillero sandiniste.
«Je ne souhaite pas cautionner un gouvernement qui (…) s’appuie uniquement sur l’usage de la force pour se maintenir au pouvoir », justifie M. Solis dans sa lettre de démission adressée, le 8 janvier, à M. Ortega ainsi qu’à son épouse et vice-présidente, Rosario Murillo. Il y dénonce le bras de fer sanguinaire engagé par le gouvernement contre le mouvement national de contestation né le 18 avril 2018, après des manifestations contre une réforme de la sécurité sociale.
La répression a fait plus de 300 morts, 2 000 blessés et 500 détenus, selon les organisations de défense des droits de l’homme. M. Solis fustige le recours « aux forces parapolicières et policières avec des armes de guerre, qui ont semé la peur dans notre pays, où plus aucun droit n’est respecté ». Selon cet intime de M. Ortega et de Mme Murillo, témoin de leur mariage religieux en 2005, le couple a instauré « une monarchie absolue de deux rois qui ont fait disparaître tous les pouvoirs de l’Etat ».
Craintes d’une « guerre civile »
Le haut magistrat a aussi renoncé à son adhésion, depuis quarante-trois ans, au Front sandiniste de libération nationale (FSLN), parti de M. Ortega. « Je ne vois pas la possibilité (…) d’une reprise du dialogue pour instaurer la paix, la justice et la réconciliation », explique-t-il, en référence aux négociations débutées en mai sous l’égide de l’Eglise, entre le gouvernement et ses opposants, que M. Ortega a vite rompues.
L’ancien pilier du régime au sein du pouvoir judiciaire s’inquiète des risques de « guerre civile ». Il rejette la version du gouvernement qui qualifie la rébellion de tentative de coup d’Etat. M. Solis dénonce aussi une « guerre contre les médias ». Après avoir criminalisé l’opposition, le gouvernement a saisi, en décembre, les locaux de cinq organes de presse indépendants. Deux journalistes ont été emprisonnés et une dizaine d’autres contraints à l’exil. Les autorités ont aussi retiré leur personnalité juridique à neuf organisations non gouvernementales locales. Sans compter l’expulsion, fin décembre, des experts de la Commission interaméricaine des droits de l’homme qui ont publié un rapport dénonçant les « crimes contre l’humanité » du régime.
« Le gouvernement a durci ses positions jusqu’à provoquer un isolement international quasi total du pays », fustige M. Solis. Le conseil permanent de l’Organisation des États américains (OEA) a lancé, jeudi, le processus d’application de sa « charte démocratique » qui pourrait entraîner à terme la suspension du Nicaragua de l’OEA. Sans compter que le président américain, Donald Trump, a ratifié, en décembre, la loi Nica Act limitant l’accès aux aides internationales de ce pays de six millions d’habitants, l’un des plus pauvres du continent.
Aucun commentaire du gouvernement
Selon le politologue Oscar René Vargas, « la démission de Rafael Solis est un coup d’épée porté au cœur du pouvoir car c’est un gros poisson du régime. L’ancien magistrat connaît les secrets des malversations légales du couple Ortega-Murillo. » Le juge a notamment été à l’origine des réformes constitutionnelles qui ont levé l’interdiction de deux mandats présidentiels consécutifs. De quoi permettre à l’ancien héros révolutionnaire de se maintenir au pouvoir depuis douze ans, après avoir gouverné de 1979 à 1990.
Le gouvernement n’a pas commenté sa démission. «Elle pourrait inciter d’autres hauts fonctionnaires à lui emboîter le pas », commente M. Vargas. Une prévision qui fait écho à la démission, annoncée jeudi par la presse locale, de Victor Urcuyo, à la tête durant quinze ans de la Superintendance des banques, chargée de la supervision des institutions financières nicaraguayennes.
Frédéric Saliba (Mexico, correspondance)