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PORTRAIT DE STÈPHANE HESSEL. PHOTO GETTY 29-05-2011 |
- étudiants qui refusent que l'éducation soit « un bien de consommation » comme un autre (comme l'a annoncé mardi le président Piñera) ;
- défenseurs des populations autochtones mapuches que la loi antiterroriste et la production de pin et d'eucalyptus étouffe à petit feu ;
- défenseurs de la Patagonie qui ne veulent pas que leur terre soit vendue à des multinationales étrangères (qui veulent y construire des mégabarrages pour produire de l'électricité destinée à être vendue à d'autres multinationales étrangères qui extraient du minerai à 2 500 km au nord)…
En d'autres termes, ce livre rencontre un certain écho dans un Chili où les manifestations se multiplient, exprimant un sentiment de ras-le-bol général.
L'occasion de publier cette interview de Stéphane Hessel, que j'avais réalisée il y a un an environ. L'auteur de « Indígnate » y parle de son idée de la paix. Un sujet auquel les autorités chiliennes devraient davantage penser par les temps qui courent.
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JOSÉ LUIS SAMPEDRO À DROITE SALUE STÈPHANE HESSEL LE MOIS D'AVRIL 2011 À MADRID. PHOTO ULY MARTÍN |
Il a vu le jour en 1917, pendant la Première Guerre mondiale, à Berlin. Il commence à exister, à penser, à comprendre le monde, au moment où les citoyens européens se disent que cette guerre doit être la dernière et qu'il faut désormais veiller à préserver la paix.
C'est sans doute pour cela que Stéphane Hessel s'est attaché, tout le long de son existence, aux valeurs qui fondent la paix et aux droits de l'homme. Déporté en 1944, survivant des camps de concentration nazis, il joue un rôle central dans la construction de la paix en participant à la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l'homme, en 1948 :
« Il nous fallait veiller à protéger la paix entre les deux pays qui m'étaient proches : l'Allemagne où je suis né, et la France où j'ai vécu. J'étais donc très à l'écoute de tous ceux qui, comme Aristide Briand [ministre des Affaires étrangères français, ndlr] et Frank Billings Kellogg [secrétaire d'Etat américain, ndlr] insistaient sur le besoin urgent de créer une Société des Nations (SDN) garante de la paix dans le monde.
Lorsque je suis arrivé à Paris en 1924, la SDN avait quatre ans. La paix était au centre de la diplomatie internationale. Je dirais même que l'Organisation était presque exclusivement là pour la paix et ne s'occupait pas des valeurs qui fondent la paix, c'est-à-dire des droits de l'homme.
A la SDN, on pensait à l'époque que la paix serait assurée le jour où les Etats les plus puissants, les empires coloniaux, arriveraient à s'entendre à peu près pour ne plus se battre. La démonstration a été faite que cela ne suffisait pas… Les Etats ont repris la guerre : une guerre atroce. »
« Je n'ai jamais pensé que Hitler triompherait »
L'horreur nazie a duré douze ans : entre 1933, date à laquelle Hitler prend le pouvoir, et 1945, lorsque l'Allemagne a été défaite. Et pendant ces douze années, Hessel n'a « jamais pensé que Hitler triompherait » :
« Je me souviens d'une rencontre, à Marseille, avec Walter Benjamin [philosophe allemand, qui a préféré se suicider plutôt que d'être livré à la Gestapo en 1940, ndlr] quelques jours avant sa mort, et notre conversation portait sur la démocratie.
Nous étions d'accord sur le fait que nous vivions dans le “nadir” de celle-ci, qu'elle avait perdu sur tous les terrains : la Russie était liée à l'Allemagne, l'Amérique n'était pas en guerre, la France, la Belgique, la Hollande étaient vaincues, Hitler triomphait partout, c'était la fin, l'Angleterre était la seule à ne pas se trouver au milieu de la tourmente, mais elle était isolée.
