LA TERRE DES HOMMES ROUGES de Marco Bechis
Dans les années quatre-vingt, il étudie le cinéma en Italie avant de réaliser en 1991 son premier long-métrage Alambrado. Il revient avec nous sur son expérience du film La terre des hommes rouges, tourné au Brésil avec des acteurs non-professionnels de la tribu des Guarani-Kaiowa. A ces yeux le cinéma n'a pas de frontière, bien au contraire il permet de rapprocher des individus d'origines et de cultures différentes.
Votre film commence avec cette des Occidentaux qui regardent sur la rive des Indiens en tenue typique en croyant qu'ils sont « authentiques » alors qu'ils sont payés pour s'habiller et se maquiller comme dans un cirque, que vouliez-vous démontrer par cette contradiction et ce mensonge ?
J'avais moi-même cette idée des Indiens avant de commencer le film. Des Indiens qui n'ont pas encore été au contact des Blancs ou de la société moderne, il en existe encore mais très peu. Je crois que cette image malgré tout exerce une fascination pour nous, l'image de l'homme vierge, de l'homme qui vit de la même façon qu'il vivait il y a des siècles. L'image plus véridique de la situation des Indiens actuels, celle de la misère et de la marginalisation, est beaucoup moins excitante, moins originale, beaucoup trop proche d'un quotidien auquel nous sommes familiers. En quelque sorte cette fascination nourrit l'espoir qu'il existe encore de possibles rencontres avec de tels Indiens. Imaginez des hommes qui ne connaissent pas notre culture actuelle, qui ne connaissent pas le monde dans lequel la population mondiale vit et de la catastrophe que nous sommes entrain d'engendrer. Cette idée des Indiens, que je partageais et de laquelle je suis parti, ce n'est surtout pas le film que je veux faire. C'est pour ça que dans la première scène je raconte ce que les Indiens d'aujourd'hui ne sont pas ou plutôt, ce qu'ils ont cessé d'être depuis longtemps. En partant du cliché que tout le monde connaît, je désamorce en quelque sorte une vision ethnographique séduisante mais fausse. L'essence pour moi de l'identité des Indiens est une identité intérieure et non pas extérieure. Quand j'ai rencontré pour la première fois la tribu des Kaiowas, ils sont tous très différents mais pourtant ils partagent cette identité de façon très forte. Ce sont des gens avec des vêtements occidentaux, des portables à la main, ils vont boire des coups dans les bistrots, pourtant ils se sentent comme une ethnie à part entière avec leurs propres codes très subtils et une manière de penser qui leur est propre. Leurs coutumes, leurs traditions funéraires sont proches des nôtres mais en même temps ils sont complètement indiens dans un sens difficilement explicable. Par exemple la façon qu'ils ont de se poster devant un territoire vide ou au contraire de se poster devant une forêt. Ils vont attendre un moment propice pour y entrer, pour s'y déplacer, parce que pour eux cette façon de faire est naturelle. Il y a une grande religiosité derrière cet acte, derrière cette patience. Ce n'est pas un acte pratique. Ce qu'il y a d'intéressant à l'époque à laquelle nous vivons, où il y a une telle frénésie, une telle recherche de vitesse dans notre culture occidentale, que de voir ces Indiens bouger à leur façon est quelque chose d'unique. Ils ont une relation avec le monde beaucoup plus simple, beaucoup plus pratique, plus profonde. Cette scène est également l'occasion de montrer deux manières de vivre, deux manières de voir les choses et ce film pose la problématique de la confrontation de deux cultures antinomiques. Paradoxalement les Indiens sont pareils à nous et en même temps très différents.
Après cette scène initiale, vous poursuivez avec une scène où deux Indiens sont retrouvés pendus suite à un suicide, là la réalité quotidienne s'affiche, celle d'une oppression des Indiens par les Blancs, ces derniers ne voulant pas intégrer la communauté indigène à leur style de vie...
