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jeudi 14 février 2019

LES FANTÔMES DU NAZISME HANTENT LE BRÉSIL DE BOLSONARO


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LE NOUVEAU MINISTRE BRÉSILIEN DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
 ERNESTO ARAUJO, LE 2 JANVIER 2019. 
PHOTO ANTONIO LACERDA
À l’heure où des membres du gouvernement brésilien ne cachent pas un alignement idéologique avec le nationalisme des années 1930, un article évoque la protection accordée à d’anciens nazis par le père de l’actuel ministre des affaires étrangères. 
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LE CRIMINEL NAZI GUSTAV FRANZ
WAGNER DANS LES ANNÉES 1970
PHOTO FOLHA DE SAO PAULO
Les opposants au gouvernement de Jair Bolsonaro parlent d’une « dynastie du mal », les autres s’offusquent qu’on exhume les péchés d’un père pour attaquer le fils. Reste la gêne, au lendemain de la publication de l’article du quotidien Folha de Sao Paulo, mardi 12 février, révélant qu’Henrique Araujo, père du ministre brésilien des affaires étrangères Ernesto Araujo, a contribué à empêcher l’extradition du criminel nazi Gustav Franz Wagner dans les années 1970 à l’époque de la dictature militaire (1964-1985).

L’ancien sous-commandant du camp d’extermination de Sobibor en Pologne était, à l’instar de divers ex-SS, parvenu à fuir l’Europe, trouvant refuge au Brésil après un passage par la Syrie. Devenu gardien d’une propriété dans l’État de Sao Paulo, celui dont le sadisme et la brutalité lui valurent le surnom de « la bête », tentait alors d’y faire oublier son passé.

Né à Vienne en 1911, Gustav Wagner adhère au parti nazi à vingt ans et s’illustre tout d’abord, en 1940, pour sa participation au génocide des malades mentaux dans le centre de mise à mort de Hartheim en Autriche. Loué dans les rangs SS pour son efficacité et son expertise dans l’usage criminel du monoxyde de carbone il est, deux ans plus tard, affecté au camp de Sobibor où, bras droit de Franz Stangl, il est chargé du tri des déportés, destinés tantôt à la chambre à gaz tantôt au travail forcé.

Décrit comme une brute prompte à fouetter les prisonniers sans raison il aurait, entre autres barbaries, frappé à mort deux détenus qui ne parlaient pas allemand, sous prétexte qu’ils n’obéissaient pas à ses ordres, tiré une balle dans la tête du jeune Abraham âgé d’une quinzaine d’années, sous les yeux de ses frères, car l’adolescent s’était montré incapable de se lever de sa paillasse, et abattu un nouveau-né dans les bras de sa mère.

Démasqué par le chasseur de nazis Simon Wiesenthal
La scène a été immortalisée dans le film Les Rescapés de Sobibor, de Jack Golf, sorti en 1987, qui relate également la mutinerie de 1943 et la fuite de près de 300 détenus, dont une centaine seront repris. A Sobibor, partie intégrante de l’« opération Reinhard » – l’extermination systématique des juifs de Pologne – quelque 250 000 personnes ont été assassinées.

Le bourreau de Sobibor est démasqué en 1978 par le chasseur de nazis Simon Wiesenthal, qui assure au journaliste de Jornal do Brasil Mario Chimanovitch avoir reconnu Gustav Wagner sur la photo d’une fête tenue à l’hôtel Tyll, à Itatiaia dans l’État de Rio de Janeiro pour célébrer l’anniversaire d’Hitler. Onze ans après l’extradition de son compère Franz Stangl, en 1967, qui s’était aussi réfugié au Brésil, Wagner, affolé à l’idée d’être rattrapé par le Mossad, les services secrets israéliens, se rend de lui-même à la police brésilienne.

Les demandes d’extradition formulées alors par Israël, la Pologne, l’Autriche sont déclinées une à une par le procureur général de l’époque : Henrique Araujo. Le père du ministre de Jair Bolsonaro récuse la demande de l’État hébreu, arguant que celui-ci n’existait pas au moment des crimes. Pour la Pologne et l’Autriche, il retient la prescription des faits d’homicide (vingt ans), qu’il se garde de qualifier de crime contre l’humanité.

Ce dernier argument ne vaut pas « en théorie », écrit-il pour la demande formulée par l’Allemagne qui, en 1967, avait déjà réclamé l’arrestation du nazi. Mais Henrique Araujo exige davantage de preuves dans un dossier épais d’un millier de pages. Un an plus tard les juges de la Cour suprême appelés à se prononcer refusent l’extradition. Le 3 octobre 1980, Gustav Wagner est retrouvé mort, un couteau planté dans la poitrine. On parle de suicide.

Failles mémorielles

Henrique Araujo, connu pour son appui à la censure, a eu un rôle-clé mais pas définitif dans la protection du criminel. « S’il a manqué de sensibilité et de volonté, son analyse est techniquement correcte vu les lois de l’époque », constate Bruno Leal professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Brasilia.

Serge Klarsfeld, interrogé par téléphone, rappelle aussi qu’« à l’époque en Amérique latine, dans les dictatures comme dans les démocraties, les demandes étaient la plupart du temps refusées ». L’historien et avocat de la cause des déportés avait, de fait, réclamé en vain sous la présidence du socialiste Salvador Allende l’extradition de Walter Rauff du Chili.

Il n’empêche. « Les régimes militaires en Amérique latine ont fait preuve de complaisance avec les crimes nazis. Ce n’est pas un mystère. Mais à une époque où le Brésil semble perdre la mémoire, il n’est pas inutile de le rappeler », note Géraldine Schwarz, auteure de Les Amnésiques (éd. Flammarion, 2017), livre fondé sur l’histoire de sa famille, qui souligne les failles mémorielles de l’époque nazie dans lesquelles s’engouffre l’extrême droite.

Le rafraîchissement des esprits est d’autant plus salutaire que « le discours de membres de l’actuel gouvernement laisse poindre un alignement idéologique avec certaines idées sombres des années 1930 », souligne l’historien Michel Gherman.

La Folha de Sao Paulo rappelle à ce titre les écrits du ministre des affaires étrangères en 2017, qualifiant le régime nazi, le national-socialisme, « de gauche » tout en faisant l’éloge du « sentiment national authentique » qu’il contenait.

Jair Bolsonaro est encore plus explicite. En 2012 lors de l’émission de télévision « CQC Sem Saída », sorte de jeu de la vérité, l’actuel chef de l’État, alors député, avait confié (après avoir qualifié la dictature militaire d’« excellente » et confessé sans honte avoir frappé sa femme) considérer Hitler comme « un grand stratège ». Dans une partie coupée lors de la diffusion mais encore visible sur Youtube, il compare la Shoah au « génocide » provoqué par les détournements de fonds dédiés à la santé, tout en laissant entendre que les juifs seraient, pendant la guerre, morts de faim et de froid.
Claire Gatinois (Sao Paulo, correspondante)