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CINÉMA. ENTRE CHILI ET ITALIE, UNE BOUSSOLE POUR QUE LES TEMPS CONCORDENT |
Santiago, Italia Nanni Moretti Italie, 1 h 20Un documentaire plein d’intelligence conjugue images d’archives et témoignages afin de retracer le parcours vers la Botte de nombreux réfugiés après le coup d’État militaire le 11 septembre 1973.
NANNI MORETTI LORS DU TORINO FILM FESTIVAL, LE 1ER DÉCEMBRE 2018. PHOTO ALESSANDRO DI MARCO |
Une nation en marche vers un socialisme humaniste et marxiste
Au coup d’État militaire succéderont dix-sept ans d’une interminable traînée de sang. Au cours des premiers jours d’effroi, l’ambassade d’Italie laisse franchir ses murs à ceux qui y parviennent. Deux mètres à hauteur d’enjeu vital. Le pays n’accorde pas officiellement de visas en raison du possible « risque d’attraction ». Un son très actuel nous vibre à l’oreille. Quelque six cents « asilados » ont trouvé refuge dans les bâtiments bouleversés. Au sein de la restitution des souvenirs, peur et chauds brandons de la jeunesse remémorée se liguent. Plusieurs gagneront Rome depuis l’aéroport de Santiago où les accompagnent les diplomates italiens. Les larmes ne sont jamais loin.
Les séquences grises du bombardement par l’aviation du palais de la Moneda, où réside le président élu Salvador Allende, n’en finissent pas de briser nos cœurs en révolte. De ce qui a précédé et s’est ensuivi, les récits surgiront en adéquation avec la chronologie. Quel que soit le degré de familiarité du spectateur avec cette expérience unique, le sentiment de découverte s’intensifie de le parcourir, des voix singulières qui le soutiennent. Un nouvel édifice se construit, scrupuleusement documenté. D’abord « l’état amoureux » d’un pays en marche vers un socialisme humaniste, marxiste, fondé sur des élections démocratiques. Quelque chose de la joie en dépit des entraves. Elles ont émergé des dossiers classés de la CIA. Kissinger planifiait l’intervention armée, s’apprêtant à envoyer ses propres troupes. À nouveau cet effet d’écho…
La dislocation des collectifs en individus réduits au prix du marché
Au travail d’abeilles de ceux qui partout agissent, à la liesse populaire, répondent vite discrédit de la bourgeoisie et harcèlement propagandiste de la droite. Les industriels bloquent tout ce qu’ils peuvent. On manque de pain, de viande, d’essence. Quand la terreur militaire s’abat, entre meurtres et tortures, les opposants à la dictature n’ont d’autre issue que la fuite. Des pays européens offrent plus ou moins d’aide. La Suède, mais également la France et l’Italie, où partis communistes et organisations de gauche ont du poids. Nanni Moretti déplace le focus sur son pays, aux heures d’hier et de maintenant. Aux prémices du film, Matteo Salvini n’était pas encore au pouvoir. La belle histoire humaine se trouble de sombres éclats. L’accueil fait aux immigrés chiliens dépourvus de tout sauf de courage dans l’Italie des années 1970 souligne les dérives sécuritaires et xénophobes, la dislocation des collectifs en individus réduits au prix du marché. Des Chiliens qui ont pu rejoindre l’Italie furent embauchés dans les usines, dans les campagnes de « l’Émilie rouge », dans des écoles. Ils se sont composé une existence. Les parallèles filent vers l’horizon. Pour ouvrir les yeux sur le monde, c’est toujours le bon moment.
Dominique Widemann