Quand j'ai commencé à travailler sur le film, je suis parti d'une photo d'une petite fille de douze ou treize ans qui s'était pendue. Elle n'était pas pendue loin de l'arbre mais contre son tronc, de sorte que si elle avait voulu elle aurait pu se raccrocher au végétal. Elle a eu une détermination dans sa mort, elle voulait cesser de souffrir. Dans la culture religieuse kaiowas, il y a deux âmes, une âme spirituelle et une âme corporelle. L'âme spirituelle est immortelle, l'âme corporelle au contraire va mourir. Lorsqu'ils se suicident, l'âme corporelle d'un kaiowas ne peut plus aller là où elle doit aller et ainsi cette âme va errer dans une dimension qui se trouve entre le monde des vivants et celui des morts. Avec cette scène je ne voulais pas aborder les raisons de son suicide, car des raisons il peut y en avoir de multiples. Lucrèce, le philosophe grec, disait que pour un effet il pouvait y avoir plusieurs causes et qu'il fallait les énumérer toutes pour espérer trouvait la bonne. Je ne voulais pas raconter ni expliquer ce suicide. Je ne voulais pas de réponses à la question de ce suicide.
De même un peu plus tard le propre fils du chef est retrouvé pendu à un arbre, et ce qui est étrange c'est qu'il n'y a aucune sensibilité de la part des Indiens qui le retrouvent, alors que ce sont ses proches...
De même dans la première scène il n'y a pas de lamentations. Lorsque les Indiens découvrent un corps, ils ne veulent pas entrer dans une relation affective avec le défunt, ils ne veulent pas entrer dans une relation de douleur parce que l'esprit maléfique, l'angué, lorsqu'il y a un mort, se nourrit de cette faiblesse et entre dans le corps des vivants. Les gens sont faibles s'ils pleurent. Mais le premier suicide est aussi l'acte qui va entraîner les Indiens à vouloir récupérer leurs terres parce que la relation de leur corps avec elles est très forte, et ce suicide révèle en quelque sorte ce lien intangible entre la communauté et les terres sur lesquelles ils vivaient autrefois avant d'être chassés.
Le côté mystique du film, celui des esprits qui se manifestent, c'est quelque chose qui est indissociable de la vie quotidienne de cette communauté, comment avez-vous abordé cet aspect fantastique dans votre film ?
Je voulais sortir d'une approche anthropologique classique, je voulais intégrer le point de vue des Indiens, interpréter avec eux une réalité qui est la leur. Je voulais donner à cette histoire une force épique qui pouvait emmener les personnages le plus loin possible. Le côté mystique ne m'est jamais apparu comme un problème, je ne me suis pas posé la question. Ce sont les Indiens qui m'ont expliqué ce qu'est l'angué, à aucun moment je ne me substitue à leur point de vue. Lorsque je leur ai montrés la séquence pour la première fois, ils étaient très heureux du résultat. En plus ils adorent le cinéma, ils sont très séduits par le procédé. J'ai fait ce film pour eux, pas pour un public anonyme. Je me suis posé la question de ce qu'ils aimeraient bien voir. Je voulais une relation directe entre le film et eux. Je me suis laissé envahir par leurs idées et leurs propos. Bien sûr j'ai commencé le film avec un scénario mais on a travaillé avec eux très longtemps car ils n'avaient pas la conception du papier, de la chose « scénario », de ce que cela voulait dire. Le scénario est une chose abstraite pour eux. On a par exemple dû tourner le film dans l'ordre chronologique, scène après scène, sinon ils n'auraient pas compris. Ce qui était étrange avec eux c'est que nous leur avions raconté l'histoire bien avant le tournage et il semblait qu'ils trouvaient ça bien mais lors du tournage, le matin, lorsque l'on discutait de la scène, plusieurs fois ils donnaient leurs avis, des choses très différentes de ce qui était écrit. Ce sont des gens qui vivent dans l'instant.
Les acteurs dans votre film sont presque exclusivement des non-professionnels, qu'ont-ils conservé de cette expérience ?
Aujourd'hui certains d'entre eux sont devenus acteurs. Ils m'avaient accompagné lors de notre tournée au Brésil et aussi au Festival de Venise. L'un d'entre eux, celui qui interprète l'homme dans la caravane ne savait ni lire ni écrire alors quand il était accompagné d'une interprète, il disait aux gens qui voulaient un autographe que c'était elle qui signait ! Ils avaient une capacité de comprendre rapidement les choses, de s'habituer à un univers qui n'était pas le leur. Curieusement être acteur leur était facile, pour eux le jeu actoral est un outil. Ils ont vite compris que le cinéma, lorsqu'ils ont vu le film achevé, pouvait être un instrument de lutte pour leur cause. Alors n'importe quel film ne change pas l'Histoire comme ça mais eux ils ont compris le sens qu'un film pouvait donner.
