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Un épisode de la terreur à Santiago du Chili / |
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La confession de l’« homme à la cagoule » / Nombreux sont les témoignages des rescapés de la torture : depuis des décennies, ils témoignent que la barbarie nazie a fait école. Plus rares sont les témoignages des délateurs qui ont envoyé leurs camarades à la torture et à la mort. Le texte que nous publions ici dans sa version intégrale est la « confession » d’un délateur. D’un délateur assassiné. Assassiné par qui ?
Août 1978, pages 8 et 9
Dans les mois qui suivirent le coup d’Etat militaire du Chili, alors que des milliers de détenus étaient parqués dans le Stade national de Santiago, un homme au visage caché par une cagoule désignait du doigt, sant jamais prononcer un seul mot, les détenus qui aussitôt disparaissaient vert les salles de torture. De nombreux témoins gardent à la mémoire ce souvenir d’horreur. L’un d’eux en avait fait un récit que nous publions ci-dessous (1).
Quatre ans plus tard, en juin 1977, un homme se présente au Vicariat de la solidarité, organisme créé par l’archevêché de Santiago pour venir en aide aux victimes de la dictature et à leurs familles. Par deux fois, sa démarche reste vaine, probablement parce que ses interlocuteurs redoutent d’avoir affaire à un provocateur. A la troisième visite, on accepte d’enregistrer sur bande magnétique la confession que l’on va lire. « L’homme à la cagoule,dit-il, c’est moi »... Le 24 octobre suivant, son corps, frappé de dix-sept coups de couteau est retrouvé à La Florida, près de Santiago. Ancien membre du comité central du parti socialiste, il s’appelait Juan René Munoz Alarcon.
par Juan René Munoz Alarcon
Dans son numéro de 19 juin 1978, le journal El Mercurio, porte-parole officieux de Pinochet, publiait l’information suivante :
« Après six mois d’enquêtes, y compris une inspection de la Colonia-Dignidad, située à Parral, où il constata qu’une dénonciation selon laquelle il y aurait là des détenus n’était pas fondée, le juge Osvaldo Faundez Vallejos a clos l’instruction du procès engagé pour le meurtre de l’ex-membre du comité central du parti socialiste proscrit, Juan Munoz Alarcon. Le magistrat prononça un non-lieu définitif en la matière, en vertu des dispositions du décret-loi n° 2 191 sur l’amnistie (...)
Le 13 décembre 1977, la Cour suprême, avait reçu du Vicaire de la solidarité, Cristian Precht, une transcription des déclarations enregistrées par Munoz Alarcon avant son assassinat (...)
Le magistrat, selon nos informations, prononça aussi un non-lieu temporaire en ce qui concerne quarante autres délits présumés dénoncés par Munoz Alarcon dans l’enregistrement qu’il fit au Vicariat de la solidarité. »
Ainsi, l’amnistie de Pinochet, que l’on voulut présenter comme un geste altruiste envers les adversaires de la junte, sert à effacer les traces des crimes d’Etat.
Il est certes nécessaire qu’un seuil de violence collective ait été atteint pour que les vieilles formes physiques de l’horreur redeviennent agissantes. L’homme à la cagoule du stade de Santiago a des précédents historiques : à l’époque coloniale, il y eut au Chili un homme à la cagoule, envoyé de l’Inquisition, disait-on, qui dénonçait « les hérétiques relaps, apostats et idolâtres ». Personne ne connut jamais son nom. Plusieurs siècles plus tard, le présent illuminant l’histoire, on peut bien penser que l’homme de l’Inquisition était, lui aussi, un « relaps converti ».
La désespoir absolu qui imprègne la confession de l’homme à la cagoule plaide en faveur de son authenticité : nul talent d’écrivain n’aurait pu l’égaler. Le texte publié ici contient littéralement les mots employés par le délateur. Mais on pourra discuter à I’infini la vérité de chaque fait décrit par ces mots. Car l’auteur fut assassiné avant qu’un tribunal ait pu faire la lumière sur ses actes, et l’amnistie de Pinochet interdit à la justice de tirer au clair les crimes dénoncés. Le délateur avait-il à l’époque les moyens de connaître personnellement tous les faits qu’il dévoile ? L’analyse interne du document suggère une réponse affirmative pour la plupart d’entre eux, surtout pour ce qui concerne les circonstances concrètes liées à son propre travail de répression. D’autre part, selon son propre aveu, le texte fait état de renseignements plus généraux (par exemple lorsqu’il affirme que 90 % du commerce de l’or sont contrôlés par la DINA) qu’un agent d’exécution comme lui pouvait difficilement constater de façon statistique. Dans de tels cas, il s’agirait plutôt de « rumeurs » circulant à l’intérieur du service secret et recueillies par cet agent.
