PRÉSENTATION DE LA REVUE
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La revue Araucaria de Chile fut une parcelle de l’immense espace occupé par la culture chilienne de l’exil. Revue pluridisciplinaire, elle fut publiée de façon trimestrielle sans interruption pendant douze ans, entre 1978 et 1989, soit un total de 48 numéros. Elle circulait dans près de 50 pays, et même clandestinement au Chili. La rédaction siégeait à Paris jusqu'en 1984, année où elle fut transférée à Madrid, où, depuis ses débuts, on l’imprimait et on organisait sa distribution. Comme le raconte Carlos Orellana, son éditeur, Araucaria fut fondée un week-end de mai, en plein printemps européen. Bien que le siège de la rédaction se trouvait à Paris d’abord, puis à Madrid, et que le directeur résidait à ce moment à Moscou, l’acte fondateur eut lieu à Rome : fragmentation géographique à l’image de l’extension de la diaspora.
On publia énormément de revues pendant ces années-là, mais Araucaria fut l’une des plus importantes, par l'ampleur des thèmes traités, par la qualité, l’homogénéité et l’intérêt de ses articles; ainsi que par le prestige de ses collaborateurs. La revue attira, en effet, des incontournables de la culture hispanique. Parmi ses collaborateurs on peut citer entre autres : Gabriel García Márquez, Julio Cortázar, Rafael Alberti, Ernesto Cardenal, Mario Benedetti, Ernesto Sábato, Carlos Fuentes, Eduardo Galeano, Francisco Coloane, Antonio Skármeta, José Miguel Varas, Jaime Concha, Hernán Soto, Volodia Teitelboim, Isabel Allende, Ariel Dorfman, Virginia Vidal, Ligeia Balladares, Cecilia Salinas, Olga Poblete, Eugenia Echeverría, Miguel Rojas Mix, Armando Uribe Arce, Radomiro Tomic, Gonzalo Arroyo, Patricio Manns ou encore Juvencio Valle.
Araucaria finit par devenir un objet culturel de référence obligatoire entre les Chiliens de la diaspora et parmi les intellectuels de culture hispanique en général.
LES OBJECTIFS DE LA REVUE
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La publication de la revue Araucaria visait également à répondre au terrible « apagón cultural » qui s’était abattu sur la société chilienne. C’est cette situation de décadence culturelle qu’Araucaria se proposait de combattre, comme le déclare l’éditorial du premier numéro. Il s’agit de concevoir la culture comme une forme de résistance et de combat politique sans perdre de vue la rigueur intellectuelle.
La revue est née également de la douloureuse prise de conscience par la diaspora que la dictature, et par conséquent, l’exil, allait durer. La revue Araucaria témoigne aussi des différentes étapes traversées par l’exil. Dans un premier temps, l’exilé eut besoin d’évoquer, de se remémorer les circonstances de la prise de pouvoir des militaires. C’est ainsi que se développa le genre du témoignage qui n’avait jamais connu au Chili pareil essor. Araucaria offre un ample aperçu de cette écriture testimoniale. Par la suite l’exil fut perçu, en tant que nouvelle condition, comme un objet d’étude sur lequel il fallait se pencher. Des écrivains, des sociologues, des psychologues, des historiens abordèrent la question de l’exil sous des angles à chaque fois différents.
PREMIÈRE ÉQUIPE DE LA REVUE
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De la première réunion constitutive de Rome à laquelle assistèrent Volodia Teitelboim, Carlos Orellana, Omar Lara, Hernán Loyola, Sergio Muñoz Riveros, Agustín Olavarría, Héctor Pinochet, seuls le directeur et l’éditeur nommés à ce moment ont pu poursuivre le travail au sein de la revue. Pour des raisons d’éloignement géographique, les autres membres sont devenus des collaborateurs extérieurs de la revue.
L’équipe de rédaction initiale, composée par Eugenia Neves (professeur de littérature), Soledad Bianchi (critique littéraire), Luis Bocaz (professeur et essayiste), Carlos Martínez (architecte), Osvaldo Fernández (professeur de philosophie) et Luis Alberto Mansilla (journaliste), permit de donner à Araucaria, grâce à la diversité professionnelle de ses membres, la physionomie espérée. Celle d’une revue à la fois politique, littéraire, philosophique, journalistique et, de façon générale, tournée vers l’ensemble des sciences sociales ; et dont l’axe fédérateur était le Chili, et par extension, toute l’Amérique Latine.
UNE REVUE LATINO-AMÉRICAINE ADRESSÉE AUX CHILIENS
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Un des partis pris de la revue fut de privilégier les collaborateurs chiliens. La revue se proposait de donner aux Chiliens l’opportunité qu’offrait l’exil de « penser » le Chili. Il s’agissait de se concentrer sur les problèmes spécifiques à la société chilienne. La revue offre ainsi un large éventail de la production culturelle de cette époque, aussi bien à travers la publication d’œuvres de création (narration, poésie, théâtre) que de travaux d’analyses et de critique.