Y a t-il beaucoup de films sur le sujet au Brésil, au Chili, au Paraguay ou dans les pays voisins ?
Il y en a eu, par exemple le film d'Hector Babenco, En liberté dans les champs du seigneur, qui date du début des années quatre-vingt dix, il y a aussi des films ethnographiques. Mais il n'y en a pas beaucoup. Je m'intéresse vivement à des sujets qui n'ont pas été, ou trop rarement, abordés. Par exemple en 1999 j'ai réalisé Garage olympoFigli-Hijos sur les enfants des personnes disparues durant la dictature en Argentine toujours. Je suis quelqu'un de très curieux, je vais là où les sujets me portent.
Les oppositions sont fortes entre les Indiens et les Blancs, notamment dans la forme même du film. Il y a d'un côté la forêt sauvage et de l'autre le champ cultivé, le fleuve et la piscine, les baraques de tôles et la villa de luxe, ces oppositions étaient-elles conscientes ? Vous vouliez marquer formellement les différences ?
Bien sûr. C'est tout le travail du réalisateur. C'est Godard qui disait qu'il fallait avoir des idées vagues et des images claires. C'est tout le cinéma. Le cinéma est un langage à par entière, il n'y pas que l'histoire mais surtout l'image qui, dans l'esprit du spectateur, doit devenir un écho, un écho qui doit perdurer le plus longtemps possible, même inconsciemment. Toutes ces oppositions sont très importantes pour construire cet écho. L'idée du fleuve par exemple lorsque la fille du propriétaire blanc se baigne, c'était sa volonté de liberté vis à vis de ses parents. La piscine est un cadre trop surveillé, le fleuve au contraire leur est ouvert sans limite. C'est là qu'elle rencontre l'apprenti chamane avec qui elle tombe amoureuse. Le fleuve traduit une idée de liberté, d'affranchissement. En même temps aux yeux du garçon indien, le fleuve a une toute autre valeur, celle de la révélation mystique.
David A.Votre film commence avec cette des Occidentaux qui regardent sur la rive des Indiens en tenue typique en croyant qu'ils sont « authentiques » alors qu'ils sont payés pour s'habiller et se maquiller comme dans un cirque, que vouliez-vous démontrer par cette contradiction et ce mensonge ?
J'avais moi-même cette idée des Indiens avant de commencer le film. Des Indiens qui n'ont pas encore été au contact des Blancs ou de la société moderne, il en existe encore mais très peu. Je crois que cette image malgré tout exerce une fascination pour nous, l'image de l'homme vierge, de l'homme qui vit de la même façon qu'il vivait il y a des siècles. L'image plus véridique de la situation des Indiens actuels, celle de la misère et de la marginalisation, est beaucoup moins excitante, moins originale, beaucoup trop proche d'un quotidien auquel nous sommes familiers. En quelque sorte cette fascination nourrit l'espoir qu'il existe encore de possibles rencontres avec de tels Indiens. Imaginez des hommes qui ne connaissent pas notre culture actuelle, qui ne connaissent pas le monde dans lequel la population mondiale vit et de la catastrophe que nous sommes entrain d'engendrer. Cette idée des Indiens, que je partageais et de laquelle je suis parti, ce n'est surtout pas le film que je veux faire. C'est pour ça que dans la première scène je raconte ce que les Indiens d'aujourd'hui ne sont pas ou plutôt, ce qu'ils ont cessé d'être depuis longtemps. En partant du cliché que tout le monde connaît, je désamorce en quelque sorte une vision ethnographique séduisante mais fausse. L'essence pour moi de l'identité des Indiens est une identité intérieure et non pas extérieure. Quand j'ai rencontré pour la première fois la tribu des Kaiowas, ils sont tous très différents mais pourtant ils partagent cette identité de façon très forte. Ce sont des gens avec des vêtements occidentaux, des portables à la main, ils vont boire des coups dans les bistrots, pourtant ils se sentent comme une ethnie à part entière avec leurs propres codes très subtils et une manière de penser qui leur est propre. Leurs coutumes, leurs traditions funéraires sont proches des nôtres mais en même temps ils sont complètement indiens dans un sens difficilement explicable. Par exemple la façon qu'ils ont de se poster devant un territoire vide ou au contraire de se poster devant une forêt. Ils vont attendre un moment propice pour y entrer, pour s'y déplacer, parce que pour eux cette façon de faire est naturelle. Il y a une grande religiosité derrière cet acte, derrière cette patience. Ce n'est pas un acte pratique. Ce qu'il y a d'intéressant à l'époque à laquelle nous vivons, où il y a une telle frénésie, une telle recherche de vitesse dans notre culture occidentale, que de voir ces Indiens bouger à leur façon est quelque chose d'unique. Ils ont une relation avec le monde beaucoup plus simple, beaucoup plus pratique, plus profonde. Cette scène est également l'occasion de montrer deux manières de vivre, deux manières de voir les choses et ce film pose la problématique de la confrontation de deux cultures antinomiques. Paradoxalement les Indiens sont pareils à nous et en même temps très différents.
