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jeudi 21 mai 2009

AU BOUT DU TUNNEL, LA MER




Les relations du Chili avec ses voisins du nord sont compliquées. [En 2007] le Pérou a intenté une action en justice [auprès des Nations unies] contre le Chili au sujet de leur frontière maritime. Et la Bolivie [qui a dû céder ses provinces maritimes au Chili après sa défaite lors de la guerre du Pacifique, en 1879] continue à réclamer un accès à la mer.

Cette situation soulève d’épineux problèmes politiques. Cependant, trois architectes chiliens réputés affirment avoir trouvé une solution pour ces litiges, du moins l’ont-ils imaginée sur le papier.

Humberto Eliash, Carlos Martner et Fernando Castillo Velasco 
ont dessiné un tunnel partant de Bolivie et débouchant sur une île bolivienne artificielle au milieu d’une mer qui serait trinationale. Ils mûrissent ce projet depuis trois ans et vont le proposer au ministère des Affaires étrangères chilien. L’objectif est de soumettre à la Cour internationale de justice de La Haye une solution praticable qui permette à chaque Etat d’y trouver son compte. [La Bolivie posséderait enfin un débouché vers la mer lui permettant d’exporter ses matières premières – hydrocarbures et minerais surtout –, le Pérou gagnerait une extension de ses eaux territoriales et le Chili réglerait son contentieux avec ses voisins tout en gardant un droit sur la zone litigieuse.] L’idée consiste à construire un tunnel de 150 kilomètres depuis Charaña (Bolivie), en passant sous la frontière entre le Chili et le Pérou. La galerie souterraine traverserait le désert et aboutirait sur une île, à quelques encablures de la côte chilienne. Les concepteurs du projet envisagent de construire la nouvelle île avec le déblai du tunnel, “comme les îles de Naos, Perico et Flamenco, faites avec le déblai du canal de Panamá. Sinon, on peut aussi utiliser la technique employée pour les îles flottantes du lac Titicaca [réalisées grâce à la totora, une sorte de jonc flottant]”, explique Humberto Eliash.

L’île appartiendrait à la Bolivie. Autour d’elle, une nouvelle mer comprenant la zone disputée, baptisée “mer de la concorde”, serait créée et administrée par les trois pays. “Le but est de suspendre le procès à La Haye contre le Chili et de transformer la zone en un espace international”, conclut l’architecte. Une partie de l’ouvrage serait réservée au chemin de fer. Un gazoduc pourrait également desservir l’île afin de faciliter les exportations [de gaz bolivien, notamment, qui approvisionne toute la région]. Selon Eliash, les bénéfices du seul gazoduc pourraient financer une grande partie du coût de ce tunnel, l’un des plus longs du monde. Il est donc prévu que la Bolivie soit le principal investisseur du projet. En attendant les études de faisabilité technique, qui permettront de déterminer le coût exact, l’architecte cite les économistes John Luke Gallup et Jeffrey Sachs, selon qui “un pays sans port perd chaque année entre 0,6 % et 1 % de son PIB”. “Selon ces calculs, la Bolivie a donc perdu 4 milliards de dollars au cours des dix dernières années. Elle pourrait donc financer le tunnel en dix ans”, suppute-t-il. Le projet est titanesque, mais, pour les architectes, il n’a rien d’utopique. “Du point de vue technique, il est parfaitement envisageable aujourd’hui de construire un tel ouvrage ; il en existe déjà de similaires”, plaide Carlos Martner en faisant allusion au canal de Suez, au canal de Panamá et au tunnel sous la Manche.

Castillo Velasco, qui a décrit le projet dans son livre Lecciones del tiempo vivido [Leçons du temps vécu], pense que “les grandes ­difficultés seront politiques”. Il a déjà envoyé un exemplaire du livre au ministre chilien des Affaires étrangères, Mariano Fernández. “Il m’a fait savoir qu’il m’appellerait pour discuter du projet”, affirme ­l’architecte.