Finalement, une affirmation, une seule, nous paraît tout à fait hors des compétences de Munoz Alarcon. Là se trouve peut-être, en langage codé, la clef du mystère à la fois de ses aveux et de la mort. Lorsque l’homme à la cagoule parle des sous-agents chiliens de la C.I.A., iI mentionne spécialement l’agent en titre de la C.I.A., un fonctionnaire, dit-il, de l’ambassade des Etats-Unis à Santiago. Comment donc le délateur, qui n’est même pas capable de prononcer correctement le nom du Chilien d’ascendance anglaise qui le parraina avant le coup d’Etat (il dit « Carlos Aston », au lieu de « Ashton »), voilà qu’au moment de décliner l’identité du diplomate américain, il cite ses deux prénoms « James John », chose qui ne se fait pratiquement jamais dans la vie courante aux Etats-Unis. Dans un service de renseignements, qu’y a-t-il de plus secret que les liens qui unissent l’officier « traitant » (case officer) à ses sous-agents ? Ce ne sont pas de simples « rumeurs » qui auraient pu les révéler à un homme de main de la police secrète chilienne. Hypothèse : le délateur aurait été autorisé, voire poussé, par quelqu’un de l’appareil supérieur de la DINA qui, sachant qu’il voulait faire des aveux, exigea de lui qu’il ajouta au récit de ses propret expériences le nom d’un Américain. S’il en fut ainsi, qui donc, une fois cette confession entre les mains de tiers, avait le plus grand intérêt à faire disparaître le délateur, seul à connaître celui qui ainsi le manipule.
« J’en tirais les joies de la vengeance... »
« Je m’appelle Juan René Muñoz Alarcon, carte d’Identité 4 824557-9, Santiago. J’ai trente-deux ans. Je suis marié et je vis au 331, rue Sargento-Menadier, à Puente-Alto, Poblacion Malpo. Je suis un ex-dirigeant du parti socialiste, ex-membre du comité central des Jeunesses socialistes, ex-dirigeant national de la CUT (Central Unica de Trabajadores) : j’appartenais à la Confédération des travailleurs du cuivre.
En 1973, j’ai quitté le PS. Je suis parti parce que je n’étais pas d’accord sur certaines choses. Ces choses, je les avais dénoncées dans la presse, à la télévision, à la radio. Cela se passait quatre ou cinq mois avant le coup d’Etat militaire, et cela m’avait valu d’être persécuté, traqué par les gens du parti. Ils ont même brûlé ma maison, j’ai perdu ma famille. A l’époque, j’étais marié et j’avais six enfants : des gens de droite m’ont recueilli. Pour être plus précis, Carlos Aston, qui est aujourd’hui consul général du Chili en Afrique du Sud. Ils m’ont caché, ils m’ont nourri, parce que j’en étais aux dernières extrémités : il ne me manquait que de me suicider.
Après, il y a eu le « pronunciamiento » des militaires. On m’a conduit au Stade national pour y reconnaître les gens. Cela, je l’ai fait à l’époque bien volontiers, parce que j’avais, moi, un désir de revanche envers mes anciens camarades, à cause de la persécution dont, j’avais été l’objet de leur part à eux. L’homme à la cagoule du Stade national, c’est moi. Les services de sécurité m’ont fait passer une cagoule et m’ont fait parcourir les différents secteurs où se trouvaient les détenus. J’y ai reconnu pas mal de gens. Beaucoup en sont morts, et c’est moi le responsable de leur mort, par le seul fait de les avoir reconnus et de les avoir accusés d’être mes anciens camarades, soit des membres du comité central, soit des membres de l’appareil de sécurité du parti.
Plus tard, on m’a demandé de sortir dans la rue avec des groupes de militaires, afin de reconnaître des gens dans les places. Malheureusement, je suis tombé sur Miguel Plaza ; c’est grâce à moi qu’il est vivant aujourd’hui. Je n’ai pas voulu le reconnaître. Mais, par malheur, il y avait une photo sur laquelle on nous voyait ensemble tous les deux, et par le fait d’avoir menti j’ai passé trois mois en prison. On m’a traité comme les autres détenus c’est-à-dire que l’on n’a pas tenu compte du fait que je n’appartenais plus au parti et que je n’étais mêlé à rien.