Araucaria est aussi une revue latino-américaine adressée aux Chiliens ; dans le sens où il s’agissait d’offrir aux Chiliens une possibilité de compléter et d’approfondir leur connaissance de la réalité latino-américaine. Jusqu’alors les Chiliens avaient une attitude méprisante à l’égard de leurs voisins latino-américains, mais le coup d’Etat militaire de 1973 et la brutalité de la répression démontrèrent que la réalité chilienne était tout à fait semblable à celle des autres pays latino-américains. Les Chiliens apprirent dans l’exil qu’ils ne pourraient jamais comprendre l’histoire de leur pays s’ils ne n’inscrivaient pas dans l’histoire plus vaste du continent. La revue s’est donc proposé d’œuvrer pour cet élargissement de perspectives. A l’image de l’arbre appelé araucaria, la revue voulut s’enraciner dans la culture de la terre mère, tout en recevant le vent des courants universels.
La revue finit donc par développer un style propre, différent d’autres publications similaires : une revue militante au contenu exigeant, où le slogan fut remplacé par la réflexion.
LA DIMENSION POLITIQUE DE LA REVUE
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La dimension politique de la revue est perceptible dès sa création. La revue fut, en effet, fondée à l’initiative de la direction extérieure du Parti Communiste chilien qui siégeait alors à Moscou au milieu d’une situation de crise profonde. 1976 fut une année sombre pour la gauche chilienne : la politique répressive de la dictature s’était en effet concentrée sur l’extermination des communistes et des militants d’extrême gauche : les directions successives du PC furent exterminées.
Parallèlement, les années de la revue Araucaria à Paris sont liées à la période d’apogée de l’activité politique de l’exil chilien en France, mais aussi de la solidarité française. Ce fut notamment le journal de l’Humanité qui facilita des locaux pour la rédaction. Á Paris, la revue jouissait d’un nombre impressionnant de lecteurs : une multitude de réunions se déroulaient au Département d’Etudes Ibériques de la Sorbonne Nouvelle, à l’Institut des Hautes Etudes d’Amérique Latine ou encore au théâtre Jean Louis Barrault. Le premier colloque de Littérature chilienne de l’exil est organisé en juin 1983. Carlos Orellana y présenta une communication sur Araucaria.
En 1979, Pinochet montra la revue Araucaria à la télévision comme preuve des recours matériels abondants dont jouissaient les marxistes pour arriver à leurs fins perverses et dangereuses. D’après lui, c’étaient des millions qui étaient requis pour publier une revue si « luxueuse ». Réflexion amusante lorsque l’on sait que l’infrastructure humaine de la revue était presque inexistante: à part les trois premiers mois pendant lesquels la revue bénéficia d’une secrétaire, au long des douze années suivantes, Araucaria fonctionnait grâce à deux personnes salariées : l’éditeur (Orellana) et un employé qui assurait le secrétariat et la distribution (Marcos Suzarte occupa ce poste au cours des dix dernières années). La revue manquait de moyens : il n’y avait pas de correcteur officiel et on travaillait sur une vieille machine à écrire.
LES COLLABORATEURS DE LA REVUE
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L’aspect « luxueux » de la revue résidait surtout dans la qualité du design. Ce fut Guillermo Tejada qui conçut le premier numéro ¾ainsi que le logo de la revue¾, remplacé par la suite par Fernando Orellana. De plus, la revue bénéficia de la collaboration bénévole d’une centaine d’artistes plasticiens chiliens ¾peintres, sculpteurs, dessinateurs, graveurs, photographes¾ tel que le peintre Roberto Matta. Araucaria présente ainsi un éventail assez large de la production plastique de l’époque.
Il est important de souligner qu’aucun collaborateur de la revue ne réclamait d’argent. Aucune rémunération n’était prévue non plus pour les militants ni pour les amis de la cause chilienne qui permirent sa distribution et sa vente. C’est pourquoi on peut dire que la revue Araucaria reposait sur la solidarité. Le seul objectif des collaborateurs étant de contribuer à la lutte contre la dictature.
Dans les dernières années, lorsque la situation politique chilienne laissait deviner la fin prochaine de la dictature, la revue chercha des appuis au Chili, intégra des collaborateurs locaux, en espérant s’installer au Chili dès que les conditions politiques le permettraient. Mais Araucaria cessa de paraître au moment de l’extinction de l’ère Pinochet. La revue, intrinsèquement liée à l’exil, disparut à l’instar des conditions qui l’avaient générée.
UN PATRIMOINE CULTUREL
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Cette communauté d’intellectuels qui a été arrachée à son sol natal a trouvé dans l’écrit non seulement une forme de lutte politique, mais aussi une sorte de territoire. Pour les exilés, l’écrit fut le lien avec le pays d’origine. La revue Araucaria fut au cours de ses douze années d’existence la capitale de ce territoire fait de mots, d’analyses et de récits. Elle constitue par conséquent la mémoire de l’exil et l’héritage que les exilés laissent à leurs enfants restés en France ou retournés au pays. Un patrimoine symbolique que la Cité de l’histoire de l’immigration a désormais la charge de sauvegarder pour que tous ceux qui le souhaitent puissent savoir ce qui s’est pensé, écrit, rêvé au cours de l’exil chilien. La revue Araucaria est en effet aujourd'hui la source la plus précieuse pour qui souhaite approfondir la connaissance de ce qu'a été la vie et l'activité créative du Chili extra-muros pendant la dictature.
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[1] Ce texte a été écrit à l’occasion de l’entrée officielle de la revue chilienne Araucaria dans le fonds de la Cité de l’histoire de l’immigration. Il est aussi l’occasion de rendre hommage à son éditeur, Carlos Orellana qui nous a quittés le 19 octobre 2013, quelques jours après les tables rondes autour de l’exil chilien organisées par la Cité de l’histoire de l’immigration.