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Les prix du lithium, un minerai parfois présenté comme « le pétrole du XXIème siècle », flambent. Ils ont plus que doublé depuis la fin de 2015 pour atteindre 13 000 dollars (12 243 euros) la tonne. Quant à la demande mondiale, en forte hausse, elle pourrait dépasser les 170 000 tonnes en 2021, selon la Corporation nationale du cuivre (Codelco), à Santiago. Car ce métal mou, très léger et blanc argenté n’est pas seulement un composant essentiel des batteries des téléphones portables. Il est utilisé par les laboratoires pharmaceutiques pour combattre les maladies bipolaires, mais aussi dans l’industrie nucléaire et dans l’automobile, actuellement son principal débouché pour les batteries des voitures électriques.Par Christine Legrand
SITE D’EXTRACTION DE LITHIUM DANS LE DÉSERT DE SEL DE L’HOMBRE MUERTO (NORD DE L’ARGENTINE), EN 2012. PHOTO ENRIQUE MARCARIAN |
À eux trois, l’Argentine, la Bolivie et le Chili détiennent plus de 70 % des réserves mondiales, de facile extraction. Le carbonate de lithium se trouve dans des zones désertiques, à la place de lagunes et de lacs asséchés, sur des plateaux à haute altitude.
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Les multinationales minières se sont mises en ordre de bataille, ces dernières années, avec les yeux rivés sur le dénommé « triangle du lithium », formé par les déserts de sel d’Atacama, au Chili, d’Uyuni, en Bolivie, et d’Hombre Muerto, en Argentine. Les gouvernements de ces trois Etats frontaliers d’Amérique du Sud les ont encouragées : ils misent – ou ont misé – sur les investissements étrangers pour trouver de nouvelles sources de croissance.
Le Chili était jusqu’à présent le principal producteur de lithium, avec 50 « salars » (des déserts de sel) répertoriés, dont le plus étendu est celui d’Atacama, au nord du pays, l’un des endroits les plus arides de la planète. La particularité de leurs saumures, comme en Argentine ou aux Etats-Unis, est qu’elles produisent du carbonate de lithium, plus facile et plus économique à exploiter que le lithium minéral que l’on trouve en Australie, au Brésil ou au Zimbabwe, précise Codelco.
Réduction de dépendance
La présidente chilienne, la socialiste Michelle Bachelet, s’y est intéressée de près car elle veut réduire la dépendance de son pays à l’égard du cuivre, dont le prix s’est effondré sur les marchés mondiaux alors qu’il assurait jusqu’à présent plus de la moitié des entrées de devises. « Notre situation économique est la meilleure preuve que nous ne pouvons ni être un pays monoproducteur ni diminuer l’exportation de matières premières », a fait valoir la présidente en lançant, en janvier 2016, une nouvelle politique du lithium qui repose sur des partenariats entre Codelco et des sociétés privées.
Mais le Chili n’est plus seul à miser sur l’« or blanc ». De l’autre côté de la cordillère des Andes, l’Argentine met les bouchées doubles pour rattraper son retard sur ses deux voisins. Ces derniers mois, des hommes d’affaires venus du Japon, de Chine, de Corée du Sud, d’Australie ou de France ont débarqué dans les provinces du Nord-Ouest - Salta, Jujuy et Catamarca. La bataille du lithium a redoublé de vigueur depuis l’arrivée à Buenos Aires du nouveau gouvernement de centre droit de Mauricio Macri. Dès sa prise de fonction, le 10 décembre 2015, M. Macri a multiplié les gestes d’ouverture commerciale à l’international et surtout, il a supprimé, le 12 février 2016, les taxes sur les exportations minières qui étaient de 5 % à 10 %. Seule une redevance de 3 % doit être désormais versée aux provinces où se trouvent les gisements.
Les réserves argentines permettraient de produire de quoi approvisionner l’industrie japonaise des portables et des voitures électriques pendant quatre ans. Avec les baisses d’impôt qu’il a accordées, le pays est en passe de devenir le producteur d’« or blanc » le plus attrayant pour les investissements étrangers. D’autant plus qu’il s’est ouvert à ces derniers au moment où ses voisins se faisaient, eux, plus regardants.
