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dimanche 19 mai 2019

FESTIVAL DE CANNES 2019 : « LA CORDILLÈRE DES SONGES », VOYAGE SINGULIER ET ONIRIQUE AU CHILI

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LE CINÉASTE PATRICIO GUZMAN (DE SON NOM COMPLET PATRICIO GUZMAN LOZANES)
 SUR LA TERRASSE DU PALAIS DES FESTIVALS À CANNES, LE 18 MAI 2019
PHOTO PAOLO VERZONE
Grand chroniqueur de l’histoire contemporaine chilienne, Patricio Guzman livre le dernier volet d’une trilogie grandiose sur son pays meurtri par la dictature de Pinochet. 
 Par Véronique Cauhapé
AFFICHE DU FILM
« LA CORDILLÈRE DES SONGES »

  
Les quarante-six années d’exil passées loin du Chili où il est né en 1941, Patricio Guzman les a vécues sans que jamais ne se dissipent les fumées de sa maison d’enfance, désormais en ruine. Il les a néanmoins traversées en revenant sans cesse dans ce pays, par la voie du documentaire politique, afin d’en rapporter l’histoire et de garder le lien avec cet endroit du monde auquel il fut arraché après le coup d’Etat d’Augusto Pinochet en 1973. Les trente films qu’il a réalisés sur le Chili dont La Bataille du Chili (1974-1979), avec la participation de Chris Marker, Le Cas Pinochet (2001) ou Salvador Allende (2004), ont classé Patricio Guzman parmi les grands chroniqueurs cinématographiques de l’histoire contemporaine chilienne. Il est cette année à Cannes, en séance spéciale, pour La Cordillère des songes, dernier volet d’une trilogie dont les précédents – Nostalgie de la lumière (2010) et Le Bouton de nacre (2015) –sont à considérer comme des chefs-d’œuvre. Le troisième s’y ajoute.

La Cordillère des songes est la fin d’un voyage singulier, à travers le cosmos et les entrailles de la terre (empreintes de l’histoire chilienne et du combat des hommes), que le réalisateur avait commencé d’entreprendre il y a près de dix ans. La première étape l’avait conduit dans le désert d’Atacama (Nostalgie de la lumière), la deuxième en Patagonie (Le Bouton de nacre). La troisième l’a mené aux sommets de la Cordillère des Andes. Paysage de ses ancêtres, métaphore du Chili quand, comme Patricio Guzman, on en est éloigné, « malle qui renferme les lois poétiques les plus importantes », silhouette grandiose de roches dont les fissures apparaissent comme des cicatrices. La Cordillère est l’écho, quand elle rugit, des tirs de répression durant la dictature, du sang versé, des corps disparus ; l’écho aussi, par ses vents parfumés, d’une douceur qui n’existe plus. Le cinéaste fait œuvre de géologue pour éclairer l’histoire passée et présente. La distance qui le sépare de son pays, est géographique et temporelle. Il revient vers ce qui est immuable, ce vers quoi on se tourne quand on croit avoir tout perdu.


Une résonance de l’histoire chilienne


Les vallées, les sommets, les gouffres, les lacs et les nuages, le cinéaste les confrontent aux habitants de ce pays, à la parole des sculpteurs Francisco Gazitua et Vicente Gajardo qui extraient la pierre pour l’immortaliser à leur manière ; de l’écrivain Jorge Baradit qui, à travers ses livres, interroge l’histoire récente du pays ; et du réalisateur Pablo Salas qui, depuis quarante ans, filme inlassablement le Chili. De nombreuses images, parmi les milliers qu’il a tournées durant les exactions du régime de Pinochet, alimentent ce documentaire. Elles témoignent de ce qui résonne encore au Chili, malgré le silence qui s’est abattu, ensuite, sur ces dix-huit ans de dictature.

Deux décennies qui ont isolé les Chiliens les uns des autres, les ont contraints à une économie néolibéraliste qui surenrichit ceux qui le sont déjà et qui écrase les pauvres. Le régime Pinochet a fait perdre deux fois son pays au cinéaste. En le poussant à partir et en l’empêchant, plus tard, par les traces qu’il y a laissées, de reconnaître son pays. Seule la Cordillère pouvait l’aider à se souvenir, faire rempart à la solitude et l’angoisse qui l’accompagnent depuis son départ, le 11 septembre 1973.
FILM « LA CORDILLÈRE DES SONGES »