LES MAPUCHE LUIS PENCHULEO, PEDRO CAYUQUEO ET DANKO MARIMÁ. PHOTO QUÉ PASA |
Enfants, ils ont gardé le bétail
Fernando Díaz, 53 ans, est prêtre de la congrégation du Verbe divin. Il est arrivé dans la région en 1975 et parle de mieux en mieux le mapudungun. En plus de vingt ans, il a suivi plusieurs générations de jeunes Mapuches. “La différence entre cette génération et les autres est que celle-ci est consciente de ses droits parce qu’elle a eu accès à l’éducation”, explique-t-il.
Enfants, ils ont gardé le bétail, puis ils ont travaillé comme saisonniers pendant l’été. Aujourd’hui, ils vont à l’université et sont membres actifs du mouvement mapuche. Ils comptent bien rester en première ligne lorsqu’ils auront terminé leurs études, en tant que leaders ou en œuvrant au sein de leur communauté. Plusieurs d’entre eux ont déjà décroché leur diplôme et ont choisi de rester fidèles à leur culture, de ne pas se “chiléniser”. C’est ce qu’ont fait Pedro Cayuqueo, 33 ans, directeur de la revue Azkintuwe (Le mirador), et Danko Marimán, 26 ans, un anthropologue qui a étudié à l’université du Massachusetts, sorti trois disques de hip-hop en mapuche, réalisé le documentaire En el nombre del progreso [Au nom du progrès]. “La réalité est que nous ne nous sentons pas chiliens : nous sommes mapuches”, déclare-t-il.
“Notre génération suit l’exemple de Lautaro [chef mapuche, 1535-1557], qui a vécu avec les Espagnols [de l’âge de 11 à 18 ans] et ensuite, fort de ses connaissances, est revenu pour leur faire la guerre”, explique Luis Penchuleo, 27 ans, étudiant en cinquième année de journalisme à l’université de La Frontera (UFRO). “Nous faisons la même chose à l’université : nous apprenons à penser comme les winkas, mais sans oublier qui nous sommes.” Le jeune homme a été candidat au poste de maire pour la liste Lautaro por el Partido Mapuche, un mouvement dans lequel milite également Cayuqueo et qui a commencé, en octobre, à réunir les signatures requises par la loi pour son officialisation.
“Moi, par exemple, j’étudie le droit pour rétablir la justice, dit Natividad. Lorsqu’on regarde les lois, on se rend compte qu’elles ne sont pas faites pour nous, mais pour les Chiliens. Les gens ne nous connaissent pas. En fait, ils se méprennent sur les Mapuches. Ils n’aiment que le côté charmant et folklorique. Lorsqu’ils voient le reste, lorsqu’ils voient que les Mapuches connaissent leurs droits et exigent qu’ils soient respectés, cela ne leur plaît plus.”
José Ancalao est devenu un membre actif du mouvement mapuche dès l’enseignement secondaire : il essayait, en vain, d’aller en classe vêtu du poncho en laine traditionnel. Aujourd’hui, il est l’un des visages visibles d’un groupe où tout le monde se connaît. Il a grandi à Purén, où son père était ouvrier forestier. Selon lui, l’un des facteurs qui ont poussé les membres de sa génération à retourner à leur culture d’origine est l’obligation qu’on leur a faite, enfants, de s’“espagnoliser” : ils ont dû apprendre l’hymne national en espagnol, hisser le drapeau chilien et assimiler la version winka de l’Histoire. “Nos héros ne sont ni O’Higgins, ni Arturo Prat, mais Lautaro, Galvarino et Curiñenco”, poursuit-il.
Jonathan Zapata, 21 ans, étudie la pédagogie interculturelle dans le contexte mapuche à l’UCT. Il est le porte-parole de Pelontuwe, l’un des foyers d’étudiants mapuches emblématiques de Temuco (c’est là qu’a été veillé le corps de Matías Catrileo, tué lors d’un affrontement policier en janvier 2008). Il a eu les mêmes expériences que José Ancalao. “A l’école primaire, on était même notés pour les fleurs qu’on apportait pour le mois de Marie”, raconte-t-il.