Plus tard, j’ai été remis en liberté, à condition de collaborer : on m’a conduit à Colonia-Dignidad, dans Parral, à quelque 40 kilomètres, plus ou moins. Il y a là-bas un centre de formation des agents des services de renseignements, confié à des Allemands d’origine ayant la nationalité chilienne ; ces Allemands se sont expatriés pour fuir la guerre. Ils étaient très jeunes lorsqu’ils sont arrivés ici.
Ils sont d’ascendance juive( Voir note 1). Ils ont formé un vrai régiment à Colonia-Dignidad, Ils ont un hôpital avec les équipements les plus modernes, que n’importe quel hôpital de Santiago aimerait bien avoir, avec des avions ambulances et des avions postaux et des prisons souterraines. C’est là-bas qu’ils m’ont appris à interroger des gens et à faire du travail d’infiltration. Je m’explique : ils me demandaient, de rejoindre le parti dans la clandestinité, comme si j’étais un camarade parmi les autres. Malheureusement... non, je veux dire heureusement, ceci je n’ai pu le faire, parce que j’étais déjà trop « marqué ». Tout le monde savait que j’avais quitté le parti ; c’est pourquoi cela n’a pas marché.
Plus tard, ils m’ont donné pour tache de faire la chasse aux gens, de les interroger, de les torturer et de les tuer. Mon chef direct était l’actuel directeur des affaires civiles de la junte de gouvernement, Alvaro Puga Cox, et aux côtés de lui il y avait le coordinateur de la chaîne 9 de T.V. de l’université du Chili, Jorge Schilling Rojas, étudiant en droit. Il y avait aussi le chef du personnel du Journal El Cronista, dont le nom est Zalaquett. Le chef du secteur, c’était le coordinateur national des impôts intérieurs, Anibal Maturana Contreras, un parent du général Contreras de la DINA (2).
Le « mystère » des disparitions
On croit souvent que la DINA est le seul organisme qui fait « disparaître » des prisonniers. Ce n’est pas vrai. Il y a sept services de renseignements opérant dans le pays. Le plus important c’est la DINA, sans aucun doute, où travaillent 70 au 80 % de ses agents, des militaires et des « carabiniers »pour la plupart. Les 20 % restants sont des civils, des marins et des aviateurs. Mais les marins et les aviateurs n’y participent que très peu, parce qu’ils donnent la priorité à leurs propres services de renseignements. Par ailleurs, il y a cinq services de renseignements qui disposent d’un appareil opérationnel clandestin : SIFA, SICAR, DIENE, DIGET et le département de renseignements de la police politique. J’ai collaboré avec tous ces services, sans exception. Au début, je l’admets, je le faisais dans un esprit de revanche, avec haine, et j’en tirais les Joies de la vengeance ; mais, plus tard, en raison de la situation dans laquelle je vivais et de ce que j’étais obligé de faire, l’ai réagi et essayé plusieurs fois de m’en tirer. Mais ceci n’était pas possible, car on y entre, mais on n’en sort pas. J’ai demandé de l’aide par deux fois à ce vicariat ; les deux fois on me l’a refusée. La première fois, j’ai eu une conversation avec le père Cristian ; la dernière fois j’ai aidé le père Sala, avant que la DINA lui mette la main dessus, lorsqu’il se cachait ; le gros Gutierrez et Pascal Allende (3), je les avais prévenus, le père Salas en est témoin et j’ai confirmé ces faits au père Precht.
Avec cette dénonciation je ne cherche pas à être pardonné ni à me réconcilier avec moi-même, car iI n’y a pas de mots pour qualifier ce que j’ai fait, franchement ; à présent, moi-même je ne me reconnais pas ; je n’arrive pas à m’expliquer comment j’ai pu en venir à des extrémités tellement incroyables. Mais je peux dire à ma décharge qu’il est très difficile de s’en tirer lorsque l’on n’a aucun soutien et qu’on a été piégé par les services de renseignements.
J’ai collaboré à faire disparaître quelques-unes des personnes qui se trouvent maintenant à Colonia-Dignidad. Il y a là-bas, en ce moment, cent douze personnes. Il y a quelques anciens dirigeants des différents partis de l’Unité populaire. Les autres se trouvent à Santiago, à Penalolen et à Colins ; ils sont cent quarante-cinq environ. Tous les autres sont morts. Ils ont été « portés disparus » à Peldehue par la branche « exécutrice » de la DINA, commandée par Fernando Cruzat, et dont le quartier général est au 312 de la rue Ahumada, au sixième étage. Il y a là une officine de vente et d’achat d’or : 90 % des commerces de ce genre qui existent dans le centre de Santiago appartiennent à la DINA.