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LA TERRE DES HOMMES ROUGES de Marco Bechis
Après cette scène initiale, vous poursuivez avec une scène où deux Indiens sont retrouvés pendus suite à un suicide, là la réalité quotidienne s'affiche, celle d'une oppression des Indiens par les Blancs, ces derniers ne voulant pas intégrer la communauté indigène à leur style de vie...
Quand j'ai commencé à travailler sur le film, je suis parti d'une photo d'une petite fille de douze ou treize ans qui s'était pendue. Elle n'était pas pendue loin de l'arbre mais contre son tronc, de sorte que si elle avait voulu elle aurait pu se raccrocher au végétal. Elle a eu une détermination dans sa mort, elle voulait cesser de souffrir. Dans la culture religieuse kaiowas, il y a deux âmes, une âme spirituelle et une âme corporelle. L'âme spirituelle est immortelle, l'âme corporelle au contraire va mourir. Lorsqu'ils se suicident, l'âme corporelle d'un kaiowas ne peut plus aller là où elle doit aller et ainsi cette âme va errer dans une dimension qui se trouve entre le monde des vivants et celui des morts. Avec cette scène je ne voulais pas aborder les raisons de son suicide, car des raisons il peut y en avoir de multiples. Lucrèce, le philosophe grec, disait que pour un effet il pouvait y avoir plusieurs causes et qu'il fallait les énumérer toutes pour espérer trouvait la bonne. Je ne voulais pas raconter ni expliquer ce suicide. Je ne voulais pas de réponses à la question de ce suicide.
De même un peu plus tard le propre fils du chef est retrouvé pendu à un arbre, et ce qui est étrange c'est qu'il n'y a aucune sensibilité de la part des Indiens qui le retrouvent, alors que ce sont ses proches...
De même dans la première scène il n'y a pas de lamentations. Lorsque les Indiens découvrent un corps, ils ne veulent pas entrer dans une relation affective avec le défunt, ils ne veulent pas entrer dans une relation de douleur parce que l'esprit maléfique, l'angué, lorsqu'il y a un mort, se nourrit de cette faiblesse et entre dans le corps des vivants. Les gens sont faibles s'ils pleurent. Mais le premier suicide est aussi l'acte qui va entraîner les Indiens à vouloir récupérer leurs terres parce que la relation de leur corps avec elles est très forte, et ce suicide révèle en quelque sorte ce lien intangible entre la communauté et les terres sur lesquelles ils vivaient autrefois avant d'être chassés.
Le côté mystique du film, celui des esprits qui se manifestent, c'est quelque chose qui est indissociable de la vie quotidienne de cette communauté, comment avez-vous abordé cet aspect fantastique dans votre film ?
