Datant de 67 ou 68 millions d’années, ce spécimen remarquable de tyrannosaure vient d’être assemblé au Muséum national d’histoire naturelle.
Par Vahé Ter Minassian
C’est la course à la Galerie de géologie et de minéralogie du Jardin des plantes. En cette fin mai, c’est le coup de collier avant l’ouverture de la nouvelle exposition temporaire du Muséum national d’histoire naturelle (MNHN). Les techniciens sortent des caisses les ossements de plusieurs dizaines de kilos. Les restaurateurs et les socleurs apportent la dernière touche aux fossiles de plantes et de coquillages géants.
Ça tape. Ça perce. Ça s’active. Mais ça en vaut la peine : la manifestation à venir ne se propose-t-elle pas d’attirer le public avec ce qui se fait de mieux en matière de bêtes à sensation ? En l’occurrence, un animal d’une espèce disparue et l’un des plus grands carnivores terrestres de tous les temps. Rien de moins que la figure centrale de Jurassic Park, le numéro un du box-office dinosaurien, le monstre du cinéma : Tyrannosaurus rex !
En effet, à compter du 6 juin, la nef du bâtiment, spécialement réaménagée pour l’occasion, accueillera, en exclusivité française, l’authentique et rarissime squelette d’un de ces théropodes de la fin de l’ère du crétacé. Complet à plus de 75 %, et en excellent état de conservation, ce spécimen, vieux de 67 millions d’années, baptisé « Trix », tourne en Europe, le temps de travaux au Centre de biodiversité Naturalis de Leyde (Pays-Bas), qui en est propriétaire. Après Salzbourg (Autriche) et Barcelone (Espagne), il fait une escale de trois mois à Paris.
Il ne sera pas le seul représentant de son époque à laisser le visiteur bouche bée. En effet, outre des animations destinées aux enfants, le parcours comprendra un espace où les T. rex seront replacés dans leur contexte chronologique, géographique et environnemental. Entièrement imaginée et conçue par les équipes du Muséum, cette partie s’appuiera sur des pièces tirées des riches collections du Jardin des plantes, dont certaines, non moins impressionnantes que Trix, sortiront pour la première fois des réserves. Pile au moment où sort en salle le cinquième épisode de la série des Jurassic Park (Jurassic World : Fallen Kingdom). Et quelques semaines avant l’anniversaire des 120 ans de la Galerie de paléontologie et d’anatomie comparée du Jardin des plantes, que le Muséum célébrera le 21 juillet.
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L’espèce a survécu un million d’années
Mais on n’en est pas encore là. En ce 23 mai, les chercheurs ont du pain sur la planche. Dans la première salle, seul un panneau consacré aux tyrannosauroïdes a pour l’instant été installé. On y apprend que c’est au sein de ce groupe de théropodes carnivores, initialement de petite taille, que la créature est apparue en Amérique du Nord, il y a 68 ou 67 millions d’années. L’espèce a ainsi survécu un million d’années avant de disparaître au cours de la crise du crétacé-tertiaire qui, sous l’effet de changements climatiques dus au volcanisme et à la chute d’une météorite, a abouti à l’extinction de l’ensemble des dinosaures, les oiseaux exceptés.
« À l’époque, les continents avaient pratiquement atteint leur emplacement actuel, mais une mer intérieure, partiellement asséchée, traversait l’Amérique du Nord », raconte le paléontologue Ronan Allain, du Muséum, en montrant, dans le local où travaillent les socleurs, un coquillage Inoceramus de 70 millions d’années provenant de cette ancienne « voie maritime intérieure de l’ouest ». La région connaît alors un climat subtropical, humide et chaud – la température moyenne du globe est de 20 °C, contre 15 °C aujourd’hui –, uniquement comparable à celui de l’Asie. Ce qui explique les similitudes entre les caractéristiques des dinosaures de ces deux aires géographiques.
« Pour la période de la fin de l’ère du crétacé, seules ces régions ont livré des spécimens d’herbivores cératopsiens comme Triceratops ou Protoceratops et de carnivores tyrannosauridés, comme T. rex ou son plus proche cousin, le Tarbosaurus de Mongolie », poursuit Ronan Allain. Ailleurs, ce sont des abélisauridés − tels que le Carnotaurus, dont un exemplaire est visible dans la Galerie de paléontologie et d’anatomie comparée du Jardin des plantes − qui occupent le haut de la chaîne alimentaire. Même si certains petits carnassiers de la famille des Dromaeosauridae − dont les fameux raptors − prospèrent un peu partout.
Dans ce paysage fait, sur les rivages de la mer intérieure, de lagunes, les plantes à fleurs, en émergence depuis 100 millions d’années, forment déjà les trois quarts de la végétation. C’est dans ces forêts de bouleaux, de peupliers, de platanes et de ficus ancestraux où poussent, ici ou là, de grands conifères et des fougères que Tyrannosaurus rex part à la chasse. Il dédaigne les animaux de petite taille, probablement trop rapides pour lui − les calculs faits à partir des rares traces disponibles suggèrent qu’il se déplace au mieux à 20 km/h. Mais il n’hésite pas, comme l’ont démontré les lésions sur divers squelettes, à risquer un coup de corne ou de massue, en s’attaquant à de redoutables Triceratops et Ankylosaurus.
