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GUERNICA BOMBARDEMENT 26 AVRIL 1937 |
1937 - 26 AVRIL - 2019
82ÈME ANNIVERSAIRE DU TRAGIQUE
BOMBARDEMENT DE LA VILLE DE GUERNICA
Même ceux qui ignorent à peu près tout de la guerre d’Espagne connaissent ce nom, « Guernica ». Il est un exemple, peut-être unique, des effets d’illustration que l’art peut provoquer de l’Histoire en train de se vivre et du dépassement de l’événement qu’il opère.
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Pour l’évoquer, choisissons quatre fictions parmi la trentaine de romans qui, des années 90 à aujourd’hui, inscrivent ce nom comme fait et métaphore d’un combat. Deux de ces fictions sont récentes (2018) : Pour qui meurt Guernica ? de Sophie Doudet et Guernica 1937 d’Alain Vircondelet. Deux autres un peu plus anciennes : L’enfant de Guernica de Guy Jimenès (2010) et Guernica de Carlo Lucarelli (1998). Sélectionner ces quatre œuvres répond à la fois à l’actualité de publications, au 80e anniversaire de la fin de cette guerre, et à un choix personnel.
19 JUILLET 1936 : UNE DES RARES AFFICHES OÙ LE PRÊTRE, LES MILITAIRES ET LE GROS CAPITALISTE SONT DÉSIGNÉS COMME LES ENNEMIS À COMBATTRE |
Un des lecteurs de Voix endormies de Dulca Chacón écrivait en 2006 : « Je crois que nous devons accepter l’idée que ce conflit est très peu perçu par les jeunes générations pour lesquelles l’Espagne est davantage le pays du soleil et des vacances que celui de l’incroyable dictature de Franco même si cette guerre nous a aussi valu un chef-d’œuvre comme Guernica qui, à mes yeux, représente l’expression la plus extraordinaire de l’horreur en peinture ». Entre le réalisme de l’affiche supra et le symbolisme de la toile de Picasso, comment se situer et pour parler de quoi, comment écrire Guernica pour différents publics ? Quelques titres montrent qu’une autre sélection était possible : Le roman de Guernica de Paul Haïm (1999), Le chêne de Guernica de Gracianne Hastoy (2003), 1937-Paris-Guernica de Thierry Beinstingel (2007), Les dernières heures de Guernica de Gordon Thomas, Max Morgan-Witts et al. (2007), Les larmes de Guernica d’Andrès Marquez Vallina (2013), Le Héron de Guernica d’Antoine Choplin (2015), Tomka, le gitan de Guernica de Giuseppe Palembo, Massimo Carlotto et al. (2017) ou Les Noces de Guernica, tome 3 des Aventures de Boro de Dan Franck et Jean Vautrin (2017), etc.
Les quatre fictions retenues sont très différentes malgré leur focalisation commune, dès leurs titres, autour du nom de la petite ville. Le roman d’Alain Vircondelet est une variation sur l’année 1937 (un peu avant et après aussi) des amours de Picasso, sur lesquelles il a tant été écrit. Les fictions de Sophie Doudet et de Guy Jimenes sont plutôt des romans jeunesse qui, pourtant, se laissent bien lire par des adultes. Enfin le roman de Carlo Lucarelli est un roman noir, de type policier, dans le monde glauque de la guerre civile.
HISTOIRE ET LITTÉRATURE, GUERNICA AUX ÉCHOS MULTIPLES |
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« Les invités arrivèrent dans l’atelier et Picasso dévoila la toile. Elle apparut dans sa splendeur horizontale, comme un vaste panorama qu’aucun horizon ne venait borner, envahissant tout l’espace, et les invités demeurèrent stupéfaits. Le silence était perceptible. Dora mesurait la force du tableau que d’une certaine façon elle avait, elle aussi, fait naître. […] C’était un après-midi près des quais de la Seine ; Mais c’était aussi le crépuscule atroce du 26 avril à Guernica. Le désert de cendres fumantes et de corps agonisants ou terrassés d’où surgissait la fierté brutale du taureau aux naseaux enflés de fureur. C’était Guernica et ce n’était pas seulement Guernica. C’était d’abord le tout de la violence, l’abomination de toutes les guerres ».
