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jeudi 11 juin 2020

LES FAUX PAS DU CHILI DANS LA LUTTE CONTRE LE COVID


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LE PAYS SUD-AMÉRICAIN DE 18 MILLIONS D'HABITANTS 
COMPTE  DÉSORMAIS 140’000 CAS DE CONTAMINATION 
ET PLUS DE 2200 DÉCÈS. 
PHOTO AFP
Les contaminations ont pris l’ascenseur au Chili, car les autorités n’ont pas intégré les inégalités profondes dans le pays, à leur stratégie de lutte contre le coronavirus.
 MARTIN BERNETTI
Considéré dans les premiers temps comme un modèle en Amérique latine dans la gestion de la pandémie de coronavirus, le Chili a rapidement perdu du terrain dans sa lutte contre le Covid-19.

Avec 16’000 infections et 230 décès, le gouvernement du président conservateur Sebastian Piñera se félicitait fin avril d'un «plateau» sur la courbe des infections et annonçait une réouverture progressive de l'activité.

Un mois plus tard, les chiffres ont été presque décuplés: le pays sud-américain de 18 millions d'habitants compte désormais 140’000 cas de contamination et plus de 2200 décès.

«Il y a eu deux aveuglements très importants de la part du gouvernement qui ont affecté la courbe des infections», estime auprès de l'AFP Maria Soledad Barria, directrice d'un département de santé à l'université du Chili.

«Premièrement, le gouvernement n'a pas anticipé ou reconnu les inégalités profondes de notre pays. Deuxièmement, nous n'avons pas vu l'intérêt de travailler sur les premiers soins» afin de centraliser la stratégie de suivi de la contagion, analyse l'ex-ministre de la Santé sous le premier mandat de la présidente de gauche Michelle Bachelet (2006-2010).

Zones surpeuplées


Le Chili a été l'un des premiers pays d'Amérique latine à décréter un état d'urgence sanitaire préventif dès le 7 février. Quelques semaines plus tard, il a fermé ses frontières, suspendu les cours, décrété un couvre-feu et mis en oeuvre une politique de dépistage massif.

Mais contrairement à d'autres pays d'Amérique latine, le pays a opté pour des confinements modulables en fonction des foyers et non pas pour un confinement général à l'échelle du pays.

Or, si ces quarantaines sélectives ont donné de bons résultats dans les quartiers aisés, elles se sont révélées bien moins efficaces dans les quartiers pauvres.

«Dans les zones populaires surpeuplées, avec de mauvaises conditions socio-économiques, sans possibilités d'emploi formel qui maintiendrait un revenu pour les gens et sans possibilité de télétravail (...) cela a amplifié la contagion», souligne Mme Barria.

Le manque de connaissance de la réalité des quartiers les plus pauvres de Santiago est même apparu à l'évidence dans les propos du ministre de la Santé. Le 28 mai, Jaime Manalich a reconnu ne pas être conscient de l'ampleur de la surpopulation dans certains quartiers.

Confinement peu effectif


Alors que les aides promises par le gouvernement tardaient à arriver ou étaient jugées insuffisantes, de nombreux habitants ont continué à aller travailler jusqu'à mi-mai. L'explosion des contaminations a alors contraint les autorités à décréter le confinement pour les sept millions d'habitants de la capitale.

Mais, avec de nombreuses dérogations et des commerces souvent ouverts, la mesure n'a permis de réduire la mobilité que de 30%. Or les experts affirment que, pour être efficace, le confinement doit réduire la mobilité de 50%.

Face à l'urgence, le gouvernement a débloqué 17 milliards de dollars, soit l'équivalent de 7 % du PIB. Selon un groupe réunissant des médecins et des économistes, le soutien économique doit viser en priorité les plus vulnérables pour que le confinement soit effectif.

Les chiffres révèlent aussi des failles dans la gestion des autorités. Après la parution de nombreux articles de presse sur le sujet, le gouvernement a finalement corrigé dimanche le nombre de morts dus au coronavirus en y ajoutant 653 décès survenus en mars et en avril.

Les autorités sanitaires ont ainsi comptabilisé des décès de personnes présentant un cadre clinique compatible avec la maladie, même si des tests n'ont pas été réalisés.

Données anonymes


Ces variations ont accru les critiques de la communauté scientifique.

«Nous ne savons pas combien de patients sont hospitalisés, combien sont guéris, combien ont de la fièvre et combien n'en ont pas», s'agace auprès de l'AFP Francisca Crispi, spécialiste en santé publique à l'université du Chili. «Une gestion des données anonymes a été demandée (...) pour pouvoir faire l'analyse des données nous-mêmes», ajoute-t-elle.

Le ministre des Sciences Andrés Couve s'est justifié en expliquant que le changement de méthodologie visait à donner une image «plus précise» de l'épidémie.

Alors que les scientifiques estiment que le pic de l'épidémie n'a pas encore été atteint, l'inquiétude concerne désormais la capacité des hôpitaux de la capitale, déjà très mobilisés, à tenir le choc.
(AFP/NXP)

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ILLUSTRATION PABLO DELCAN  
«Grâce aux données collectées par les chercheurs de l'université américaine Johns-Hopkins, qui recensent les cas et les décès confirmés, il est possible de suivre jour après jour l’évolution de l’épidémie au Chili. »
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