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jeudi 7 mai 2020

ROBERTO BOLAÑO, L’« ÉTOILE DISTANTE » SI PROCHE DE NOUS

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PROSPECTUS DE PRÉSENTATION
EDITIONS DE L'OLIVIER 
LIVRES / Œuvres complètes, volume 1. La parution du premier volume des œuvres complètes de l’auteur de 2666, décédé en 2003, montre l’originalité et la variété du travail de celui qui se voulait autant poète que romancier, et toute son influence sur la littérature contemporaine.
COUVERTURE DU LIVRE
«Une poésie qui peut-être plaidera pour mon ombre dans des jours futurs / quand je ne serai plus qu’un nom et non l’homme qui / les poches vides vagabonda et travailla / dans les abattoirs de l’ancien et du nouveau continent ». Voici peut-être ce que Bolaño pensait que le futur retiendrait de ce qu’il aimait appeler son « travail ». Ce texte, écrit probablement en 1980, est un des premiers qui figurent dans cette édition des œuvres complètes de l’écrivain chilien. Un plaidoyer à l’évidence inutile vu d’aujourd’hui, quand on sait l’immense lumière que projette cette «ombre » sur la littérature contemporaine de tous les pays. On n’en finirait pas de dénombrer les hommages et les références d’auteurs de langues et de générations très diverses. Depuis l’Amérique latine et l’Espagne d’abord, où il est un des éléments moteurs de la relève du «boom latino» des années 1960-1970, son originalité radicale en fait un écrivain inclassable, une référence pour des auteurs aussi éloignés que David Toscana, Alan Pauls, Rodrigo Fresan, Leopoldo Brizuela, Cesar Aira, Javier Cercas ou Enrique Vila-Matas. Plus qu’influenceur, il a libéré les écritures. Il est même, par l’intermédiaire d’un de ses personnages, le héros d’un livre qui porte son nom, le roman de Bolaño (1), vertigineux jeu de miroirs épistolaire dû à Éric Bonnargent et Gilles Marchand.

Arrêté au Chili, au lendemain du coup d’État de Pinochet, en 1973


À quoi tient cette position si particulière ? Peut-être à sa manière si personnelle de détecter et au besoin de créer le malentendu. Sur le rôle de la littérature, sur ses buts, sur sa propre postérité, sur la poésie et la prose. Au Mexique, dès ses premiers pas d’écrivain en 1975, il fonde un mouvement «infra- réaliste » (2) qui tient plutôt d’une sorte de dadaïsme secouant la tradition du « réalisme magique» incarné par les grands auteurs latino-américains de l’époque, en particulier le Mexicain Octavio Paz. Bolaño, d’ailleurs, ne se veut ni chilien, ni mexicain, ni espagnol. «J’aimerais bien être un écrivain bolivien », disait-il en guise de boutade, avant d’ajouter plus sérieusement : « Je suis un écrivain de langue espagnole et, pour ce qui est de la littérature, la diviser en pays mène à la catastrophe. »

La vie même de Bolaño plaide en ce sens. Né au Chili, il suit sa famille au Mexique en 1968. En 1973, il retourne au Chili pour soutenir Allende, mais est arrêté au lendemain du coup d’État de Pinochet. Libéré, il retourne au Mexique et publie son premier recueil de poèmes, Réinventer l’amour, en allusion à Rimbaud. Il émigre ensuite à Barcelone, puis dans la petite ville catalane de Blanes, où il vit difficilement. Il remporte plusieurs prix de poésie et de fiction jusqu’à la parution en 1996, d’ Étoile distante et de la Littérature nazie en Amérique, deux romans qui assoiront définitivement sa réputation.
« La meilleure poésie de notre siècle est écrite en prose, dans certaines pages de Proust, de Joyce ou de Faulkner »
Le premier volume de ses Œuvres complètes permet d’accéder simultanément à l’entièreté du travail de Bolaño, sans séparer poésie et romans comme on le fait parfois. S’il voyait une différence, il la situait plutôt dans la complexité de l’architecture narrative du côté du roman, et la considérait surtout comme pertinente dans les siècles passés, avec les « poètes adolescents absolus » que sont Rimbaud ou Lautréamont. Une distinction qui, avec l’épuisement du roman traditionnel, n’a plus cours. « La meilleure poésie de notre siècle est écrite en prose, dans certaines pages de Proust, de Joyce ou de Faulkner », disait-il (3). Ses romans marqués par l’ironie, la transplantation de motifs et de thèmes dans des contextes incongrus, illustrent cette rupture «poétique » avec « le roman qui ne repose que sur l’argument ».

L’ouvrage aujourd’hui disponible, qui sera suivi d’un deuxième en juin, comprend des inédits, certains de ses recueils les plus connus et Étoile distante. Il permettra de prendre toute la mesure de cet écrivain essentiel qui n’a pas encore en France la place qu’il mérite.

Notes :
(1) Éditions du Sonneur, 2015. 
(2) Nom emprunté au peintre chilien Roberto Matta. 
(3) Entretien avec Cristian Warnken, revue Europe, juin 2018.

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