Rejet de plusieurs offres
Ainsi le Chili a-t-il suspendu l’octroi de nouvelles concessions à des entreprises étrangères, et la Bolivie a-t-elle interdit, pour des raisons politiques, l’exploitation du lithium par des multinationales. Le président bolivien Evo Morales a rejeté plusieurs offres de partenariat sur le lithium avec des sociétés étrangères. Quant aux projets d’exploitation de Comibol, l’entreprise minière publique bolivienne, ils sont freinés par l’opposition des populations indigènes du salar d’Uyuni, haut lieu touristique, à plus de 4 000 mètres d’altitude. C’est le plus grand désert de sel au monde – et la première réserve mondiale de lithium –, mais il reste inexploité.
Autant de raisons de lorgner l’Argentine. C’est ce qu’a fait le groupe français Eramet, avec les salars de Centenario et de Ratones, soit 500 km2 au total, dans la province de Salta. Les japonais Toyota et Mitsubishi, le sud-coréen Posco sont entrés en production dans la province de Jujuy, frontalière du Chili et de la Bolivie. Une importante compagnie chilienne, SQM, vient même de déménager en Argentine. Privatisée pendant la dictature militaire d’Augusto Pinochet (1973-1990), SQM était présidée, jusqu’en 2016, par Julio Ponce, l’ancien gendre du dictateur chilien. Associée au groupe japonais Kowa, l’entreprise dominait jusqu’à présent le marché mondial du lithium. Mais elle traverse une phase de turbulences : M. Ponce, qui conserve près de la moitié des actions, est impliqué dans de retentissants scandales de corruption qui ébranlent l’ensemble de la classe politique chilienne. Il est aussi accusé d’évasion fiscale.
Si le président Macri a décidé d’offrir « les meilleures opportunités aux investisseurs étrangers », le Chili, lui, entend leur imposer un contrôle strict, notamment pour des raisons environnementales. « Nous souhaitons travailler avec quiconque veut explorer et produire du lithium à condition toutefois de respecter les règles et les standards chiliens », fait valoir à Santiago la ministre des mines, Aurora Williams. Les permis pour opérer doivent être autorisés par la Commission chilienne d’énergie nucléaire (CCHEN). Plusieurs sont en attente.
Les écologistes crient au « saccage »
Pour le président de la CCHEN, Jaime Toha, « l’équilibre environnemental rend difficile une augmentation de la production » dans le salar d’Atacama, un haut lieu du tourisme international. Plusieurs parlementaires chiliens souhaitent que l’Etat reprenne en main le contrôle du lithium. « Accorder des concessions à vie avec une capacité d’extraction supérieure à la capacité de renouvellement de la ressource exploitée est complètement irrationnel. Il faut mettre fin à cela », estime la députée socialiste Isabel Allende.
« L’opportunité est à saisir maintenant, car il n’y a aucune garantie que le lithium va croître de façon indéfinie », assure pour sa part Eduardo Bitran, vice-président de la Corporation pour le développement de la production (Corfo), un organisme public de soutien à l’industrie. Comme le pétrole, ajoute-t-il, « c’est une ressource non renouvelable, et donc disponible jusqu’à son épuisement ».
L’exploitation du lithium a toutefois ses détracteurs, qui doutent qu’il s’agisse d’une industrie « verte ». A Santiago, les écologistes dénoncent « le saccage du désert d’Atacama, un des endroits les plus arides de la planète, où [les sociétés minières] ont pompé l’eau disponible et rejeté des montagnes de magnésium solidifié ». A Buenos Aires, Pia Marchegiani, avocate à la Fondation pour l’environnement et les ressources naturelles (Farn), s’inquiète aussi de la quantité d’eau nécessaire à l’extraction d’un minerai dont les gisements sont situés en zone désertique. La juriste regrette également les faiblesses d’un code minier national qui « favorise une extraction à tous crins » alors que les promesses de création d’emplois dans les provinces restent souvent lettre morte.
Les communautés indigènes ont aussi leur mot à dire dans l’exploitation du minerai. Elles sont censées donner leur aval aux opérations d’extraction minière qui sont engagées sur leurs terres. Or « ces communautés souhaitent conserver leur mode de vie ancestral, les salars sont pour elles des lieux sacrés, et elles exigent d’être consultées sur le modèle de développement », commente Me Marchegiani. Plusieurs actions en justice ont été engagées par la population locale afin de stopper de nouveaux projets, jusqu’à maintenant sans résultat. Mais les défenseurs de l’environnement ne sont pas près de désarmer : « Il faut éviter que la fièvre de l’or blanc provoque des abus semblables à ceux qui ont accompagné l’extraction d’autres minerais au XXe siècle », insiste Pia Marchegiani. Comme au Chili et en Bolivie, des réticences commencent à apparaître en Argentine.
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