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lundi 1 septembre 2014

LE CHILI, LE NOUVEAU MONDE DE L'ARCHITECTURE

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Smiljan Radic est l’un d’eux. L’architecte chilien de 49 ans est l’auteur de ce qu’un chroniqueur du quotidien anglais The Telegraph a nommé « la collision entre un œuf extraterrestre et un site funéraire néolithique ».

ENTRE CAVERNE ET DOLMEN


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Cette bulle en fibre de verre couleur pierre, oblongue et translucide, présente à la fois des airs de caverne et de dolmen. Posée sur d’énormes rochers, la « folie » est installée jusqu’au 19 octobre dans le cadre bucolique des jardins de Kensington, à Londres, en vis-à-vis de la Serpentine Gallery. L’institution culturelle accueille chaque été depuis quatorze ans le projet d’un architecte n’ayant jamais construit en Angleterre. Smiljan Radic n’a même quasiment jamais construit en dehors de chez lui.

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LES PIERRES À MILLAHUE, CONSTELLENT LE MIROIR D’EAU
PHOTO CRISTOBAL PALMA 
Au Chili, les pierres font souvent partie de son langage. Elles supportent les énormes poutrelles d’acier sur lesquelles se pose le toit du spectaculaire restaurant Mestizo à Santiago (2009), tandis que plus au sud, à Millahue, elles constellent le miroir d’eau qui ouvre sur l’ample voûte en béton blanc qui coiffe les chais souterrains du vignoble de Carrie et Alexander Vik, récemment achevés.


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« LE PANNEAU KPD » LE CHILI A PRÉSENTÉ UNE SORTE DE VARIATION POLITIQUE ET IDÉOLOGIQUE SUR LE THÈME DU MUR EN BÉTON PRÉFABRIQUÉ. PHOTO GONZALO PUGA

De roche, il était également question lors de la 12e Biennale d’architecture de Venise en 2010. Smiljan Radic et son épouse sculptrice, Marcela Correa, avaient conçu Le Garçon caché dans une pierre, un énorme bloc de granit creusé et aménagé de quelques planches de bois où pouvait s’abriter une personne. Le couple a voulu, dit-il, « offrir de l’espoir pour un futur serein » après le tremblement de terre qui a frappé leur pays le 27 février 2010.

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LE PAVILLON DE SMILJAN RADIC POUR LA SERPENTINE GALLERY
, FABRIQUÉ À PARTIR DE PLASTIQUE RENFORCÉ DE VERRE. 
PHOTO 2014 IWAN BAAN
Cette année, le Chili a refait parler de lui à Venise. En guise de réponse aux consignes du Néerlandais Rem Koolhaas, commissaire général de la Biennale, qui a invité les nations présentes à réfléchir sur l’emprise globalisante de la modernité (« Absorbing modernity » – « Absorber la modernité », 1914-2014), il a présenté une sorte de variation politique et idéologique sur le thème du mur en béton préfabriqué. Bien lui en a pris. Cette audace, menée avec la rigueur scrupuleuse d’un collectionneur de papillons se piquant d’histoire, a permis au pavillon sud-américain de décrocher un plus qu’honorable Lion d’argent, deuxième plus importante distinction du rendez-vous vénitien.

L'EXTRAORDINAIRE ET LE BANAL

MATHIAS KLOTZ, DOYEN DE LA FACULTÉ D'ARCHITECTURE
DE L'UNIVERSITÉ DIEGO PORTALES, SANTIAGO DU CHILI 
« Aujourd’hui, après avoir été longtemps marginalisé, le Chili éclate sur la scène avec l’architecture la plus intéressante du continent américain, affirme l’Espagnol Miquel Adria, architecte, conservateur et éditeur du livre White Mountain (« montagne blanche»), qui accompagnait, fin 2012, l’exposition présentée par le forum d’architecture Aedes, de Berlin, la plus importante galerie privée d’Allemagne consacrée à cette discipline. L’architecture chilienne est née et s’est développée au sein de son paysage. L’exposition montre au monde la richesse de l’architecture contemporaine chilienne, où l’extraordinaire fait partie de la banalité. » Un équilibre, en quelque sorte, entre austérité et sophistication.

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« MAISON ONZE FEMMES » ARCHITECTE MATHIAS KLOTZ
PHOTO ROLAND HALBE
 
Mathias Klotz, 49 ans lui aussi, est, à cet égard, l’un des exemples les plus probants. Durant l’automne 2013, Aedes a présenté la première exposition en Europe de cet architecte, lauréat du prix Borromini en 2001 et actuel doyen de l’école d’architecture de l’université Diego-Portales de Santiago. Son titre : «La poétique des boîtes ». Car ses réalisations, résolument modernistes, se distinguent, non sans élégance, par leur incroyable clarté structurelle. En témoignent de nombreuses réalisations privées, dont la Maison Onze Femmes (2007), posée en quasi-porte-à-faux sur le rebord d’une falaise qui surplombe l’océan Pacifique, ou, plus à l’intérieur des terres, la Maison Raul (2009), simple parallélépipède soutenu en partie par un fin treillis métallique, un monument de simplicité obtenu, de surcroît, à moindres frais.

La justesse des volumes, amplifiée par le seul usage de verticales et d’horizontales, permet à l’architecte, qui manie tout autant la caméra et l’appareil photo, d’établir une remarquable correspondance avec le paysage alentour. « D’une certaine manière, ses bâtiments peuvent être considérés comme des scénarios construits, souligne M. Adria. Ils racontent l’histoire de la relation entre les habitants et leur environnement. » Tout en les préservant au mieux des risques sismiques.

FORMES SIMPLES ET AUTOCONSTRUCTION

QUINTA MONROY À IQUIQUE NORD DU CHILI
Mais la singularité chilienne s’exprime aussi dans des contextes sociaux difficiles. Alejandro Aravena (Prix mondial en 2008), créateur de l’agence Elemental, a fait sienne la formule : « Il vaut mieux construire la moitié d’une bonne maison qu’achever un mauvais logement. »

L’habitat est ici considéré comme un processus de développement. A Iquique, capitale de la région de Taracapa, dans le nord du pays, l’architecte de 47 ans a permis, selon ce principe, à cent familles d’être relogées en « accession sociale » sur les lieux mêmes de la favela qu’elles habitaient. Il a conçu l’ossature et les parties nécessitant une certaine technique (les pièces humides, notamment), charge aux occupants d’ensuite aménager, voire agrandir leur logement selon des modes d’autoconstruction maîtrisés.

Le résultat est surprenant : le dessin de la construction originelle, répétitive, se mêle aux rajouts hétéroclites des habitants. Un bel exemple d’architecture – et d’architecte – modeste.