Catégorie

lundi 20 janvier 2020

UN CHIEN ERRANT EST DEVENU LE SYMBOLE DES MANIFESTATIONS AU CHILI

[ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ] 
MATAPACOS
D'abord célébrité locale des universités de Santiago lors du mouvement étudiant de 2011, un chien errant est devenu après sa mort l'un des principaux symboles du gigantesque mouvement social qui a éclaté au Chili le 18 octobre 2019.
   «MATAPACOS»
[ Cliquez sur la flèche pour voir la vidéo ] 
HOMMAGE AU « NEGRO MATAPACOS» BASÉ SUR UNE VIDÉO DE RODCA

 ENREGISTRÉ EN 2012 ET QUI FUT COLORISÉ PAR UNE ÉTUDIANTE EN CINÉMA
      sur des aimants, des sacs en toile, des t-shirts, des porte-clés, et surtout sur des affiches et graffitis, le « Negro matapacos » – le chien « noir tueur de flics », en espagnol du Chili – s'affiche partout dans les rues du centre de Santiago, la capitale chilienne. Avec son éternel bandana rouge accroché autour du cou, ou parfois représenté une auréole de sainteté au-dessus de la tête, il est devenu en l'espace de quelques semaines l'un des principaux symboles du mouvement social historique qui a éclaté mi-octobre dans le pays, le plus important depuis la fin de la dictature du général Augusto Pinochet (1973-1990).

      Ce chien, « c'est un symbole de résistance, et en tant que chien errant, il symbolise le peuple, les classes populaires », estime Paula, 23 ans, qui a abandonné ses études l'an dernier et vend des aimants dans la rue, à 500 pesos l'unité (0,65 dollars), certains à l'effigie du « matapacos ».

      Rejet de la police


      Lors du mouvement étudiant de 2011, pour demander une éducation gratuite et de qualité au Chili, les manifestants de plusieurs universités de Santiago ont remarqué qu'un chien noir se joignait souvent au cortège, aboyant contre les carabineros – les policiers chiliens –, quand il n'essayait pas de les mordre aux mollets. L'opération avait peu de chances d'aboutir à de quelconques blessures, compte-tenu des lourdes protections portées par la police lors des manifestations, mais par cette attitude, le chien a gagné le surnom de « Matapacos ».

      Symbole de rébellion contre l'autorité, ce surnom ne plaît guère aux carabiniers chiliens, mais il ravit les manifestants. « C'est une insulte, oui », reconnaît Diana, 35 ans, pour qui ce chien symbolise la lutte sociale des Chiliens. « C'est une métaphore », juge pour sa part Alejandra, une autre manifestante, qui évite quand même de porter son bandana à l'effigie du matapacos avant d'être au milieu de la manifestation, « pour ne pas avoir de problème » avec la police sur son chemin.

      Le chien noir a beau être mort en 2017, il continue d'incarner le profond rejet de la police par les manifestants, durement réprimés depuis le 18 octobre. Plus de 300 personnes ont ainsi été blessées aux yeux par des bombes lacrymogènes ou des billes de plomb tirées par la police. Les nombreuses violations des droits de l'Homme survenues depuis le début du mouvement social mi-octobre, et commises par les carabineros et l'armée (déployée dans la rue pendant les dix premiers jours du mouvement social) ont aussi été dénoncées par l'ONU, Amnesty international ou encore Human Rights Watch.

      Une statue en son hommage


      Sur les foulards de certains manifestants, qu'ils utilisent pour se protéger des gaz lacrymogène et ne pas être reconnus de la police, le chien « matapacos» est représenté sautant un tourniquet du métro, en référence aux appels des lycéens et étudiants à frauder massivement dans le métro de Santiago en octobre, pour protester contre la hausse du prix des tickets. Cet appel a marqué le déclenchement de ce mouvement social d'une ampleur jamais vue depuis 30 ans.

      À quelques centaines de mètres de la plaza Italia, rebaptisée « place de la Dignité » par les manifestants, des admirateurs du chien « matapacos » ont installé une statue en carton-pâte lui rendant hommage. L'effigie du chien a été plusieurs fois brûlée, détruite, puis reconstruite. Le 17 janvier, les manifestants l'ont réparée une nouvelle fois, après qu'elle ait été endommagée au milieu de la nuit. En signe de victoire, ils ont fait déambuler la statue "place de la Dignité" pendant quelques minutes, sous les acclamations de la foule, lors de la traditionnelle manifestation du vendredi soir.

      Chiens errants et chiens de race


      D'après les autorités chiliennes, il y aurait plus de 250 000 chiens errants au Chili, qu'on croise dans les rues de toutes les villes du pays. Ces « quiltros » (mot d'origine indigène utilisé pour désigner les chiens des rues, sans race définie) apparaissent aussi au milieu des manifestations.

      Le chien « matapacos » avait en réalité où dormir et se restaurer, auprès de deux femmes qui lui donnaient à manger et le laissaient se promener dehors toute la journée. D'après María Campos, chez qui dormait généralement le chien noir, « ''el Negro'' ne tenait plus en place quand il savait qu'il y avait une manifestation, et il détalait jusqu'à l'Alameda », la principale avenue de Santiago, où passent la plupart des cortèges.

      Cette petite femme aux cheveux noirs et ondulés, qui tient une minuscule épicerie dans le quartier yungay, à Santiago, a témoigné en 2013 dans un documentaire réalisé par des étudiants chiliens. « Un jour, j'avais une course à faire rue Huérfanos (dans le centre de Santiago), et d'un coup je suis tombé sur lui, expliquait-elle. Il était en tête de cortège, dans une manifestation. »

      « Il avait une maison, c'est vrai. Mais par essence il restait un chien des rues, typique d'ici. Les chiens noirs sont ceux qui ont le moins de chance d'être adoptés, personne n'en veut, et on en voit beaucoup dans les rues », raconte Carolina, 32 ans, qui porte un foulard à l'effigie du « Matapacos ». « Dans les quartiers riches, personne ne prête attention aux quiltros », les chiens qui ne sont pas de race, estime Diana, venue manifester avec son fils. «Le chien de race, le chien des quartiers riches, il aura toujours une maison, à manger... », ajoute Leonardo, qui vend des porte-clés et des images du "Matapacos" dans une rue touristique du centre-ville.

      Originaire du Pérou, cet homme aux cheveux poivre et sel fait une analogie avec les richissimes élites économiques du Chili, l'un des dix pays les plus inégalitaires au monde, d'après la Banque mondiale. 1 % de la population accapare en effet près de 33 % des revenus du pays, tandis que les classes moyennes et les familles les plus pauvres s'endettent pour accéder à l'éducation ou encore à la santé, en grande partie privatisées sous la dictature du général Pinochet.