Quand Alexandra Marnier-Lapostolle a commencé à acheter des vignobles dans la vallée du fleuve Rapel, au Chili, au milieu des années 90, les vignes croulaient sous les grappes. Armée d'un sécateur, elle a arpenté les sillons, coupant et jetant méthodiquement les grappes pourpres. "Ça a choqué les ouvriers chiliens", se souvient cette viticultrice, française, issue de la famille du Grand Marnier. "Ils ne comprenaient pas pourquoi on irait gaspiller en jetant du raisin." Ce fut la première des nombreuses leçons qu'elle leur donna afin d'améliorer le vin. Elle réduisit considérablement le rendement de chaque vigne, passant de soixante à huit grappes par cep.
L'affaire a été payante : six ans et 20 millions de dollars plus tard, la Casa Lapostolle produit quelques-uns des meilleurs vins d'Amérique du Sud et du monde. Tel le Clos-Apalta, puissant mais élégant, qui se vend aujourd'hui l'équivalent de 350 FF la bouteille. La propriété de 375 hectares a exporté l'an dernier 150 000 caisses [de 12 bouteilles], contre 60 000 en 1996. "Aujourd'hui, je peux le dire, nous sommes enthousiasmés par la qualité de ce vin", déclare Mme Marnier-Lapostolle. "Nous avons produit un vin chilien par sa nature et français par sa conception", ajoute-t-elle en citant le slogan inscrit sur chaque bouteille. Car les vins chiliens ont fini par faire partie du dessus du panier. Le pays est déjà célèbre pour ses crus moins ambitieux, que beaucoup considèrent comme de la piquette. Pour la première fois, cette année, un vin sec chilien venu de Concha y Toro a supplanté le sirupeux Riunite italien au classement des importations américaines. Or, aujourd'hui, le Chili - comme l'Argentine, dans une moindre mesure - commence à mettre sur le marché des vins de qualité supérieure, à un prix nettement plus élevé. Ces vins, surnommés les "Superchiliens", sont généralement produits en collaboration avec des grands noms du secteur viticole en Californie et en France, qui ont repris les principales terres à vignes. On retrouve ainsi le nom du baron Philippe de Rothschild sur une bouteille du meilleur cru d'almaviva de Concha y Toro, à un prix équivalent à 640 FF. Le célèbre Californien Robert Mondavi s'est pour sa part associé à une famille chilienne pour donner naissance à Caliterra. "En termes de qualité et de prix, il se passe aujourd'hui au Chili ce qui s'est passé dans le nord de la Californie il y a dix ou vingt ans.", explique Tim Mondavi, le fils de Robert et patron de Caliterra.
Il y a longtemps déjà que les viticulteurs étrangers ont le Chili à l'oeil. Les Espagnols y ont planté des vignes dès le XVIe siècle. Le climat sec de la région, avec son soleil abondant et sa brise fraîche venue de l'océan, leur a permis de prospérer. La terre et la main-d'oeuvre ne coûtaient rien, et les vignerons n'étaient pas soumis à des taxes élevées, pas plus qu'ils n'avaient à respecter les réglementations sur les appellations, comme c'est le cas de la région de Bordeaux ou de Chianti. Mais, tant que le général Pinochet est resté au pouvoir, les producteurs étrangers ont évité le pays. Il a fallu attendre le départ du dictateur, en 1988, pour qu'ils investissent au Chili. Dès le milieu des années 90, des dizaines de producteurs internationaux s'étaient emparés de milliers d'hectares et avaient entrepris de les transformer. Non contents de tailler les vignes, ils ont aussi modernisé les exploitations. Mme Marnier-Lapostolle a importé des équipements allemands de précision pour la coupe et la récolte, ainsi que des cuves en acier inoxydable, des pressoirs et une robinetterie ultramodernes. Elle a également fait venir des tracteurs pour remplacer les chevaux. Pour les Chiliens, le principal intérêt de leurs nouveaux associés réside dans leur connaissance du marché. La famille d'Eduardo Chadwick fait du vin dans le centre du Chili depuis sept générations. mais il ne voyait absolument pas comment se tailler une réputation internationale. Coup de chance, M. Mondavi s'est manifesté en 1996. Un an plus tard, les associés commençaient à produire des Caliterra, dont le robuste Seña à un prix équivalent à 560 FF la bouteille. "Nos vins ont toujours été aussi bons, mais nous n'étions pas reconnus au niveau international, déclare M. Chadwick. Avec le nom de Mondavi sur nos étiquettes, il nous a été possible d'attirer l'attention." Caliterra a en effet exporté 2 000 caisses dès la première année et devrait en vendre 8 000 cette année.
Toutes ces bouteilles, ou presque, sont destinées aux Etats-Unis, et plus particulièrement à la côte Est, qui manque de crus locaux. Les Américains absorbent près de 45 % des exportations de vins d'Amérique du Sud ; 35 % partent vers l'Europe, essentiellement au Royaume-Uni, en Belgique, aux Pays-Bas, en Allemagne, au Danemark et enfin en France ; 10 % sont expédiés vers l'Asie. Ces exportations vont vraisemblablement progresser. Même les crus les plus onéreux ont leurs chances. Quelques-uns des plus grands restaurants new-yorkais ont fait entrer les "Superchiliens" dans leur cave. Les vendeurs sont en train de leur emboîter le pas. Des négociants jusque-là habitués à ne proposer que ce qui se fait de mieux en France, en Californie et en Toscane se sont avoués surpris par la qualité venue du Chili. "Ces vins sont si élégants", commente Dennis Overstreet, propriétaire du Wine Merchant à Beverly Hills, tout en dégustant un verre d'almaviva velouté. "On dirait Antonio Banderas en Armani." Un compliment qui suffirait à combler d'aise n'importe quel producteur.
