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RECONSTITUTION DE LA BATAILLE DE WATERLOO, EN JUIN 2015, À LIGNY, EN BELGIQUE. PHOTO YVES HERMAN |
Les hommes politiques s’intéressent à l’enseignement de l’histoire, considérant qu’elle forge l’identité nationale.
L’histoire doit-elle être enseignée comme un «récit national » ? Cette conviction exprimée depuis la rentrée par plusieurs candidats à la primaire de la droite, notamment par Nicolas Sarkozy, qui vantait les racines gauloises de la France, vient d’obtenir un soutien inattendu sur la gauche de l’échiquier politique en la personne de Jean-Luc Mélenchon.
Mais cette querelle n’est pas toujours simple lorsqu’on n’est pas spécialiste. Quelques clés pour comprendre.
CE QU’ILS ONT DIT :
François Fillon (Les Républicains), candidat à la primaire de la droite, a d’abord critiqué l’enseignement de l’histoire, le 28 août à Sablé-sur-Sarthe (Sarthe) :
« Les jeunes Français ignorent des pans de leur Histoire ou, pire encore, apprennent à en avoir honte. [Il faut] réécrire les programmes d’histoire avec l’idée de les concevoir comme un récit national. Le récit national, c’est une Histoire faite d’hommes et de femmes, de symboles, de lieux, de monuments, d’événements qui trouvent un sens et une signification dans l’édification progressive de la civilisation singulière de la France. »
LES COLONNES DU PANTHÉON À PARIS. PHOTO BENOIT TESSIER |
« Quelle que soit la nationalité de vos parents, jeunes Français, au moment où vous devenez français, vos ancêtres, ce sont les Gaulois et c’est Vercingétorix. »La déclaration – amendée cinq jours plus tard par son auteur, qui a ajouté que « nos ancêtres étaient aussi les soldats de la Légion étrangère et les tirailleurs sénégalais » – a suscité une polémique. Historiens et hommes politiques ont critiqué la simplification de l’histoire de France en un «roman national ».
L’eurodéputé (Front de gauche) Jean-Luc Mélenchon, pourtant peu enclin à défendre Nicolas Sarkozy, a déclaré, le 27 septembre, en déplacement à Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais) : « Moi je ne veux pas d’une ethnicisation gauloise du débat. Mais oui, je dis que nous sommes les filles et les fils des Lumières et de la grande Révolution ! A partir du moment où l’on est français, on adopte le récit national. »
DE QUOI PARLE-T-ON ?
Un « récit national » pour unifier la France
À la fin du XIXe siècle, l’école primaire, devenue obligatoire sous la IIIe République, se donne pour mission de transformer les enfants de différentes régions aux langues et identités encore marquées (Bretons, Basques, Occitans, etc.) en citoyens français. L’enseignement de l’histoire sert alors à montrer la grandeur et l’unité de la France, afin d’exhorter au patriotisme.
La construction de ce « récit national » s’appuie sur les manuels de l’historien positiviste Ernest Lavisse, utilisés entre 1884 et les années 1950, qui déroulent des récits de conquêtes, d’épopées et de personnalités : Vercingétorix, Charlemagne, Jeanne d’Arc, Napoléon… Dès la couverture, le Petit Lavisse enjoint aux élèves : « Tu dois aimer la France, parce que la Nature l’a faite belle et parce que l’Histoire l’a faite grande. »
Dans une tribune publiée par Le Monde, Sébastien Ledoux (enseignant à Sciences Po et chercheur en histoire contemporaine à Paris-I) explique que « le récit national célébrait la glorieuse nation française et ses héros censés l’incarner. Il avait comme fonction de nourrir un imaginaire historique devant être partagé par l’ensemble des citoyens pour former ainsi la communauté nationale ».
La dénonciation d’un « roman national » trop parcellaire
Dans les années 1930, l’Ecole des annales, fondée par les historiens Lucien Febvre et Marc Bloch, remet en cause les récits historiques linéaires, faits de successions d’événements (« 1515 ? Marignan ») et centrée sur les grands hommes, en s’intéressant davantage au temps long et aux problématiques sous-jacentes. Dans l’après-guerre, leurs héritiers (Fernand Braudel, Georges Duby, etc.) poursuivent des travaux sur l’histoire sociale et économique et sur des durées dépassant l’événementiel.
Dans les années 1960-1970 émergent aussi des thèmes historiques jusqu’alors passés sous silence, car considérés comme moins glorieux pour la France : la traite des Noirs, la colonisation et ses excès, le régime de Vichy… Les historiens dénoncent les biais politiques, la part de fiction et de réécriture des faits des manuels de Lavisse et se démarquent alors du « roman national » – expression notamment employée par l’historien Pierre Nora.
L’historien Vincent Duclert note d’ailleurs que dans son discours sur les programmes d’histoire, François Fillon – de même que Jean-Luc Mélenchon – parle de « récit » et non de « roman » national. « Un récit fait appel au savoir, à la raison. Il peut être vérifié et critiqué sur son exactitude. (…) L’idée d’un roman national n’appartient qu’aux nostalgiques de la grande France coloniale et du culte barrésien de la terre et des morts. »
L’histoire entre « récit », « roman » et « repentance »
Le « roman national » continue à être écorné dans les années 1990-2000, avec des gestes politiques de repentance ou de réparation des erreurs du passé : Jacques Chirac reconnaît en 1995 la responsabilité de l’État français dans la déportation des juifs, la traite des Noirs est reconnue comme un crime contre l’humanité par la loi Taubira en 2001, François Hollande déplore « l’abandon des harkis » par les gouvernements français à la fin de la guerre d’Algérie, en 1962…
Nicolas Sarkozy a souvent répété son hostilité à ce mouvement de repentance, considérant que « la France ne peut pas être coupable de tout et de son contraire. La France assume son histoire, c’est tout ». Si l’ancien président et son ex-premier ministre, François Fillon, s’intéressent autant à l’histoire de France, c’est pour entraîner la campagne de la primaire sur le terrain de l’identité nationale et dénoncer en creux le multiculturalisme en France.