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mardi 16 décembre 2008

Représenter ces drames au mur est un casse-tête (les textes du catalogue sont passionnants). La Fondation a fait appel à deux fortes personnalités, chacune répondant avec ses armes. Au sous-sol, un spécialiste des villes, l'urbaniste et philosophe Paul Virilio, traite du déracinement. En haut, un fils de paysans, le photographe et cinéaste Raymond Depardon, filme l'enracinement.

Chacun est à son affaire. D'autant qu'ils disposent d'outils high-tech performants. Virilio, dans une petite salle - gare à l'attente, le week-end -, donne un cours sur les désastres migratoires à venir. Le tableau, la craie et la voix du professeur sont remplacés par un grand écran circulaire sur lequel défilent cartes, graphiques, chiffres, pixels, courbes. La prouesse technique laisse baba, c'est beau comme dans un film de George Lucas, y compris quand s'affichent les villes qui vont disparaître sous l'effet de la montée des mers.

Le grand moment de l'exposition est un film documentaire de 33 minutes, signé Raymond Depardon et Claudine Nougaret, intitulé Donner la parole. Des personnes attachées à leur terre, mais dont la langue est menacée, se racontent face à la caméra. On entend le chipaya de Bolivie (langue parlée par 1 200 personnes), puis le kawésqar au Chili (une centaine de personnes dans le Sud). Ou le mapuche toujours au Chili, le yanomami au Brésil, l'occitan en France...

SUBMERGÉ PAR LES VISAGES

Les techniques de pointe font de ce documentaire une merveille. Le film, tourné en super-16 mm, est projeté en haute définition sur un écran de 80 m2 (10 mètres de haut sur 8 de large). L'image est géante - du jamais-vu dans un musée - mais d'une précision inouïe. Le son dû à Claudine Nougaret, qui se répand dans l'espace selon une technique complexe, est si vivant qu'il nous projette sur ces terres lointaines. Il fallait cela pour que le public, allongé sur la moquette, soit submergé par ces visages d'hommes, de femmes et d'enfants, et qu'il puisse entendre au mieux la sonorité de langues impossible à décrire. Ce qui est dit - Depardon et Nougaret ne comprenaient rien sur le moment - touche aux peurs, aux douleurs, à la mort.

Comme cette femme mapuche qui, l'espace de deux minutes, entourée de ses filles, dans un décor de bout du monde au sud du Chili, sourit à la caméra, raconte, rit, pleure.


"Terre natale. Ailleurs commence ici", de Paul Virilio et Raymond Depardon, Fondation Cartier pour l'art contemporain, 261, bd Raspail, Paris-14e. M° Raspail. Tél. : 01-41-18-56-50. Du mardi au dimanche, de 11 heures à 20 heures ; mardi jusqu'à 22 heures. Jusqu'au 15 mars 2009.

De 4,50 € à 6,50 €.

Catalogue Terre natale, textes collectifs, 308 p., 39,50 €.

Donner la parole, de Raymond Depardon, Fondation Cartier/Steidl, 100 Polaroïd couleurs, 168 p., 20 €.

Michel Guerrin