[ Pour écouter, cliquer sur la flèche ]
RÉFUGIÉS MARCHANT SUR LA ROUTE ENTRE BARCELONE ET LA FRONTIÈRE FRANCO-ESPAGNOLE, 25-27 JANVIER 1939 PHOTO ROBERT CAPA |
Geneviève Dreyfus-Armand est historienne. L’ancienne directrice de la Bibliothèque de documentation internationale contemporaine est l’auteure d’ouvrages de référence sur la Retirada, dont l’Exil des républicains espagnols en France. De la guerre civile à la mort de Franco.
Quel est l’état des travaux historiques sur les réfugiés de la guerre civile espagnole ?
Geneviève Dreyfus-Armand
L’histoire de l’exil a été très longue à s’écrire. En Espagne, pendant la dictature qui a duré quasiment quarante ans, les républicains étaient les vaincus. Pour le franquisme, il fallait oublier la République. Du côté républicain et des exilés qui, pendant longtemps, ont cru qu’ils allaient pouvoir rentrer en Espagne et qui espéraient que les puissances alliées allaient renverser Franco après la fin de la Seconde Guerre mondiale, les premiers écrits ont été des témoignages venant des exilés eux-mêmes sur les camps ou sur leur participation à la Résistance. Des études historiques ont commencé à paraître au milieu des années 1970. En Espagne, c’étaient plutôt des études de type statistiques, mais rien sur le fond politique de l’exil. En France, les études véritablement historiques n’ont commencé à apparaître qu’à la fin des années 1980 et au début des années 1990. C’est quelque chose qui est relativement récent. À partir des années 1990, de nombreux travaux ont été publiés dans les deux pays. Des associations d’études et de recherches sur l’exil se sont créées. Historiens français et espagnols travaillent ensemble depuis maintenant une vingtaine d’années.
GENEVIÈVE DREYFUS-ARMAND PHOTO L'HUMANITÉ |
L’histoire de l’exil a été très longue à s’écrire. En Espagne, pendant la dictature qui a duré quasiment quarante ans, les républicains étaient les vaincus. Pour le franquisme, il fallait oublier la République. Du côté républicain et des exilés qui, pendant longtemps, ont cru qu’ils allaient pouvoir rentrer en Espagne et qui espéraient que les puissances alliées allaient renverser Franco après la fin de la Seconde Guerre mondiale, les premiers écrits ont été des témoignages venant des exilés eux-mêmes sur les camps ou sur leur participation à la Résistance. Des études historiques ont commencé à paraître au milieu des années 1970. En Espagne, c’étaient plutôt des études de type statistiques, mais rien sur le fond politique de l’exil. En France, les études véritablement historiques n’ont commencé à apparaître qu’à la fin des années 1980 et au début des années 1990. C’est quelque chose qui est relativement récent. À partir des années 1990, de nombreux travaux ont été publiés dans les deux pays. Des associations d’études et de recherches sur l’exil se sont créées. Historiens français et espagnols travaillent ensemble depuis maintenant une vingtaine d’années.
Quels ont été les obstacles au déploiement de ce travail historique ?
Geneviève Dreyfus-Armand Les obstacles n’étaient pas du même ordre évidemment en France et en Espagne. En France, ce n’était pas une interdiction qui pesait sur le travail historique. La guerre d’Espagne a beaucoup divisé la société française. Il y avait ceux qui soutenaient les républicains et puis ceux qui leur vouaient une haine féroce. Parmi ceux qui les soutenaient, il y avait en priorité la volonté de mieux comprendre ce qui s’était passé pendant la guerre plutôt que de travailler sur l’exil. Cela semblait un sujet étrange. De façon générale, par rapport aux exilés républicains, la France a quand même eu mauvaise conscience pendant longtemps. Mauvaise conscience quant à l’accueil et, surtout, à la suite de l’intégration de très nombreux exilés dans la Résistance et dans la France libre, mauvaise conscience quant aux promesses non tenues. Les gouvernements issus de la Résistance ont soutenu les républicains espagnols avec beaucoup de force, à la fois sur le plan juridique, puisqu’un statut leur a été accordé en 1945, et sur le plan politique. À l’époque, la France se mobilise beaucoup à l’ONU pour faire condamner le franquisme. Elle essaie de convaincre ses alliés anglais et américains de ne pas admettre l’Espagne franquiste dans les organisations internationales. Mais l’Espagne rentre, très rapidement, dans les organisations internationales. En 1952, à l’Unesco. Ce qui fait qu’Albert Camus, qui travaillait parfois pour l’Unesco, rompt avec elle avec fracas. En 1955, l’Espagne franquiste est admise à l’ONU.