Les ateliers de gravure et les serrureries appartiennent aussi à la DINA ; je peux en citer quelques exemples : 1061, rue Moneda, 121, rue Bandera ; ce n’est pas la peine de faire mention des autres, car ceux-ci sont les plus importants. C’est la qu’on garde un détenu en plein centre de la capitale : on le garde en détention préventive avant de l’emmener en ambulance à Tobalaba, au camp 4... non, au camp 4 Alamos (4), car tout le monde connaît le 3 Alamos et le 4 Alamos. Il y a en tout six lieux de réclusion. Je vous ai déjà fait mention de quelques uns. Et l’autre fait important c’est qu’ils font des « plaques » (5). Lorsqu’ils arrêtent quelqu’un, par exemple, mettons, moi-même, Juan Munoz Alarcon, ils font une « plaque », ils y mettent « Francisco Lopez Aguirre » et c’est pourquoi, lorsque l’on présente une demande d’habeas corpus, on ne trouve jamais le nom, mais l’homme, lui, iI est en réalité détenu. Ils brûlent tous ses papiers, les vrais, et ils lui, collent la « plaque ». Quelques-uns figurent comme ayant quitté le pays, parfois, et iI est vrai qu’ils ont quitté la pays : ils ont été emmenés en Argentine et, ensuite, on les a fait rentrer en avion. D’autres fois, quand l’homme se refuse à collaborer — et je veux que cela soit clair, car là-dedans tout le monde collabore, sans exception, que ce soit clair — on fait une plaque à un agent de la DINA, et ce dernier traverse la frontière avec les papiers d’identité du premier ; celui-ci figure donc officiellement comme ayant quitté le pays, et plus tard on l’exécute.
Vraiment, je m’étais bien préparé à faire cette déclaration, mais je me sens un peu nerveux, parce que je sais ce que cela veut dire pour moi : je me tiens pour mort, on m’en veut des deux côtés. Ceci est pour moi bien clair. C’est pourquoi je ne demande ni aide ni protection. Parce que ce seront aussi bien mes anciens camarades qui vont me tuer pour se venger de moi, que ces autres-là, car, du moment qu’on a cessé d’être utile, il vaut mieux faire taire les témoins, plutôt que de les laisser parler. C’est bien plus sûr.
Quant au fonctionnement du système : on arrête les gens à Santiago, on les emmène à Tobalaba ; près de Grimaldi (6) Il y a une villa assez grande où on les garde détenus. Cette villa s’appelle Dignidad. Il y a là-bas une radio par laquelle on peut se mettre en communication, en quelques secondes, avec n’importe quel pays du monde : c’est à cet endroit que l’on centralisa la réception de tous les renseignements en provenance du réseau de la DINA à l’étranger. En ce moment, à 90 % le personnel de la DINA travaille au Venezuela, en Colombie, en France, en Suède et en Italie : je veux dire les officiers du cadre permanent, et non pas le personnel civil. Le personnel civil reste au pays pour y remplacer les premiers. Et d’où proviennent ces groupes, et de qui dépendent-ils ? C’est Cruzat qui a livré l’assaut à la Confédération, des employés de l’Etat (ANEF) (7). avec le groupe 1 du 121 rue Bandera. Je voulais signaler que Fernando Cruzat est le demi-frère du capitaine Jorge Zunino (8). chef de la section du travail du régiment Tacna, deuxième département, qui a à sa charge toutes les industries de Santiago et de sa région. Cet organisme a le pouvoir de persécuter, faire disparaître, licencier et terroriser tous les travailleurs en général, avec l’aide de la chef du personnel des industries métallurgiques ASA, Ivonne Rios Talledo, assistante sociale, et de la gérante du personnel de CINTAC, Carmen Smith : ces deux-là ont ce système à leur disposition. Cette « section du travail »a à son service une véritable armée de mou-chards, grâce à qui les services de renseignements peuvent arrêter, interroger, torturer et comme je l’ai déjà dit plusieurs fois, tuer tous ceux qui expriment leur mécontentement envers le gouvernement. Il suffit d’un seul mot contre le gouvernement pour perdre son emploi. Le plus important dans tout cela, ce qu’il faut dire clairement afin que la justice règne à nouveau dans ce pays, c’est que le gouvernement actuel a dépassé toutes les limites possibles de la légalité ; c’est un gouvernement totalement illégal.