Un autre grand herbivore figure à son menu : l’Edmontosaurus annectens, ou dinosaure à bec de canard, dont un squelette, complet à 60 %, sera lui aussi présenté lors de l’exposition. Acquis en 1911 par le Muséum mais jamais exposé, ce spécimen de 10 mètres de long − dont on ne manquera pas d’observer les batteries dentaires jouant le rôle de râpes à végétaux, caractéristiques des premiers êtres vivants à pratiquer la « mastication » − est remonté sur un socle à plat. Un peu comme s’il venait d’être tué, au terme d’un violent combat, par le féroce Trix. En attendant, il subit, dans une annexe de la Galerie, un « fignolage de la patine » consistant à passer une couche de peinture sur la résine utilisée pour renforcer ses ossements. La restauratrice du MNHN, Hélène Bouchet, explique, tout en travaillant, que ses examens n’ont mis en évidence aucune trace de morsure de T. rex sur le corps de cet individu. Une petite déception.
Animal aux dimensions colossales
On s’en passera. D’autant que, arrivé ce matin-là d’Espagne à bord d’un semi-remorque, Trix est en cours de remontage. Pour l’heure, seuls les os de l’ilion, du pubis, de l’ischion et de la patte gauche ainsi que quelques-unes de ses vertèbres ont été fixés aux armatures métalliques par les quatre techniciens dépêchés par le Naturalis. Mais cela donne déjà une bonne idée des dimensions colossales de l’animal : long de 12,50 mètres, haut de 4, il devait peser de son vivant plus de 8 tonnes !
Trix, dont le surnom est un hommage à la reine Beatrix des Pays-Bas, provient des Etats-Unis. Ce qui n’a rien d’étonnant. Puisque la présence de Tyrannosaurus rex n’a, pour l’instant, été attestée que sur le continent nord-américain, et uniquement dans des formations géologiques qui, à l’instar de celle de Hell Creek dans le Montana, sont susceptibles de receler des fossiles de la fin de l’ère du crétacé. Seulement une poignée d’Etats dont la position géographique coïncide avec l’emplacement de l’ancien bassin de la mer intérieure ont livré des squelettes : l’Alberta et le Saskatchewan au Canada ; le Wyoming, le Montana, le Dakota du Nord et du Sud ainsi que l’Utah et le Colorado aux Etats-Unis.
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Décrite en 1905 par les paléontologues Barnum Brown et Henry Osborn, de l’American Museum of Natural History, l’espèce est connue grâce à une cinquantaine de fossiles dont quatre figuraient au catalogue en 1908, les autres ayant été mis au jour après 1967, le plus souvent par des firmes privées. Mais rares sont ceux qui sont aussi complets et en aussi bon état que Trix. Seuls Scotty, Stan et surtout Sue – objet d’un retentissant procès pour droit à la propriété avant son rachat en 1997 pour 7,8 millions de dollars par le Museum Field de Chicago – peuvent prétendre rivaliser avec lui dans le monde.
Trois de ces magnifiques pièces ont été excavées avec le concours d’une même société privée spécialisée dans la récupération et la préparation des fossiles : l’Institut de recherche géologique des Blacks Hills, basé à Hill City (Dakota du Sud). Stan et Sue dans le Dakota du Sud, en 1987 et en 1990. Le cadavre de Trix a probablement été déplacé juste après sa mort par des inondations avant d’être rapidement enseveli sous des sables carbonatés à même de le protéger de l’acidité du sol. Il a été dégagé dans un ranch du Montana en septembre 2013 à la demande du Naturalis. Le musée néerlandais, qui a participé à sa fouille et à son étude, souhaitait exposer dans sa nouvelle galerie un carnivore au milieu des dinosaures herbivores de sa riche collection. Il avait, à cette fin, fait faire des recherches aux Etats-Unis.
Pour le Néerlandais Remmert Schoutem, dont l’entreprise Niche Craft est chargée d’installer Trix dans les locaux du Jardin des plantes, il ne fait aucun doute que ce fut une excellente idée : « J’ai vu beaucoup de montages, mais rarement d’une telle qualité professionnelle », assure ce sympathique gaillard dont l’équipe a été formée durant trois jours, à Hill City, à l’assemblage et au désassemblage du squelette.
Ce dernier est, à ses yeux, une pièce « incroyable ». Non seulement ses 250 ossements sont authentiques, exception faite de ceux de l’avant de la mâchoire inférieure, des membres antérieurs, des pieds et de la patte gauche qui sont des moulages de Stan, Sue, Scotty et de l’autre jambe. Mais, pour augmenter l’effet dramatique, l’Institut des Black Hills a, en concertation avec le Naturalis, décidé de présenter Trix en position d’attaque, la gueule placée à la hauteur du visiteur. Offrant à ce dernier la possibilité inédite de regarder un T. rex droit dans les orbites. Et de frémir.
