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mardi 26 février 2019

LE PRÉSIDENT ET LES PYROMANES


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VICENTE DE EMPARAM 
« Le pire n’est point arrivé tant qu’on peut dire : “Ceci est le pire. ” » Ces jours-ci, la diplomatie française fait penser à ce vers du Roi Lear. À l’issue du quinquennat de M. François Hollande, on croyait avoir atteint le fond (1) ; quelques-uns prédisaient même un sursaut d’orgueil. Après tout, dès lors que les États-Unis affichaient leur souverain mépris envers les capitales européennes et leur désir de se dégager des obligations du traité de l’Alliance atlantique, pourquoi ne pas en profiter pour quitter l’OTAN (lire « Un donjon d’un autre âge »), renoncer à la politique de sanctions contre Moscou et imaginer la coopération européenne « de l’Atlantique à l’Oural » dont rêvait le général Charles de Gaulle il y a soixante ans ? Enfin libre de la tutelle américaine — et adulte !
TRUMP ÔTE UNE PELLICULE DE LA VESTE
DE MACRON LORS DE LEUR CONFÉRENCE
COMMUNE DANS LE BUREAU OVALE.
PHOTO KEVIN LAMARQUE
En entérinant l’autoproclamation de M. Juan Guaidó comme chef de l’État vénézuélien par intérim au prétexte d’une vacance de la présidence qui n’existe que dans son imagination, Paris s’est au contraire mis une nouvelle fois à la remorque de la Maison Blanche et a donné son aval à une tentative de coup d’État. La situation au Venezuela est dramatique : inflation galopante, sous-alimentation, prévarication, sanctions, violences (2). Elle l’est aussi parce qu’une solution politique se heurte désormais au sentiment que quiconque se dresse contre le pouvoir, ou perd le pouvoir, risque d’échouer derrière des barreaux. Comment les dirigeants vénézuéliens n’auraient-ils pas à l’esprit le cas de l’ancien président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva, interdit de candidature à une élection présidentielle qu’il aurait probablement remportée et condamné à vingt-cinq ans de prison ?

La décision de la France enfreint la règle qui voulait que Paris reconnaisse des États, pas des régimes. Elle conduit également M. Emmanuel Macron à encourager la politique incendiaire des États-Unis, qui, derrière le Venezuela, vise aussi Cuba et le Nicaragua. Car la proclamation de M. Guaidó a été inspirée par les pyromanes les plus dangereux de l’administration Trump, tels MM. John Bolton et Elliott Abrams (lire « Le retour du “secrétaire d’État aux sales guerres” »). Nul n’ignore au demeurant que le vice-président américain Michael Pence a informé M. Guaidó que les États-Unis le reconnaîtraient… la veille du jour où il s’est proclamé chef de l’État (3).

Le 24 janvier dernier, M. Macron a exigé « la restauration de la démocratie au Venezuela ». Quatre jours plus tard, il arrivait l’âme légère au Caire, bien décidé à vendre quelques armes supplémentaires au président égyptien Abdel Fattah Al-Sissi, auteur d’un coup d’État rapidement suivi par l’incarcération de soixante mille opposants politiques et par la condamnation à mort de son prédécesseur librement élu. En matière de politique étrangère qui se prétend vertueuse, le pire est-il encore à venir ?
Serge Halimi

(1) Lire Dominique de Villepin, « “La France gesticule... mais ne dit rien” », Le Monde diplomatique, décembre 2014.
(2) Lire Renaud Lambert, « Venezuela, les raisons du chaos », et Temir Porras Ponceleón, « Pour sortir de l’impasse au Venezuela », Le Monde diplomatique, respectivement décembre 2016 et novembre 2018.
(3) Cf. Jessica Donati, Vivian Salama et Ian Talley, « Trump sees Maduro move as first shot in wider battle », The Wall Street Journal, New York, 30 janvier 2019.

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3:24 • Lu par Arnaud Romain