Il existe en ce moment, dans le pays, un escadron de la mort, sous les ordres du capitaine Ralando Larenas, officier d’artillerie, que je nomme afin que, plus tard, on puisse l’identifier. Cet homme est en liaison permanente avec les services de renseignements brésiliens, argentins et uruguayens, qui agissent librement et sans discrimination dans ce pays. Cinquante pour cent des automobiles immatriculées en Argentine qui entrent au Chili par les différents passages [de la Cordillère] le font sous prétexte de tourisme, mais, en réalité, elles appartiennent aux, services de renseignements argentins, qui travaillent en liaison avec nos services. Leur tâche consiste à faire la chasse à l’homme à l’étranger, puis à le conduire ici : et c’est ici que tout se termine ; on échange des prisonniers ; tout ceci se fait avec l’autorisation et l’accord du président de la République, qui est le chef direct de toute cette affaire, car le chef de la DINA est responsable directement devant lui. Le ministre de l’Intérieur et le ministre de la Justice n’ont aucun pouvoir sur ces services.
Un autre homme que l’oubliais et qui est très important, c’est Daniel Galleguillos, mari de Silvia Pinto ; tous les deux sont des responsables de la C.I.A. dans ce pays : Ils sont dirigés par James John Blaayton, de l’ambassade américaine, et par la secrétaire chilienne de l’ambassadeur, Shella Fartnocon. L’un de ses collaborateurs immédiats est un ancien socialiste comme moi-même, qui jouit de l’entière confiance du P.S. en ce moment : ce traître s’appelle X... (9). C’est par sa faute que sont tombés Exequiel Ponce et tous ceux qui sont tombés récemment.
Voilà donc, en gros, ma dénonciation. J’autorise ce vicariat à en faire l’usage qu’il jugera le plus utile, sans aucun souci des conséquences ; je suis prêt à tout pour des raisons de sécurité, car je suis menacé de mort et je sais que, tôt ou tard, je vais mourir, pas d’un coup de pistolet, car ils ne sont pas si sois, mais je vais faire une crise cardiaque, ou je vais glisser et tomber par terre au moment de monter dans un bus, ou je vais faire une mauvaise chute n’importe où, car on ne meurt pas que d’un coup de revolver. Je fais ceci par mesure de sécurité, je le répète, afin que ce témoignage puisse être utilise au bénéfice de tant, de gens qui souffrent, ce dont je suis responsable, pas directement si l’on veut, mais responsable tout de même au fond, et je le fais pour mettre en lumière la vérité. Je suis prêt à me présenter devant un tribunal ou à aller partout où il faudra afin de dénoncer et de ratifier toutes ces choses.
« Ils ne sortiront pas vivants... »
Tout ce que je viens de déclarer, je le dis en pleine possession de mes facultés, car je n’ai jamais été malade de quoi que ce soit, sauf quelques rhumes de cerveau, et sans avoir subi des pressions d’aucune sorte, mais au contraire spontanément, car je crois qu’en ce moment iI faut le faire. Je crois que les conditions sont réunies pour affronter. ce monstre qu’est la DINA. Je veux aussi témoigner du fait je suis prêt à le jurer s’il le faut qu’une partie des prisonniers sont en vie, en mauvaises conditions physiques, et beaucoup d’entre eux se trouvent au bord de la folie à cause du traitement très dur qu’ils ont subi.
Je pense en particulier à Carlos Lorca, à Ponce, chef du Front Intérieur du parti socialiste et secrétaire général au moment de son arrestation. Ils sont à Colonia Dignidad, au pavillon n° 2. Je pense aussi à Y... (10), des Jeunesses communistes et du comité central, qui a donné beaucoup de monde, mais iI faut dire à sa décharge qu’il a été affreusement et sauvagement torturé.
