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dimanche 13 décembre 2009

Ernesto Ottone : « Au Chili, la gauche a réduit les inégalités »

Ernesto Ottone : Ce qui est faux. Le néo-libéralisme, ce n’est pas l’économie de marché, c’est une doctrine qui a été appliquée un temps sous la dictature, mais certainement pas depuis le retour de la démocratie. Bien sûr, nous n’avons pas voulu replonger dans des expériences révolutionnaires. Mais nous avons mené des réformes graduelles profondes.

Quelles en ont été les conséquences ? Quel bilan économique peut-on faire de ces deux décennies ?

D’abord, ces réformes nous ont permis d’obtenir une croissance forte et régulière, qui s’est traduite par une hausse très importante du produit intérieur brut par habitant : en 1990, le Chili avait un PIB par habitant de 4 000 dollars – contre 15 000 dollars aujourd’hui. Ce qui nous place tout en haut de la hiérarchie en Amérique latine. Ensuite, nous avons lutté contre la pauvreté, avec de très bons résultats : en 1990, le taux de pauvreté était de 38,7 %, contre 13,7 % aujourd’hui. La pauvreté extrême, l’indigence, est passée de 14 % à 4 %. Là aussi, il s’agit d’un record régional, obtenu grâce à une politique sociale destinée aux plus démunis.

Quand je travaillais au côté de Ricardo Lagos, nous avions identifié les 850 000 Chiliens les plus pauvres, et nous avions mis au point un contrat avec eux. Nous avons aidé ces familles, mais à condition qu’elles envoient leurs enfants à l’école, que leurs enfants soient suivis pour leur santé, etc. Non seulement ce programme existe encore, mais en plus, il s’est étoffé.

Pourtant, le Chili reste un pays très inégalitaire.

C’est exact. Mais il faut relever deux choses. D’abord, ces inégalités sont très marquées dans toute l’Amérique latine, et le Chili est dans la moyenne régionale. Nous faisons moins bien qu’un pays comme l’Uruguay, mais mieux, par exemple, que le Brésil.

Ensuite, ces inégalités ont diminué depuis le départ des militaires : l’indice qui mesure les écarts de revenus – le coefficient de Gini – est passé de 0,58 à 0,52 (NDLR : 0 est l’égalité parfaite, et la valeur en France de cet indice est à 0,36). Ce qui est à noter, car en général, quand un pays connaît une forte croissance, les inégalités augmentent. Néanmoins, on est encore loin de l’Europe.

Que manque-t-il au Chili pour franchir un nouveau cap ? Quels défis le prochain gouvernement devra-t-il relever ?

Notre économie s’est développée fortement, mais elle repose encore trop sur les matières premières – notamment le cuivre – et elle n’est pas encore assez bien armée pour s’épanouir dans les secteurs à haute valeur ajoutée. Notre productivité reste faible.

Il y a deux raisons à cela : d’abord, nos entreprises n’ont pas les épaules assez solides pour se lancer dans la recherche et dans les hautes technologies. C’est donc à l’État de jouer ce rôle que le privé n’est pas en mesure de tenir. Ensuite, l’éducation. C’est le grand défi du Chili.

Pendant ces vingt années de démocratie, nous avons accompli beaucoup de choses dans ce domaine. Nous avons mené des réformes importantes, qui ont permis d’améliorer l’accès général à l’éducation.

Aujourd’hui, tous les jeunes Chiliens vont à l’école primaire et l’accès au secondaire est presque universel également. Au niveau universitaire aussi, nous avons fait beaucoup de progrès. La preuve : 70 % des étudiants inscrits aujourd’hui à l’université sont la première génération de leur famille à accéder à ce niveau d’étude.

Mais il faut reconnaître que si la quantité est là, la qualité, elle, n’est pas toujours au rendez-vous. Il y a de tout, et les différences sont très importantes entre le privé et le public. L’université en particulier n’est pas au niveau d’un pays développé.

C’est une question d’argent, bien sûr, mais aussi de qualité des enseignants, ce qui suppose une réforme pour tenir compte du mérite. Si le Chili arrive à faire cet effort, nous pouvons espérer atteindre au cours des prochaines années un développement comparable à celui du Portugal ou de la Grèce.
Gilles BIASSETTE, à Santiago