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dimanche 3 juillet 2011

Chili : « Pour étudier, on doit s'endetter »

Pour que l'éducation devienne un droit, non plus un business
A la mi-juin, les étudiants occupaient 300 lycées et collèges, rassemblaient plus de cent mille personnes sur l'Alameda, la principale avenue du centre de Santiago, mais aussi des centaines de milliers d'autres jeunes à travers le pays, et demandaient une réforme constitutionnelle pour que « l'éducation soit considérée comme un droit » et non plus comme une marchandise ni un moyen pour un petit nombre d'hommes d'affaires de faire du business.

Il faut dire que la Constitution chilienne est encore celle dictée par le général Augusto Pinochet, et que celle-ci ne se souciait aucunement du droit à l'éducation.

Le Chili a les moyens d'une éducation de qualité
« Le Chili possède les ressources qu'il faut pour se payer une éducation publique accessible pour les personnes les plus démunies dans un premier temps, et gratuite dans un deuxième temps », expliquait Camila Vallejo, présidente de la Fédération d'étudiants de l'université du Chili (FECH). (Voir la vidéo)


Le Chili, qui fait partie de l'OCDE, le club des pays riches, depuis 2010, a les moyens de former une conscience critique et non seulement des agents commerciaux, capables de vendre ses matière premières (minerai, pêche, forêts, eau) du pays aux multinationales les plus gourmandes.

« Pour étudier, je dois m'endetter… et la mensualité est si chère que je n'ai plus d'argent… », crient les jeunes qui exigent également que les écoles et lycées privatisés en 1986 par la dictature militaire, soient « rendus » à la gestion publique et que cette éducation publique et gratuite ait une véritable place dans le paysage éducatif chilien.

Pas de signe d'essoufflement depuis la manif du 30 juin

La mobilisation a atteint son apogée jeudi 30 juin, avec un défilé d'environ 180 000 personnes (d'après les participants, 100 000 d'après la police, (la télévision a surtout reçu l'ordre de ne pas parler de chiffres du tout) dans les rues de Santiago, mais plus de 500 000 manifestants tout le long du pays.

Le ministre de l'Education, Joaquin Lavin, a annoncé que les vacances d'hiver (nous sommes en plein hiver austral au Chili, en ce moment) seraient avancées de deux semaines et que les vacances d'été ne commenceraient que deux semaines plus tard.

Il s'agit de « sauver l'année scolaire » assure-t-il, mais aussi et surtout « de mettre à l'épreuve le mouvement de contestation », comme si le fait d'être en vacances pouvait le ramollir, démotiver ses participants… (Voir la vidéo)


Le fait est que le mouvement estudiantin rencontre de plus en plus d'adhésion et ne donne pas du tout l'impression de ramollir, au grand désespoir du gouvernement qui annonce que des manifestations seront dorénavant interdites sur l'Alameda et que la question d'éducation sera discutée, plus tard, au Congrès.

D'abord ce sont les autorités universitaires qui se sont jointes au mouvement des étudiants, puis le commun des mortels, mais aussi, et c'est important, les étudiants de lycées et d'universités privés.

Mais au Chili il reste encore beaucoup de vieux réactionnaires (n'oublions pas que près de la moitié de la population se disait encore « pour Pinochet » il y a quelques années…) qui pensent encore que la jeunesse devrait se taire, ne pas s'exprimer, et qu'il ne peut s'agir que d'un mouvement orchestré par le Parti communiste ou l'opposition au gouvernement en place.

Faux répondent les étudiants qui affichent de dures critiques tant vis-à-vis de la gauche que de la droite, puisqu'ils « osent » traiter la Concertation (quatre gouvernements de centre-gauche qui se sont succédé depuis la fin de la dictature en 1989) d'« incapables » et l'Alliance (gouvernement de droite actuellement au pouvoir depuis mars 2010) de « voleurs ». Histoire de bien montrer leur indépendance et leur esprit critique.

L'éducation, « meilleure assurance contre la pauvreté »
Ce que les étudiants expriment c'est un énorme ras-le-bol. Ras-le-bol d'être enfermés dans une éducation segmentée socialement, où les pauvres vont dans des écoles médiocres, ne peuvent pas ou peu avoir accès à des études supérieures de qualité et sont condamnés à s'endetter à vie, s'ils veulent suivre des études.

Ras-le-bol qu'un petit groupe de spéculateurs décident de leur vie, de leur avenir, alors qu'ils sont tous conscients que c'est l'éducation qui peut mettre un terme à la pauvreté comme le disent et le répètent à coup de conférences internationales, de conventions et de déclarations, toutes les agences des Nations unies depuis des décennies.

Le Chili, ses experts, ses ministres ne devraient donc pas s'opposer au fait que l'éducation soit « la meilleure assurance contre la pauvreté » ! Ils devraient également faire en sorte que l'inégalité, qui caractérise malheureusement le Chili au sein de l'OCDE, disparaisse enfin !

« Des écoles pour les indigènes »
Ras-le bol d'une société et de gouvernements qui ne font rien, depuis des décennies, pour mettre fin à cette segmentation. Car au Chili, et plus généralement en Amérique Latine (plus sans doute qu'ailleurs dans le monde où la tendance est malheureusement la même), le paysage scolaire est indigne, comme l'analyse Rosa Blanco, de l'Unesco :

« Il y a des écoles pour les pauvres et des écoles pour les riches, des écoles où l'enseignement offre une certaine qualité et celles où la qualité n'est même pas considérée comme un critère à prendre en compte… des écoles pour les indigènes et des écoles pour les non-indigènes.

Le système scolaire ne contribue donc en rien à dépasser la segmentation sociale. Au contraire, il l'alimente. »

« L'éducation supérieure est plus chère pour les plus pauvres »
Il faut dire que les mensualités payées par les familles des étudiants, font partie des plus chères dans le monde, variant entre 275 et 500 euros par mois, que les taux d'intérêts bancaires pour des crédits étudiants sont très élevés (entre 4 et 6%), et tout ça pour une éducation qui n'est même pas reconnue ailleurs dans le monde puisqu'aucune université chilienne ne figure dans le palmarès des 200 meilleures universités mondiales.

La loi a beau interdire les universités d'être des organismes à but lucratif, les spéculateurs vont bon train, comme l'a reconnu le ministre de l'Education, Joaquin Lavin (lui-même ayant gagné de l'argent en investissant dans une université privée), dans une émission de télévision « Tolérance zéro ».

Pire, les universités privées considèrent que le secteur de l'éducation publique et gratuite, représente une « concurrence illégale ».

Le problème, selon Eduardo Engel de l'université du Chili :

« L'éducation supérieure au Chili est plus chère pour les plus pauvres, puisqu'ils reçoivent une éducation de moins bonne qualité. Il nous faut avancer vers une éducation supérieure de qualité, inclusive et équitable. Une éducation qui puisse donner les mêmes chances à tous. »

Si on prétend faire partie des pays développés, estime-t-il, on doit se donner les moyens d'une éducation de qualité pour tous.