Je voulais sortir d'une approche anthropologique classique, je voulais intégrer le point de vue des Indiens, interpréter avec eux une réalité qui est la leur. Je voulais donner à cette histoire une force épique qui pouvait emmener les personnages le plus loin possible. Le côté mystique ne m'est jamais apparu comme un problème, je ne me suis pas posé la question. Ce sont les Indiens qui m'ont expliqué ce qu'est l'angué, à aucun moment je ne me substitue à leur point de vue. Lorsque je leur ai montrés la séquence pour la première fois, ils étaient très heureux du résultat. En plus ils adorent le cinéma, ils sont très séduits par le procédé. J'ai fait ce film pour eux, pas pour un public anonyme. Je me suis posé la question de ce qu'ils aimeraient bien voir. Je voulais une relation directe entre le film et eux. Je me suis laissé envahir par leurs idées et leurs propos. Bien sûr j'ai commencé le film avec un scénario mais on a travaillé avec eux très longtemps car ils n'avaient pas la conception du papier, de la chose « scénario », de ce que cela voulait dire. Le scénario est une chose abstraite pour eux. On a par exemple dû tourner le film dans l'ordre chronologique, scène après scène, sinon ils n'auraient pas compris. Ce qui était étrange avec eux c'est que nous leur avions raconté l'histoire bien avant le tournage et il semblait qu'ils trouvaient ça bien mais lors du tournage, le matin, lorsque l'on discutait de la scène, plusieurs fois ils donnaient leurs avis, des choses très différentes de ce qui était écrit. Ce sont des gens qui vivent dans l'instant.
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LA TERRE DES HOMMES ROUGES de Marco Bechis
Les acteurs dans votre film sont presque exclusivement des non-professionnels, qu'ont-ils conservé de cette expérience ?
Aujourd'hui certains d'entre eux sont devenus acteurs. Ils m'avaient accompagné lors de notre tournée au Brésil et aussi au Festival de Venise. L'un d'entre eux, celui qui interprète l'homme dans la caravane ne savait ni lire ni écrire alors quand il était accompagné d'une interprète, il disait aux gens qui voulaient un autographe que c'était elle qui signait ! Ils avaient une capacité de comprendre rapidement les choses, de s'habituer à un univers qui n'était pas le leur. Curieusement être acteur leur était facile, pour eux le jeu actoral est un outil. Ils ont vite compris que le cinéma, lorsqu'ils ont vu le film achevé, pouvait être un instrument de lutte pour leur cause. Alors n'importe quel film ne change pas l'Histoire comme ça mais eux ils ont compris le sens qu'un film pouvait donner.
Y a t-il beaucoup de films sur le sujet au Brésil, au Chili, au Paraguay ou dans les pays voisins ?
Il y en a eu, par exemple le film d'Hector Babenco, En liberté dans les champs du seigneur, qui date du début des années quatre-vingt dix, il y a aussi des films ethnographiques. Mais il n'y en a pas beaucoup. Je m'intéresse vivement à des sujets qui n'ont pas été, ou trop rarement, abordés. Par exemple en 1999 j'ai réalisé Garage olympoFigli-Hijos sur les enfants des personnes disparues durant la dictature en Argentine toujours. Je suis quelqu'un de très curieux, je vais là où les sujets me portent.
Les oppositions sont fortes entre les Indiens et les Blancs, notamment dans la forme même du film. Il y a d'un côté la forêt sauvage et de l'autre le champ cultivé, le fleuve et la piscine, les baraques de tôles et la villa de luxe, ces oppositions étaient-elles conscientes ? Vous vouliez marquer formellement les différences ?
Bien sûr. C'est tout le travail du réalisateur. C'est Godard qui disait qu'il fallait avoir des idées vagues et des images claires. C'est tout le cinéma. Le cinéma est un langage à par entière, il n'y pas que l'histoire mais surtout l'image qui, dans l'esprit du spectateur, doit devenir un écho, un écho qui doit perdurer le plus longtemps possible, même inconsciemment. Toutes ces oppositions sont très importantes pour construire cet écho. L'idée du fleuve par exemple lorsque la fille du propriétaire blanc se baigne, c'était sa volonté de liberté vis à vis de ses parents. La piscine est un cadre trop surveillé, le fleuve au contraire leur est ouvert sans limite. C'est là qu'elle rencontre l'apprenti chamane avec qui elle tombe amoureuse. Le fleuve traduit une idée de liberté, d'affranchissement. En même temps aux yeux du garçon indien, le fleuve a une toute autre valeur, celle de la révélation mystique.