Des livres et des chants de lutte
En 2005, en pleine “révolution des pingouins” – c’est ainsi que l’on appelait les lycéens qui ont manifesté pendant plusieurs semaines contre le gouvernement de Michelle Bachelet –, Ancalao, Zapata et Pablo Millalén (21 ans), aujourd’hui étudiant en travail social à l’Université autonome de Temuco, ont fondé Melinewen (Quatre forces), la principale organisation lycéenne mapuche. “Melinewen a porté un grand coup à l’enseignement de la vérité historique”, explique Ancalao, qui à l’époque était également le leader régional des “pingouins”. “Nous nous sommes rendu compte un jour que nous devions agir non seulement comme lycéens, mais aussi comme Mapuches”, poursuit-il.
Ils représentent un échantillon de cette génération qui va à l’université tout en puisant dans le savoir mapuche. Une génération qui a décidé d’apprendre à parler et à écrire le mapudungun et qui questionne parents et grands-parents pour tenter de reconstruire le passé. Des jeunes dont les enfants ne porteront pas de prénoms chiliens, comme ceux qu’on leur a donnés. “Nos grands-parents n’ont pas appris le mapudungun à nos parents parce qu’ils avaient peur qu’ils subissent une discrimination s’ils parlaient mal l’espagnol, précise Ancalao. Mais nous, nous voulons récupérer notre langue.”
Pour apprendre, au-delà des versions “traditionnelles” ou winkas de l’histoire du Chili, ils lisent les livres et les journaux écrits par des peñis [frères], comme Azkintuwe et les articles du site d’information Mapuexpress.net. Les jeunes Mapuches ont également leurs propres chants de lutte. La chanson la plus emblématique s’intitule Una sola lucha [Une seule lutte]. Interprétée par le groupe Weliwen, on la trouve sur tous les téléphones portables des Mapuches. Beaucoup ne veulent fonder une famille qu’avec un ou une autre Mapuche – ni avec un Occidental ni avec une chiñura [Chilienne non mapuche] – et comptent utiliser l’université, ou le “savoir winka”, comme ils l’appellent, comme un instrument au service de la cause mapuche. “Cette génération est très curieuse, elle ne cesse de réclamer des livres à lire”, explique le missionnaire Fernando Díaz. “Elle a appris à ne pas avoir peur de dire ce qu’elle pense et à se battre pour sa liberté. Ses membres sont fiers d’être mapuches et exigent de la société chilienne qu’elle applique les principes d’égalité, de fraternité et de liberté.”
Leticia Huaiqui Machil, 24 ans, étudiante en pédagogie interculturelle dans le contexte mapuche, a posé son propre diagnostic sur le retour aux origines effectué par sa génération : “Nos ancêtres nous demandent de le faire. Je ne crois pas que nous pourrons y parvenir seuls, mais en répondant aux prières de nos ancêtres.” La jeune femme est vêtue à la mode mapuche : un foulard en soie rose sur la tête et une couverture en laine noire sur les épaules. C’est ce costume qu’elle porte lorsque l’UCT lui demande de venir passer les examens en “tenue de ville”. Nombre de ces étudiants et leaders dormaient jusqu’à récemment encore dans des rucas [maisons traditionnelles mapuches]. C’est le cas de Jonathan Zapata et de Pablo Millalén. Ils se souviennent des mauvais moments qu’ils ont traversés lorsqu’ils sont entrés au lycée à Temuco. Les gens se moquaient d’eux, leur disant par exemple qu’ils étaient “fumés” parce qu’ils séchaient leurs vêtements au-dessus du feu. “Tout cela nous a marqués et a fait de nous ce que nous sommes, mais nous n’éprouvons pas de rancune”, affirment-ils.
Note : * Cette grève de la faim, commencée le 12 juillet dans cinq centres de détention, a duré quatre-vingt-cinq jours, au terme desquels 34 Mapuches – reconnus comme prisonniers politiques par la plupart des organisations internationales – ont obtenu de ne plus être poursuivis en tant que “terroristes”. Les grévistes avaient été pour la plupart arrêtés en 2009 lors d’une mobilisation mapuche pour la récupération de leurs terres ancestrales.