[ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ]
Les photos qui montrent le cadavre du père André Jarlan ont été recollées après les perquisitions de la police chilienne. Elles montrent un homme effondré sur son bureau, baignant dans son sang, avec à la base de la nuque le trou d'une balle. Cette scène remonte à déjà près de quinze ans. Le prêtre français André Jarlan vivait alors au sein d'un des quartiers les plus protestataires de Santiago, celui de la Victoria.
Le 4 septembre 1984, il se trouvait à sa table de travail lorsqu'une balle a traversé la mince cloison en bois de son habitation. Les rafales tirées par la police chilienne ne semblaient pas lui être destinées, mais visaient un groupe de journalistes en fuite. L'auteur du tir sera condamné à une peine symbolique, les autorités avalisant la thèse de la balle perdue.
De passage au Chili, le ministre de la Coopération, Charles Josselin, a tenu à rendre hommage, samedi, à cet homme d'Eglise mort à l'âge de 44 ans. Il a visité la pièce dans laquelle André Jarlan a été abattu. Le décor a été reconstitué à l'identique par ses amis, une flèche indiquant sur le mur le trou laissé par le projectile mortel.
Charles Josselin a notamment pu écouter le témoignage d'un autre prêtre français, Pierre Dubois, présent à la Victoria le jour du drame. Aujourd'hui âgé de 68 ans, il a raconté la violence des forces policières, les menaces contre les prêtres qui travaillaient dans ce quartier. «Ils ne nous laissaient jamais en paix et nous reprochaient d'être des terroristes. C'est d'ailleurs comme cela qu'ils m'ont chassé d'ici, en m'accusant d'avoir participé à l'attentat manqué contre Pinochet.»
Expulsé en 1986, Pierre Dubois n'a pu revenir au Chili que quatre ans plus tard. À son retour, il a découvert un quartier complètement transformé, dans lequel la drogue se montre désormais beaucoup plus cruelle que la répression. «La lutte contre ce fléau est plus difficile que celle contre la dictature, parce qu'à l'époque l'adversaire était clairement identifié. Aujourd'hui, nous ne pouvons rien faire.» Debout à ses côtés, le prêtre Gérard Ouisse acquiesce. «Il ne se passe pas une semaine sans que l'on enterre un jeune victime d'une agression, d'une overdose, ou poussé au suicide par la drogue.»
[ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ]
Seuls les murs rappellent aujourd'hui le combat mené par les habitants de ce quartier pendant la dictature. D'immenses fresques colorées commémorent la mémoire de militants disparus et demandent justice pour les victimes. Voilà une dizaine d'années, le nom de la Victoria évoquait le combat pour la liberté et la résistance à l'oppression. Aujourd'hui, il ne sonne plus que comme celui d'un supermarché de la drogue.