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jeudi 10 décembre 2009

LA GANDHI SAHRAOUIE, ENTRE MAROC ET ESPAGNE

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Une fugace protestation dans les bancs dans Cortes Generales le Parlement Espagnol
Photo ÁLVARO GARCÍA.
Quand l’avion en provenance des Canaries atterrit, le 15 novembre 2006, à l’aéroport d’El-Ayoun, la capitale du Sahara-Occidental, l’équipage invite d’abord les passagers marocains à descendre. Il le fait à la demande de la police marocaine, qui ne veut pas être débordée par les remous que pourrait provoquer le retour dans sa ville d’Aminatou Haidar après un voyage de sept mois à l’étranger. Aminatou Haidar ne descend pas de l’appareil avec le premier groupe. “J’ai dit à l’hôtesse que je n’étais pas marocaine, même si, pour des raisons pratiques, je voyageais avec un passeport de ce pays”, racontait-elle il y a un mois à Madrid. La plus célèbre militante sahraouie passe le contrôle de police à El-Ayoun, mais au moment de remplir sa fiche d’entrée elle écrit que son pays de résidence est le Sahara-Occidental et non le Maroc. D’autres indépendantistes font généralement la même chose. Le policier marocain fait une moue de contrariété, puis signale : “Ce pays n’existe pas !” Il barre les deux mots et écrit Maroc par-dessus. Puis il la laisse passer. Trois ans plus tard, le 13 novembre dernier, Aminatou Haidar a fait la même chose à son arrivée à El-Ayoun, au retour d’un voyage à New York, Madrid et Las Palmas, mais cette fois cela n’a pas marché. Elle a été retenue vingt-quatre heures dans l’aéroport, avant de se voir confisquer son passeport marocain – obtenu en 2006 grâce aux démarches d’Amnesty International et du département d’Etat américain – et d’être refoulée vers l’île de Lanzarote, aux Canaries. Le discours prononcé le 6 novembre par le roi Mohammed VI, appelant à la fermeté envers les “adversaires de l’intégrité territoriale” du Maroc, explique ce changement d’attitude. A son arrivée à l’aéroport de Lanzarote, malgré le fait qu’elle n’avait pas de passeport, la police espagnole l’a obligée à entrer en Espagne sous prétexte qu’elle possédait une carte de résidente, qu’elle n’a même pas eu à montrer. Les autorités espagnoles la lui avaient accordée en 2006 pour qu’elle puisse être soignée dans un hôpital madrilène. Dès son débarquement, elle a tenté de prendre un avion pour retourner à El-Ayoun, mais la police l’a prévenue que sa carte de résidente ne suffisait pas cette fois pour prendre un vol international. Le 16 novembre au petit matin, elle a décidé d’entamer une grève de la faim dans l’aéroport même, afin de pouvoir retourner dans sa ville. Aminatou Haidar, 42 ans, n’en est pas à sa première grève de la faim. La précédente, qu’elle a faite en 2005, a duré cinquante jours. Elle purgeait alors une peine de sept mois dans la “prison noire” d’El-Ayoun. “Nous avons réussi à introduire une caméra en douce dans la prison et à montrer au monde entier les conditions de détention infligées aux militants sahraouis”, explique-t-elle. De ses précédents séjours derrière les barreaux, elle garde des souvenirs bien pires. En 1987, peu après avoir obtenu son baccalauréat, Aminatou Haidar est arrêtée pour avoir tenté d’approcher, avec 700 personnes, une délégation de l’ONU qui se trouvait dans la ville. “Les policiers sont venus ensuite m’arrêter chez moi et ils m’ont torturée pendant trois semaines”, raconte-t-elle. Certains proches craignaient qu’elle ne soit morte Ensuite, elle a été transférée à Kalâat Meggouna, l’une des prisons secrètes du règne de Hassan II. Elle a passé près de quatre ans “dans une cellule minuscule, avec d’autres femmes sahraouies”, sans voir d’avocat ni être jugée. Elle était portée disparue et certains de ses proches craignaient qu’elle ne soit morte. Quand elle a été libérée, en 1991, cette femme d’aspect fragile et aux manières douces était malade. Ses gestes paisibles, sa voix ténue, son sourire discret dissimulent la sévérité avec laquelle elle fustige “l’occupant” marocain. Au fil des ans, ses revendications ont évolué. Son combat, qui a longtemps porté sur l’indépendance de cette ancienne colonie espagnole [annexée en 1975 par le Maroc], se focalise à présent sur la défense des droits des Sahraouis, “piétinés” par le Maroc. A cette fin, elle a fondé le Collectif des défenseurs sahraouis des droits de l’homme (CODESA), une association illégale. Sa défense des droits de l’homme s’accompagne d’un rejet catégorique de la violence, si bien que celle que l’on surnommait la “pasionaria sahraouie” est désormais qualifiée de “Gandhi sahraouie”. Cela explique aussi son prestige à l’étranger, surtout aux Etats-Unis. Au Maroc, en revanche, les partis politiques et la presse progouvernementale la qualifient de “traîtresse”. A New York, elle avait exprimé la crainte d’être arrêtée à son retour à El-Ayoun ou de se voir retirer son passeport pour ne plus pouvoir voyager. “La troisième possibilité, une expulsion décidée par le Maroc, je ne l’avais pas prévue”, reconnaissait-elle par téléphone le week-end du 14 novembre, peu après son arrivée à Lanzarote. “Mais ce que je n’aurais jamais imaginé, c’est que l’Espagne aiderait le Maroc en me retenant sur son territoire contre ma volonté.”