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SIMULATION NUMÉRIQUE D’UN TROU NOIR RÉSULTANT DE LA FUSION DE DEUX AUTRES PLUS PETITS. ANIMATION CREATED BY SXS, THE SIMULATING EXTREME SPACETIMES (SXS) PROJECT |
Le 11 février, l’annonce avait fait grand bruit. Pour la première fois un signal étrange mais prévu par la théorie d’Einstein un siècle plus tôt était détecté sur Terre : des ondes dites gravitationnelles, qui déforment l’espace-temps de sorte que les distances peuvent se contracter ou se dilater, dont l’existence était confirmée par l’expérience LIGO aux Etats-Unis, associée à Virgo en Italie. De quoi ouvrir une nouvelle fenêtre d’observation de l’Univers car ces ondes peuvent être engendrées par des objets invisibles à la lumière, aux ultraviolets, aux infrarouges, aux rayons X…
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SIMULATION INFORMATIQUE DE LA FUSION DE DEUX TROUS NOIRS
UN GROUPE DE THÉORICIENS SONGE PAR EXEMPLE À D’AUTRES MONSTRES COSMIQUES COMME LES GRAVASTARS OU LES ÉTOILES BOSONIQUES
« Pas si vite ! », estime en substance un groupe de théoriciens des universités de Lisbonne et de Rome dans Physical Review Letters(PRL) du 27 avril. Selon eux, le signal pourrait avoir été causé par autre chose que des trous noirs. Ils songent par exemple à d’autres monstres cosmiques comme les gravastars ou les étoiles bosoniques.
Les premières sont faites de matière exotique, du genre de celle qui accélère notre Univers en s’opposant à la gravité. Les secondes sont constituées de particules encore jamais vues mais apparentées au célèbre boson de Higgs découvert en 2012. Leur seul point commun est de concentrer une énorme quantité de matière en un minimum d’espace. Les objets vus par LIGO ramassent trente soleils dans 200 kilomètres de diamètre quand, au centre de notre galaxie, un géant qui fait tourner des étoiles proches pèse, lui, quatre millions de soleils.
La différence avec les trous noirs est que ces géants ne possèdent pas d’horizon, c’est-à-dire une frontière en deçà de laquelle tout objet, y compris la lumière, ne pourra plus sortir. On peut s’approcher et s’échapper d’une gravastar par exemple.
Tunnel dans l’espace-temps
Tous ces objets compacts partagent en revanche une même propriété : la force de gravitation est si intense, à cause d’une concentration énorme de matière en un petit volume, que la lumière peut se mettre en orbite autour d’eux, comme la Lune autour de la Terre. Un anneau de lumière apparaît, juste un peu au-delà de l’horizon dans le cas du trou noir. Cet effet étonnant n’a jamais été observé mais il suffit à expliquer le signal de LIGO estiment les chercheurs dans PRL.
UN MODÈLE D'ESPACE-TEMPS 'PLIÉ' ILLUSTRE COMMENT UN PONT DE TROU DE VER POURRAIT SE FORMER AVEC AU MOINS DEUX BOUCHES QUI SONT CONNECTÉES À UNE SEULE GORGE OU À UN TUBE. CRÉDIT EDOBRIC / SHUTTERSTOCK |
Plus précisément, ils ont fait le calcul pour un de ces géants : le trou de ver. C’est une sorte de tunnel dans l’espace-temps qui permet de relier deux régions très éloignées de l’Univers, voire d’autres univers… Pour « tenir », le tunnel doit être constitué d’une matière exotique dont les constituants se repoussent. Personne n’en a jamais vu mais leur inventeur est Kip Thorne, à l’origine du lobbying pour construire LIGO.
Les physiciens ont forcé numériquement un trou noir et un trou de ver à osciller en les perturbant par l’arrivée d’une particule. Tel un instrument de musique, ces géants se mettent à vibrer et émettre des ondes gravitationnelles. Surprise, la musique ainsi jouée est identique dans les deux cas. « Le trou de ver est le candidat le plus simple à calculer mais nous pensons que le raisonnement vaut pour d’autres, comme les gravastars et les étoiles bosoniques », estime Vitor Cardoso, professeur de l’université de Lisbonne.
«Il est très prématuré et injustifié de “crier au loup”»
En fait, la ressemblance n’est valable que pendant un certain temps. Contrairement aux trous noirs, les trous de ver émettent ensuite un écho, en fin de désexcitation. Autrement dit, il serait donc possible de distinguer entre plusieurs origines mais « à condition d’avoir des instruments plus précis ou d’avoir de la chance et de tomber sur un événement suffisamment proche pour être de grande intensité », ajoute Vitor Cardoso. De quoi stimuler les équipes des deux principaux instruments, LIGO aux Etats-Unis et Virgo en Europe, en concurrence pour les détections, mais qui travaillent de concert pour analyser les résultats.
Eric Gourgoulhon, du Laboratoire univers et théorie (LUTH) à l’Observatoire de Meudon, pointe aussi une autre manière de différencier les trous noirs de leurs cousins, « les anomalies des orbites des étoiles au voisinage d’objets invisibles compacts sont différentes selon que l’on a affaire à un trou noir ou à une étoile bosonique par exemple. L’instrument Gravity, installé à l’Observatoire européen austral au Chili depuis peu, devrait permettre de telles mesures».
« Cet article met en garde contre des conclusions hâtives, mais finalement leur calcul renforce le trou noir car les alternatives actuelles sont bien moins naturelles », souligne Philippe Grandclement du LUTH. « Conceptuellement, c’est en principe une bonne question d’essayer d’imiter les trous noirs, mais il faudrait que de tels modèles existent vraiment. En leur absence, il est très prématuré et injustifié de “crier au loup”, même si une telle possibilité doit demeurer dans nos esprits », indique Thibault Damour, de l’Institut des hautes études scientifiques, à Bures-sur-Yvette (Essonne).
Il est aussi l’un des lauréats du prix le mieux doté du monde, le Breakthrough Prize, créée en 2012 par un entrepreneur de l’Internet, Yuri Milner. Le 2 mai, le jury a salué l’exploit de LIGO et Virgo en accordant son montant de 3 millions de dollars à… 1 015 personnes. Outre le millier de signataires de l’article expérimental et les Français Thibault Damour et Luc Blanchet, les pionniers de cette histoire ont été récompensés : Ronald Drever, Rainer Weiss et Kip Thorne.