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mercredi 22 septembre 2010

Au Chili, les mineurs forment une aristocratie ouvrière enviée

En 2007, la mine fut fermée après la mort d'un ouvrier. Elle rouvrit en 2008 sans avoir été équipée de toutes les installations de sécurité nécessaires. Le 3 juillet, le mineur Gino Cortes perdit un pied, écrasé par un rocher... Nouvelle fermeture de trois semaines.
L'éboulement du 5 août, lui, a résulté d'une "explosion" de la roche, provoquée par la rupture de l'équilibre naturel de la structure de la mine qui peut résulter de l'extraction du minerai. Ce phénomène est la principale cause des sinistres miniers au Chili. L'absence d'un escalier de secours près de la cheminée de ventilation, aménagement exigé par les règlements, a privé les "33" d'une sortie rapide. Autre défaillance : il n'y avait qu'une seule rampe d'accès.
Contraste total
"On n'éliminera pas les accidents par décret, a déclaré le ministre des mines, Laurence Golborne. Rien ne remplace l'éthique et la conscience de sécurité des entreprises et des travailleurs." Mais l'Etat n'est pas au-dessus de tout reproche : le Service national de géologie et des mines (Sernageomin), organe régulateur, n'a que 16 inspecteurs pour contrôler plus de 4 000 mines.
Depuis l'accident, le gouvernement a annoncé un train de mesures. Le budget sécurité du Sernageomin va plus que doubler, comme le nombre d'inspecteurs. Une nouvelle superintendance des mines veillera à tous les aspects de la sécurité ; elle autorisera, ou non, l'exploration et l'exploitation. Un comité d'experts indépendants fera des recommandations.
Le drame des "33" de San José et l'opération en cours pour les sauver ne doivent pas faire oublier l'essentiel : la grande majorité des mineurs chiliens travaillent dans d'excellentes conditions de sécurité. Le dernier gros accident (21 morts) remonte à 1994, dans une mine de charbon.
De fait, le contraste est total entre les grandes mines gérées par des géants du secteur, chiliens ou étrangers, et les mines "petites et moyennes" où ont péri la plupart des accidentés (31 en moyenne par an depuis quinze ans). Ces dernières ne produisent que 60 000 tonnes de cuivre par an, soit environ 1 % de la production nationale.
Avec 345 employés (mineurs, administratifs, sous-traitants et collaborateurs divers), San José, propriété du groupe San Esteban, est une mine "moyenne". La plupart des petites mines ne respectent pas toutes les exigences de sécurité. Il y manque une issue de secours, ou une cheminée de ventilation, ou un refuge. Dans la région d'Antofagasta, 277 gisements sur 300 sont exploités sans être aux normes. Depuis l'éboulement de San José, 18 mines ont été fermées ; 89 autres vont l'être.
Bons salaires
Nombre de petites mines, aux mains de propriétaires qui les louent à des exploitants, recrutent, légalement ou non, des pirquineros, mineurs au statut précaire. Ces perforateurs qui travaillent à l'explosif, souvent sans machines, et à la lueur de leur lanterne, sont les plus exposés.
La mise aux normes d'une mine de taille moyenne coûte 20 millions de dollars (15 millions d'euros), affirment les chefs d'entreprise. Tous n'ont pas, disent-ils, les moyens de s'y plier sans l'aide de l'Etat. Ils demandent la création d'un fonds national de sécurité.
Premier producteur, et de loin, devant le Pérou et les Etats-Unis, le Chili extrait plus du tiers du cuivre mondial. Le métal rouge représente 60 % de ses exportations, et 15 % de son produit intérieur brut. Le géant public Codelco et quelques grandes multinationales (BHP Billiton, Barrick, ou Xstrata Copper) se taillent la part du lion. Leurs employés forment une aristocratie ouvrière enviée : ils ont de bons salaires, assortis de primes et d'allocations, des syndicats puissants, et de bonnes conditions de travail et de sécurité.
Mais même les mineurs de San José assurent que leur métier, dur et dangereux, fait d'eux des travailleurs plutôt privilégiés dans le milieu ouvrier chilien, souvent encore très pauvre : ils touchent par mois jusqu'à trois fois et demie le salaire minimum, équivalant à 262 euros.

Jean-Pierre Langellier