Il y a une revue jaune où j’ai marqué de ma propre main des numéros et des noms, j’ai indiqué ceux qui sont en vie et ceux qui sont morts ; les vivants ne sont pas plus de cent cinquante personnes, j’ai dit déjà le chiffre exact : ce sont cent quarante et quelque ces gens-là figurent avec leurs noms dans les archives officielles, mais dans les archives que la DINA possède rue Vicunia-Mackenna. dans les archives de l’état-major des forces armées. Ils figurent sous des faux noms, tous sans exception. Au lieu même de détention, ils sont enregistrés avec leurs deux noms, le vrai et le faux, celui de la plaque le vicariat devrait oser... s’il le juge opportun, car vous avez ici un témoin qui les a interrogés et qui les a vus, et vous avez également un témoin de leur présence à Colonia-Dignidad ; ce témoin, je ne vais pas le nommer maintenant, mais je le ferai le moment venu, si cela peut servir à quelque chose. Ces gens-là n’ont, jusqu’à présent, aucune garantie d’en sortir vivants, je crois qu’ils ne sortiront pas vivants en réalité, car du moment que l’on ne sait pas qu’ils sont détenus c’est parce qu’ils étaient des hommes importants dans la clandestinité et si on les garde en vie pour l’instant, c’est pour les utiliser et pour faire tomber les autres.
Les lieux où il faut s’attaquer au mal, je le répète, sont Colonia-Dignidad, Collna et Penalolen, Nulle part ailleurs vous n’allez trouver des détenus « disparus ». Vous pouvez trouver des détenus occasionnels dans plusieurs endroits, mais les disparus sont dans ces trois lieux. Les femmes sont à San-José-de-Malpo où se trouvent les malades pulmonaires.., c’est incroyable, mais c’est un endroit excellent pour cacher des gens. Sans doute, d’autres sont tombés ces derniers jours ou ces derniers mois, mais certains d’entre eux sont en vie, comme c’est le cas pour Contreras Maluje. Vu que la Cour suprême a ordonné la mise en liberté immédiate de ce monsieur. Le vicariat devrait dénoncer le lieutenant Fuentes, du service opérationnel de renseignements de la FACH (Force aérienne), pour ne pas exécuter l’ordre que ce tribunal a donné de laisser cet homme en liberté, parce que ce sont eux qui l’ont. Le seul service qui cache des gens et qui arrache des prisonniers à la DINA, c’est le dispositif d’infiltration de la FACH, qui a détruit presque totalement le MIR (Movimiento de Izquierda Revolucionaria), avec l’aide du célèbre. commandant Raul, dont le vrai nom est Raul Roma.
Et voilà, c’est pratiquement tout ce que j’ai à dire et à ratifier, et je suis prêt à le faire d’une manière légale, devant un notaire ou devant les tribunaux, pour le bien et pour en finir avec l’injustice dans ce pays et afin qu’un citoyen puisse sortir dans la rue avec l’assurance qu’il marche dans un pays libre et non pas avec la peur et la terreur d’être surveillé ou attendu par des gens qui se tiennent à l’affût dans un coin de rue parce qu’un voisin l’aurait accusé d’être communiste ou socialiste. Je suis à votre disposition quand vous le voudrez et quelles que soient les circonstances, et si plus tard Je peux vous rendre service vous pourrez compter sur moi inconditionnellement. Je ne demande rien, je ne veux rien, je ne veux pas que quelqu’un réponde de moi, parce que chacun de nous doit assumer la responsabilité de ce qu’il a fait et faire face aux conséquences le moment venu. S’il y a des pressions contre mol, c’est de la part du gouvernement. Tout cela, je l’ai fait librement et sans pressions, et j’ai maintenant la conscience en paix parce que j’ai dit la vérité. »
Juan René Muñoz Alarcón
Notes :
(1) Munoz Alarcon, comme le montre sa manière de s’exprimer, respectée par la traduction, est un homme assez frustre. Les Allemands dont il parle ici ne sont pas d’ascendance juive mais bien des anciens nazis. D’autres erreurs ou contradictions peuvent être relevées
(2) Ancienne police secrète dissoute le 12 août 1977 et remplacée par le centre national de renseignment (C.N.I.)
(3) Gutierrez et Pascal Allende étaient des dirigeants du miuvement de la gauche révolutionnaire (MIR)
(4) Il s’agit du camp de concentration de Cuatro-Alamos.
(5) « Chapas » (plaques) : fausses pièces d’identité.
(6) Centre de torture appelé Villa Grimaldi.
(7) Le siège central de l’ANEF (Agrupacion Nacional de Empleados Fiscales) fut pris d’assaut par la DINA.
(8) Il se peut que l’orthographe de ce nom soit incorrecte.
(9) Le nom figure en toutes lettres dans la confession. faute d’avoir pu vérifier l’accusation, nous l’éliminons évidemment.
(10) Là encore, le nom est cité. La personne visée aurait été exclue du parti à la suite des faits rapportés.