Une tête de 1,50 m de long
Car de toutes les parties de l’anatomie d’un Tyrannosaurus rex, c’est bien sa tête, unique parmi les dinosaures et dans la faune actuelle, qui est la plus célèbre. De 1,50 mètre de long, celle de Trix (qui n’est pas déformée comme celle de Sue) est si grosse que le reste du corps ne pourrait la supporter, si elle n’avait été, en quelque sorte, « allégée » par des ouvertures pratiquées dans la boîte crânienne. Cette dernière renfermait un cerveau de grande taille (quoique plus petit que le nôtre) associé à un bulbe olfactif bien développé, signe d’un bon odorat chez cet animal aux « sourcils » osseux et aux yeux tournés vers l’avant, et donc doté, comme l’homme – mais avec un angle de vue plus large et, contrairement à ce que montre l’une des scènes de Jurassic Park –, d’une vision stéréoscopique.
Toute l’énergie des T. rex semble avoir été concentrée dans le développement de cette tête aux terribles mâchoires, à même de produire des morsures d’une force titanesque. Plus de 50 000 newtons. De quoi couper en deux une carcasse de bœuf d’un seul coup!
De telles bêtes ne devaient pas faire dans le détail. Et de fait, les Tyrannosaurus rex n’étaient pas du genre à chipoter les morceaux. L’étude de leurs coprolithes (excréments fossiles), confirmée par l’analyse isotopique du calcium des dents de Trix, a démontré qu’ils ingurgitaient aussi bien la chair que les os de leurs proies. En revanche, indique Claire Peyre de Fabrègues, doctorante au MNHN, « il semble peu probable qu’ils aient été des charognards, comme il a été proposé pour expliquer la qualité de leur odorat et la petitesse de leurs membres antérieurs à deux doigts, dont les fonctions n’ont toujours pas été élucidées ». Ils étaient plutôt des chasseurs opportunistes : pour survivre, Trix devait manger plus de 50 kg de viande par jour !
La bête a aussi l’intéressante particularité de compter parmi les plus gros T. rex connus. Par comparaison avec Sue, dont les os n’ont pas été naturellement remodelés et ont conservé leurs lignes de croissance, on a estimé son âge à une trentaine d’années. Ce qui fait vieux pour un Tyrannosaurus rex, mais suscite une autre question sur la façon dont ces théropodes atteignaient une telle taille. Certes, les paléontologues ignorent encore si les Nanotyrannus (dont un fossile est présenté dans l’exposition) correspondent à la forme juvénile de ces animaux ou s’ils appartiennent à une autre espèce. Et ils ne connaissent pas non plus d’œufs de Tyrannosaurus rex. Mais tout laisse à penser que ces derniers devaient être plus petits que ceux des actuelles autruches. Impliquant un taux de croissance de ce type de dinosaure absolument phénoménal : de l’ordre de 767 kg par an, au moment de la maturité sexuelle, vers 10 ans – 2 kg par jour !
Vraisemblablement une femelle
La manière particulière dont les T. rex maintenaient leur température corporelle élevée explique cette prise de poids. Quoique ce mécanisme intermédiaire entre celui des endothermes (organismes produisant de la chaleur en faisant appel à leur métabolisme, comme les mammifères) et celui des ectothermes (qui ne le font pas ou peu, comme les reptiles) soit très mal connu.
Mais il ne nécessitait pas, comme on a pu l’affirmer suite à la découverte de Yutyrannus et de Dilong, l’existence de plumes chez Tyrannosaurus rex. Datés du crétacé inférieur et âgés de 125 millions d’années, ces deux tyranosauroïdes avaient été retrouvés en Chine, la peau recouverte de ces appendices. Mais, ils étaient de petite taille, ce qui fait toute la différence avec Trix, lequel en était dépourvu : le rapport entre son fantastique volume et sa surface était tel que sa chaleur interne ne se dissipait pratiquement pas. Un fossile de peau de T. rex, présenté dans l’exposition, convaincra les plus sceptiques de la réalité de ce phénomène d’« homéothermie de masse ».
Comme pour les autres spécimens qui ont été mis au jour, on sait peu de chose de la vie et de la mort de Trix. Sinon qu’il s’agissait vraisemblablement d’une femelle, comme en atteste l’épaisseur de ses os. En effet, depuis 2005 et l’identification, dans le fémur d’un T. rex, d’un tissu minéralisé servant chez les oiseaux de réservoir de calcium pour la fabrication des œufs, on sait que la forme la plus robuste de Tyrannosaurus rex correspond au genre féminin.
Celle-ci n’a pas dû avoir une existence facile, compte tenu du nombre de lésions dont les traces ont été relevées sur son squelette. Perforations de l’arrière de la mâchoire inférieure due à la morsure d’un autre Tyrannosaurus rex. Nécrose à l’avant du museau provoquée par une grave infection. Côtes cassées et recollées. Suppuration sur la queue. Sans compter l’arthrose ! La vie des vieilles dames, au temps du crétacé, n’était pas un long fleuve tranquille.