Et je disais à Benjamin : “Mais non, il existe encore des grandes forces dans le monde, capables de tout renverser ! Cet Hitler ne va pas gagner, ce n'est pas possible ! Il faut croire au retour de la paix, croire à la démocratie ! ” J'avais écouté l'appel du général de Gaulle à la radio de Londres, et je n'avais qu'une idée, le rejoindre [ce que Hessel fit d'ailleurs en 1941, ndlr].
Je n'ai jamais cessé de croire à la paix. Même lorsque, après avoir travaillé contre Hitler, j'ai été arrêté le 10 juillet 1944, et déporté dans les camps de Buchenwald puis de Dora. Même si l'Allemagne continuait à nous tuer en masse, j'avais la conviction que la paix allait venir. »
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« Le texte fondateur du nouveau monde à construire »
« Je suis convaincu que la charte des Nations unies, adoptée le 24 juillet 1945, est vraiment le texte fondateur du nouveau monde à construire. Avec cette charte, nous nous sommes appuyés sur le respect mutuel pour consolider la paix, non seulement des Etats mais aussi des citoyens. »
Cette charte s'inspirait du discours de Franklin D. Roosevelt sur les « Quatre libertés », prononcé en 1941, bien avant la fin de la guerre, devant le Congrès des Etats-Unis, et repris par Winston Churchill.
« Un discours soulignant le besoin de liberté de parole et d'expression, liberté de culte, liberté de vivre à l'abri du besoin et liberté de ne pas avoir peur, pour tous les citoyens du monde. La charte contenait dans son préambule un appel très pressant à s'occuper des droits de l'homme.
Lorsque nous avons commencé à plancher sur la Déclaration universelle des droits de l'homme, en 1946, nous avions le préambule de la charte des Nations unies pour nous guider. Nous étions conscients de la nécessité d'aller vite parce que l'accord entre les vainqueurs de la Deuxième Guerre mondiale était fragile. La pression était forte : il fallait arriver à mettre ce texte sur pied et à le faire signer par tout le monde.
D'où notre immense satisfaction lorsque, le 10 décembre 1948, au palais de Chaillot, les 58 Etats qui constituaient alors l'Assemblée générale des Nations unies, ont voté “pour”. Pas une voix “contre”. C'était formidable. »
Le besoin d'un instrument juridique
Les rédacteurs de la déclaration savaient qu'il faudrait mettre en place un pacte d'engagement des Etats, c'est-à-dire un instrument juridique que la déclaration n'est pas : elle n'est qu'un appel. Mais le Pacte des droits de l'homme n'a été rédigé que dix-huit ans plus tard, en 1976, en raison du manque d'unité des vainqueurs :
« Aujourd'hui, nous avons une organisation, les Nations unies, qui regroupe 192 Etats qui constituent la Société internationale. Et à côté de ces Etats, des milliers d'organisations non gouvernementales (ONG) qui défendent les droits de l'homme, le développement, la paix. Ça, c'est un acquis. Alors, même si cette organisation est loin d'avoir réalisé ses objectifs, ceux-ci n'ont pas changé.
Je crois que ma génération a expérimenté la construction de l'Europe, qui ne pouvait se faire que sur la base d'un absolu pardon vis-à-vis des peuples. Les peuples avaient été dirigés par des tyrans – en Italie, en Allemagne, au Japon, en Union soviétique –, il fallait les dissocier des peuples. Se rendre compte que les peuples avaient toujours voulu la paix, qu'ils avaient fini par vaincre les tyrans.
L'Europe démocratique, qui a fait l'objet de tous les efforts pacifiques de ma génération – avec Jean Monnet, Pierre Mendès-France, Konrad Adenauer, Willy Brandt… –, cette Europe est une œuvre que je considère comme essentielle. Nous n'avons plus la hargne, ni l'esprit de vengeance à l'égard de personnes qui ont été des adversaires militaires : voilà la paix. La paix ne peut venir que lorsque ceux qui se sont combattus se respectent et acceptent de vivre ensemble, sans garder de rancune. »