Tara Weingarten
Newsweek
L'affaire a été payante : six ans et 20 millions de dollars plus tard, la Casa Lapostolle produit quelques-uns des meilleurs vins d'Amérique du Sud et du monde. Tel le Clos-Apalta, puissant mais élégant, qui se vend aujourd'hui l'équivalent de 350 FF la bouteille. La propriété de 375 hectares a exporté l'an dernier 150 000 caisses [de 12 bouteilles], contre 60 000 en 1996. "Aujourd'hui, je peux le dire, nous sommes enthousiasmés par la qualité de ce vin", déclare Mme Marnier-Lapostolle. "Nous avons produit un vin chilien par sa nature et français par sa conception", ajoute-t-elle en citant le slogan inscrit sur chaque bouteille. Car les vins chiliens ont fini par faire partie du dessus du panier. Le pays est déjà célèbre pour ses crus moins ambitieux, que beaucoup considèrent comme de la piquette. Pour la première fois, cette année, un vin sec chilien venu de Concha y Toro a supplanté le sirupeux Riunite italien au classement des importations américaines. Or, aujourd'hui, le Chili - comme l'Argentine, dans une moindre mesure - commence à mettre sur le marché des vins de qualité supérieure, à un prix nettement plus élevé. Ces vins, surnommés les "Superchiliens", sont généralement produits en collaboration avec des grands noms du secteur viticole en Californie et en France, qui ont repris les principales terres à vignes. On retrouve ainsi le nom du baron Philippe de Rothschild sur une bouteille du meilleur cru d'almaviva de Concha y Toro, à un prix équivalent à 640 FF. Le célèbre Californien Robert Mondavi s'est pour sa part associé à une famille chilienne pour donner naissance à Caliterra. "En termes de qualité et de prix, il se passe aujourd'hui au Chili ce qui s'est passé dans le nord de la Californie il y a dix ou vingt ans.", explique Tim Mondavi, le fils de Robert et patron de Caliterra.
Il y a longtemps déjà que les viticulteurs étrangers ont le Chili à l'oeil. Les Espagnols y ont planté des vignes dès le XVIe siècle. Le climat sec de la région, avec son soleil abondant et sa brise fraîche venue de l'océan, leur a permis de prospérer. La terre et la main-d'oeuvre ne coûtaient rien, et les vignerons n'étaient pas soumis à des taxes élevées, pas plus qu'ils n'avaient à respecter les réglementations sur les appellations, comme c'est le cas de la région de Bordeaux ou de Chianti. Mais, tant que le général Pinochet est resté au pouvoir, les producteurs étrangers ont évité le pays. Il a fallu attendre le départ du dictateur, en 1988, pour qu'ils investissent au Chili. Dès le milieu des années 90, des dizaines de producteurs internationaux s'étaient emparés de milliers d'hectares et avaient entrepris de les transformer. Non contents de tailler les vignes, ils ont aussi modernisé les exploitations. Mme Marnier-Lapostolle a importé des équipements allemands de précision pour la coupe et la récolte, ainsi que des cuves en acier inoxydable, des pressoirs et une robinetterie ultramodernes. Elle a également fait venir des tracteurs pour remplacer les chevaux. Pour les Chiliens, le principal intérêt de leurs nouveaux associés réside dans leur connaissance du marché. La famille d'Eduardo Chadwick fait du vin dans le centre du Chili depuis sept générations. mais il ne voyait absolument pas comment se tailler une réputation internationale. Coup de chance, M. Mondavi s'est manifesté en 1996. Un an plus tard, les associés commençaient à produire des Caliterra, dont le robuste Seña à un prix équivalent à 560 FF la bouteille. "Nos vins ont toujours été aussi bons, mais nous n'étions pas reconnus au niveau international, déclare M. Chadwick. Avec le nom de Mondavi sur nos étiquettes, il nous a été possible d'attirer l'attention." Caliterra a en effet exporté 2 000 caisses dès la première année et devrait en vendre 8 000 cette année.
Toutes ces bouteilles, ou presque, sont destinées aux Etats-Unis, et plus particulièrement à la côte Est, qui manque de crus locaux. Les Américains absorbent près de 45 % des exportations de vins d'Amérique du Sud ; 35 % partent vers l'Europe, essentiellement au Royaume-Uni, en Belgique, aux Pays-Bas, en Allemagne, au Danemark et enfin en France ; 10 % sont expédiés vers l'Asie. Ces exportations vont vraisemblablement progresser. Même les crus les plus onéreux ont leurs chances. Quelques-uns des plus grands restaurants new-yorkais ont fait entrer les "Superchiliens" dans leur cave. Les vendeurs sont en train de leur emboîter le pas. Des négociants jusque-là habitués à ne proposer que ce qui se fait de mieux en France, en Californie et en Toscane se sont avoués surpris par la qualité venue du Chili. "Ces vins sont si élégants", commente Dennis Overstreet, propriétaire du Wine Merchant à Beverly Hills, tout en dégustant un verre d'almaviva velouté. "On dirait Antonio Banderas en Armani." Un compliment qui suffirait à combler d'aise n'importe quel producteur.
Tara Weingarten
Newsweek