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vendredi 26 avril 2019

CHILI: LES INDIENS MAPUCHE LUTTENT EN MUSIQUE POUR DÉFENDRE LEUR IDENTITÉ

L'INDIEN MAPUCHE KALFULLUFKEN PAILLAFILU, MEMBRE DU
GROUPE DE RAP "WECHEKECHE NI TRAWUN", LORS D'UNE
RÉPÉTITION  À SANTIAGO DU CHILI, LE 29 MARS 2019
PHOTO MARTIN BERNETTI
Sur la scène d’un parc de Santiago, le groupe de rap "Wechekeche Ni Trawun" formé de jeunes Indiens mapuche chante devant une centaine de spectateurs pour défendre les droits de leur communauté, utilisant la musique comme instrument de lutte.
FILUTRARU PAILLAFILU (G) ET ANA MILLALEO, MEMBRES DU
GROUPE DE RAP "WECHEKECHE NI TRAWUN", LORS D'UNE
RÉPÉTITION À SANTIAGO DU CHILI, LE 29 MARS 2019
PHOTO MARTIN BERNETTI
la tête ceinte du traditionnel bandeau "Trarilonco", trois membres du groupe crachent leur flow rythmé, tout en agitant chacun un wada, une sorte de maracas traditionnel de la culture mapuche.

Les Mapuche, ou "peuple de la terre" en langue mapudungun, représentent la communauté amérindienne la plus importante du Chili (9,1% de la population). Originaire du sud du pays ainsi que d'Argentine, ils sont en conflit avec l'Etat chilien depuis 1860, lorsque des colons ont occupé leurs territoires.

"La musique joue un rôle fondamental, elle accompagne le processus de lutte", confie à l'AFP avec fierté Filutraru Paillafilu, l'un des cinq trentenaires qui forment "Wechekeche Ni Trawun" ("Rencontre des jeunes" en mapudungun).

Les Mapuche exigent la reconnaissance de leur culture et la restitution de leurs terres ancestrales qui, avant l'arrivée des Espagnols au Chili en 1541, s'étendaient du fleuve Biobio à environ 500 kilomètres plus au sud. A la suite de conflits avec les gouvernements successifs, leur territoire s'est considérablement réduit. Aujourd'hui, ils ne possèdent plus que 5% de leurs anciennes terres.

Pour se faire entendre, les plus radicaux ont recours, depuis plus d'une décennie, à des actions violentes, en majorité des incendies criminels visant des installations d'exploitants forestiers, des églises. Mais pour le groupe de rappeurs fondé en 2004, la lutte peut aussi prendre d'autres voies.

La musique, selon eux, "soutient" le combat contre l'appropriation de leurs terres et l'usage excessif de la force contre les Mapuche lors d'affrontements avec la police. Et ils ne mâchent pas leurs mots.

Dans la chanson intitulée "Nous vaincrons l'Etat" (2017), le groupe s'adresse directement à ceux qu'ils considèrent comme des "oppresseurs" : "Tu emprisonnes, puis tu assassines et ensuite tu demandes pardon. Ton pardon est une insulte à ma nation".

- Tous métis -

Outre la lutte pour la restitution des terres, les musiciens désirent aussi transmettre la fierté d’être Mapuche à la jeune génération. "Nos textes parlent de tout ce qui touche à notre culture, notre histoire, notre lutte. On y ajoute aussi nos instruments", explique Filutraru, professeur de musique traditionnelle dans une école de Santiago.

Le groupe veut aussi montrer l'omniprésence de la culture mapuche dans la capitale chilienne. "Les gens ne savent pas que la moitié des noms (de rues, de communes) sont mapuche", regrette-t-il.

Chaque été, les musiciens se rendent dans les régions de La Araucania, Biobio et Los Rios, dans le sud du Chili, pour se produire devant les leurs, qui vivent souvent dans des conditions difficiles. Selon les statistiques, le taux de pauvreté du peuple mapuche est deux fois plus important que la moyenne nationale.

Au concert de Santiago, organisé pour récolter des fonds en faveur d'un enfant nécessitant des soins médicaux à l'étranger, seuls trois des membres du groupe sont venus chanter. Pour chaque concert, ils se relaient.

Différents groupes se succèdent sur scène. Mais quand "Wechekeche Ni Trawun" fait son apparition, le public s'anime. Certains spectateurs accompagnent le groupe de leur trutruka, un instrument de musique à vent traditionnel utilisé autrefois par les Mapuche pour se rassembler avant les combats.

Sur le plan musical, "Wechekeche Ni Trawun" associe son rap à du rock, de la salsa, de la cumbia, du RnB pour toucher autant de "frères" que possible, selon ses membres.

Les slogans contre la répression policière et en faveur de la libération du "Wallmapu" (territoire mapuche) se succèdent dans des chansons interprétées aussi bien en mapudungun qu'en espagnol.

"Nous sommes tous métis", explique à l'AFP Carolina, une éducatrice, parmi la foule de fans qui crient les paroles avec entrain. "Le mapudungun devrait être enseigné à l'école pour que nos enfants se rendent compte de l'interculturalité de notre pays", estime la jeune femme qui dit avoir, malgré son nom espagnol, du "sang mapuche".

"Faire de la musique est une responsabilité (...) celle de transmettre un message important qui va inspirer nos frères", conclut Filutraru Paillafilu.

Par Victorine BARRALES LEAL
AFP