ESTELA DE CARLOTTO ET JOSE LUIS MAULIN PRATTO PHOTO RAUL FERRARI |
Sylvie VeranBébés, ils ont été volés à leurs parents, des opposants au régime, pendant la dictature militaire en Argentine. Ils sont les témoins d'un drame national.
Ils sont 500. Cinq cents enfants en bas âge qui, à l’époque de la dictature militaire en Argentine (1976-1983), ont été enlevés à leurs parents, des opposants à la junte alors au pouvoir, pour la plupart des étudiants, souvent péronistes, qui se battaient pour une société plus juste et furent enlevés, torturés et tués. On estime à 30 000 le nombre de “desaparecidos” (disparus).
Parmi 500 enfants dérobés à leurs familles, nombre d’entre eux l’ont été dès leur naissance. Les mères étaient exécutées dans l’un des centres de détention ouverts alors dans l’ensemble du pays, juste après l’accouchement. Les nouveau-nés étaient donnés à des couples en mal de progéniture, de préférence des militaires ou des policiers proches du régime, mais aussi, parfois, à des gens ignorants tout des origines de l’enfant qui leur était confié.
Dès 1977, et en prenant d’énormes risques, des grands-mères, les fameuses "Abuelas de Plaza de Mayo", s’associent pour tenter de retrouver leurs petits-enfants disparus. Elles défilent chaque semaine sur la place de Mai, située en face de la Casa Rosada, siège du gouvernement argentin à Buenos-Aires.
Peu à peu, leur mouvement se structure et leur combat devient célèbre dans le monde entier. Après la fin de la dictature, elles obtiennent de la justice que les enfants retrouvés soient systématiquement rendus à leur famille biologique.
Bien plus tard, en 1992, et à leur demande, est créé la Conadi, la Commission nationale pour le Droit à l’Identité, organisme habilité à pratiquer toutes sortes d’investigations permettant d’aider une personne à retrouver ses origines. Notamment à bénéficier d’une analyse ADN sans passer par la décision d’un juge.
Le prélèvement pouvait être ensuite comparé aux dossiers de la banque de données génétiques des familles de disparus ouverte à l’hôpital Carlos-Durand de Buenos Aires.
LA MILITANTE ESTELA DE CARLOTTO À CÔTÉ DE JOSE LUIS MAULIN PRATTO, LE 120ÈME PETIT-FILS TROUVÉ PAR L'ORGANISATION HUMANITAIRE. |
Ce documentaire de seulement 26 minutes, tourné en 2015 et début 2016 se concentre sur trois enfants volés que les Abuelas sont parvenues à restituer à leur famille biologique :
Pédro Sandoval a retrouvé sa famille en 2006 à l’âge de 26 ans.
Mariana Zaffaroni Islas, retrouvée en 1992.
Manuel Gonçalves Granada, repris à ses parents adoptifs en 1995 alors qu’il avait 19 ans.
Ces trois jeunes adultes, rescapés d’un drame national, racontent le choc terrible que fut pour eux la découverte de leurs origines. Manuel était depuis sa naissance prénommé Claudio :
“Ça m’a pris des années pour intégrer ce prénom et sentir que c’était comme cela que je devais m’appeler”
Pedro se rend fréquemment au parc de la Mémoire de Buenos-Aires où, sur une immense stèle de marbre gris, sont gravés les noms des 30 000 desaparecidos. Celui de sa mère, Clelia, disparue à l’âge 20 ans alors qu’elle était enceinte de deux mois et demi, y figure. C’est au centre clandestin de détention Atlético qu’elle a mis son fils au monde avant de disparaître à jamais. Il souligne :
“Notre identité a été fragmentée, éclatée, et grâce à toutes les personnes qui te racontent ton histoire, tu finis par reconstruire ton vrai visage, ta vraie identité”.
«QUAND LES ENFANTS VOLÉS DE LA DICTATURE ARGENTINE RETROUVENT LEURS RACINES»
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Pour Mariana, le chemin vers une nouvelle vie sans repères connus, a été particulièrement lourd à supporter : “Ma grand-mère était une figure de la lutte pour la vérité et pour la justice dans son engagement pour retrouver les bébés volés et moi en particulier. Elle était tous les jours dans les journaux, à la télévision. Mes photos étaient partout dans la rue. Tout le monde savait qui était Mariana Zaffaroni.” Tout le monde sauf la propre intéressée qui se nommait alors Daniela Furci.
"Pendant tout ce temps où je n’ai pas voulu savoir, où j’avais un rejet de mon histoire et de mon identité, il y a beaucoup de gens qui n’ont pas compris pourquoi après toutes ces années de lutte et d’efforts qui ont été faits, moi, je ne voulais rien savoir ".
Mariana, aujourd’hui maman, s’est rendue à l’ancien centre de détention clandestin des Automobiles Orletti. Là où ses parents et elle ont été emprisonnés. C’est dans ce lieu que son “père d’appropriation” est venu la chercher. “Pour moi, constate-t-elle, ça a été très important de revenir ici parce que, d’une certaine manière, c’est un moyen de me sentir proche de mes parents dans le dernier lieu que nous avons partagé ensemble.”
Le ressenti de chacun est forcément particulier. Il dépend beaucoup de la manière dont ces enfants ont été traités dans le processus d’adoption forcée. Certains ont été très aimés. C’est le cas de Mariana qui ne pense pas que la famille qui l’a accueillie était au courant du plan d’élimination systématique des opposants à la junte militaire.
Manuel, de son côté, reste envahi par ce passé qui ne passe pas.
“En permanence je ne peux m’empêcher de me dire que tout cela n’aurait jamais dû arriver. C’est comme si tu avais un passé dont tu ne sais pas quoi faire.”
Le garçon fait désormais partie du bureau de l’Association des Grands-Mères de la Place de Mai. Il est le premier des petits-fils et petites-filles à avoir accepté une responsabilité dans l’organisation.
Il sait qu’une fois les fondatrices du mouvement décédées, ce sera à lui et à ses semblables de continuer à chercher ceux qui manquent encore à l’appel. “Ce sont mes Grands-Mères. Je me sens comme leur petit-fils. Pour moi, c’est quelque chose de magique. C’est une manière de vaincre l’horreur que nous avons vécue. Ça m’emplit de joie d’être avec elles.”
119 bébés sur 500 récupérés
Aujourd’hui 119 bébés sur 500 ont été récupérés par leur famille biologique. Le dernier, en 2015. Comme il n’est plus possible de soustraire par assignation en justice ces enfants désormais devenus des adultes et frôlant la quarantaine, les Abuelas doivent attendre que ceux qui ont été localisés acceptent de venir vers elles.
Parfois, c’est par hasard que l’un d’eux, ayant des doutes sur ses origines, se présente au siège de l’association pour demander une analyse ADN. C’est ainsi qu’Estela de Carlotto, la présidente des Abuelas, a retrouvé en août 2014 son petit-fils, Guido, après l’avoir recherché en vain durant trente-six ans.
Samedi 8 octobre à 22h10 sur France 24. Reporter, le doc " Argentine : Identités volées". Magazine mensuel présenté par Antoine Cormery. Reportage réalisé par Bertrand Dévé. 26 min.
Sylvie Veran
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