DES RÉFUGIÉS ESPAGNOLS DU CÔTÉ DE BOURG MADAME EN 1939 PHOTO (©ARCHIVES DÉPARTEMENTALES JOSÉ MARTINEZ) |
Geneviève Dreyfus-Armand On parle beaucoup évidemment du grand exode de janvier et février 1939, après la chute de Barcelone. Cela a été le plus important avec près de 500 000 personnes. On oublie souvent, en effet, de parler des exils antérieurs. Les exodes ont commencé dès l’été 1936, quelques semaines après le coup d’État de Franco et à chaque prise de territoire par les franquistes. À l’été 1936, les franquistes s’emparent de la région de Saint-Sébastien et d’Irun. Ensuite, en 1937, ils s’emparent de toute la côte atlantique, de Bilbao et d’Oviedo. Entre 100 000 à 120 000 personnes partent en exil. Au printemps 1938, quand les franquistes s’emparent de l’Aragon, il y a un autre exode vraiment très important. Au total, ces trois exodes de 1936, 1937, 1938 représentent entre 160 000 et 170 000 personnes qui partent essentiellement vers la France. La quatrième vague, c’est celle de 1939. Mais il y en a une cinquième, qu’on oublie souvent, qui se produit à la fin du mois de mars 1939 lorsque les franquistes, aidés par les fascistes italiens, s’emparent du sud-est de l’Espagne, des régions de Valence, d’Alicante et d’Almeria où il y avait un réduit républicain important.
Quelles ont été les conditions d’accueil des réfugiés espagnols en France avant 1939 ?
Geneviève Dreyfus-Armand Il y a vraiment une différence d’accueil entre les exodes qui vont jusqu’au printemps 1938 et ceux qui suivent. En 1936, c’est le Front populaire en France. L’accueil a été pensé et organisé. Le gouvernement du Front populaire a très vite émis des consignes au préfet pour recenser les locaux disponibles et pour accueillir. Il y a aussi une forte solidarité de la société, des associations, des syndicats et des comités d’entreprise. Le 14 avril 1938, une majorité radicale présidée par Daladier arrive au pouvoir. L’une des premières mesures qui est prise par ce gouvernement est dirigée contre les étrangers et contre les réfugiés. Le 2 mai 1938, un décret est promulgué qui prévoit l’assignation à résidence des étrangers qui ne trouvent pas de pays pour les accueillir. En novembre 1938, le même gouvernement formule un nouveau décret parce qu’il trouve que l’assignation à résidence est une mesure trop clémente. Il promulgue un décret pour que les étrangers indésirables soient internés dans des centres spéciaux.
Et en 1939 ?
Geneviève Dreyfus-Armand En 1939, personne ne s’attendait à un tel afflux malgré certaines alertes données par des observateurs sur place. Le gouvernement républicain a demandé à la France, à la mi-janvier, d’accueillir 150 000 réfugiés. Ils sont 500 000 à arriver. Que va faire le gouvernement à ce moment-là ? À la fin du mois de janvier, d’abord, on ferme la frontière. Elle ne sera réouverte que peu à peu. Le 28 janvier pour les civils. Le 5 février pour les hommes en âge de porter les armes. En général, les réfugiés arrivent en ordre dispersé. Il est rare que les familles arrivent ensemble. Quand elles arrivent ensemble, on va séparer les femmes et les enfants des hommes à la frontière. On envoie les femmes et les enfants dans des refuges qui seront au mieux des colonies de vacances, mais très rarement, plutôt des granges, des anciennes usines, des prisons désaffectées, etc. En tout, 77 départements vont être concernés. Les hommes sont conduits dans des camps où, comme on n’a rien voulu prévoir, il n’y a rien que du sable. Sur les plages du Roussillon par exemple, à Argelès-sur-Mer et Saint-Cyprien notamment. Du sable avec des barbelés autour. On fait venir des troupes coloniales avec des gardes mobiles et c’est tout. On est en hiver. La tramontane peut être glaciale. Dans un premier temps, les réfugiés se construisent des abris de fortune avec des tôles et du matériel qu’ils ont pu récupérer. Peu à peu, des cabanes vont être construites par les réfugiés eux-mêmes et d’autres camps vont s’ouvrir. Au Barcarès, par exemple, pas très loin, pour ceux qui pensent pouvoir repartir. Dans l’Hérault, dans le Tarn-et-Garonne, etc. Un camp disciplinaire s’installe en Ariège. Il y a aussi la forteresse de Collioure qui va servir de lieu disciplinaire.
Geneviève Dreyfus-Armand
Historienne
SUR LE MÊME SUJET :