«J’avais à peine 9 ans. Après une longue nuit de manifestations et de coupures d’électricité, je me préparais pour aller à l’école. Comme bruit de fond dans la cuisine, la radio Cooperativa était allumée, l’unique radio rebelle autorisée à transmettre des informations qui déplaisaient au régime.
La nouvelle de la mort d’André Jarlan a secoué mes parents. A travers leur tristesse, la mort et la peur se montraient à nouveau dans notre quotidien, sous la forme d’un démon qui osait tuer un prêtre dans un pays très catholique comme le Chili.
Jarlan était un homme qui avait pris la décision de venir vivre dans mon lointain pays, pour habiter entre les plus pauvres avec un autre collègue religieux, Pierre Dubois, dans le quartier le plus rebelle de la banlieue de Santiago, appelé curieusement La Victoria (la victoire).
Je n’ai jamais oublié ce moment. Ces trente dernières années, André Jarlan est resté dans la mémoire collective de tous les Chiliens qui ont lutté contre Pinochet. Pas seulement comme un martyr, sinon comme un résistant exemplaire. Un “héros” pour ses amis athées, un “saint” pour ses amis croyants.
Un homme qui a tout quitté pour venir en aide à des gens qui n’étaient pas forcément catholiques, en risquant sa vie pour des idéaux de liberté et de justice sociale.
Avec le temps, le destin a voulu que le pays d’André devienne mon pays d’adoption. L’idée de faire un film sur lui m’habite depuis des années. L’envie d’en savoir plus sur la vie de cet homme qui est allé mourir pour une noble cause au bout du monde m’a permis de rencontrer des gens qui l’ont connu de près.
Des gens de sa région (comme mon ami Olivier Bras), des membres de sa famille dans l’Aveyron, mais aussi à Santiago où j’ai rencontré ses amis et voisins, des témoins de la nuit de son meurtre et notamment son ami Pierre Dubois, que j’ai interviewé dans une chambre en bois très modeste située dans un quartier pauvre peu de temps avant sa mort, voilà deux ans.
Le crime d’André Jarlan, tué par un agent de police qui vit en liberté grâce à la loi d’amnistie décrétée par la dictature, reste une page fondamentale de la dictature chilienne qui, paradoxalement, reste peu connue en France.
Pendant que j’écris ces mots, ma fille de 9 ans, qui a le même âge que moi à l’époque de la mort de Jarlan, se prépare pour aller à l’école. Elle s’appelle aussi Victoria. A la radio, on entend la musique et Victoria part à l’école heureuse.
J’espère qu’un jour elle verra ce film sur André, un homme qui avait, comme son père, le cœur partagé entre deux pays, la France et le Chili. »