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À Vitoria, les parents de Maria, engagés du côté républicain, se rendent compte de l’avancée des troupes franquistes et pensent mettre leur fille de 16 ans à l’abri des bombardements qui s’intensifient en l’envoyant chez une cousine à Guernica. C’est avec réticence que Maria prend le train car chez ces cousins elle trouve une toute autre ambiance, très catholique et peu favorable à tous les signes qu’elle affiche de son adhésion à la République. Elle trouve heureusement un appui dans son cousin, Tonio : l’amour des adolescents inscrit une touche d’espoir tout au long de la fiction. Le bombardement est décrit avec force détails et Maria et Tonio feront partie des rares survivants. Ils parviendront, par des voies différentes, à quitter l’Espagne franquiste et se retrouveront, un peu miraculeusement, devant la toile de Picasso à l’Exposition de Paris. Maria, accompagnée du padre Ramos, arrive à l’inauguration du pavillon espagnol, coincé entre le pavillon allemand et le pavillon soviétique. Peu de monde, une exposition déroutante pour la jeune fille : « Alors, elle se tient bien droite et lève le poing en murmurant les seuls mots dont Tonio lui avait affirmé qu’ils tiennent parfois devant la mort », les mots de Federico Garcia Lorca. Quelqu’un finit avec elle le poème : Tonio, retrouvée et dont la silhouette se détache « sur un immense tableau en noir et blanc. […] Ils sont à peine étonnés de se retrouver, comme si se tenir là devant la toile de Picasso était une évidence ». La romancière souligne l’extraordinaire de ses retrouvailles pour accentuer la solitude de l’Espagne républicaine qu’accuse le peu de monde présent à cette inauguration : « Au rez-de-chaussée, Maria et Tonio ouvrent grands leurs yeux devant la gigantesque toile. Elle couvre tout le mur et les écrase avec ses monumentales figures. Face au cheval transpercé par une lance, au taureau dressé au-dessus de la mère pleurant son enfant mort, Maria et Tonio sont un peu déboussolés. Ils ne reconnaissent rien : ni la ville, ni les flammes, ni les avions, ni leurs bombes. L’absence de couleurs rappelle la fumée des incendies mais dans leur souvenir le rouge du sang et du feu dominait. Les corps gisent ou crient, fragmentés et géométriques. Tout est brisé et déchiré dans un chaos monstrueux mais ce n’est pas leur histoire. Le tableau leur semble froid, trop construit, à la fois inhumain et trop symbolique. Tonio serra la main de Maria à lui faire mal : non, ce n’est pas Guernica ! Ce n’est pas cela ! Quel imbécile il était de croire qu’il retrouverait ici ce qu’il a définitivement perdu là-bas ».
Maria ne veut pas partir, elle le retient, contemple longuement la toile jusqu’à ce que leurs deux mémoires réveillent des significations de la composition. Tonio dépose sur la toile les cendres qu’il a emportées. A la sortie, tous deux vont planter les glands du chêne de Guernica que Maria a conservés. Ce roman très accessible et bien construit autour de ces deux jeunes adultes brassent de nombreuses thématiques de la guerre civile : les courants antagonistes, le rôle de la propagande et des relais médiatiques, le devenir des survivants qui perdent tout et doivent lutter pour dire la vérité. Toutes ces questions n’ont rien perdu de leur actualité.
ILLUSTRATION DE CAROLE HÉNAFF POUR LA COUVERTURE DE L'ENFANT DE GUERNICA (OSKAR ÉDITIONS) |
Le roman lui-même est composé en deux temps : une première partie, « Gernika », d’une cinquantaine de pages, raconte le bombardement, en privilégiant deux familles socialement différentes et leurs deux garçons du même âge, Emilio et Andrès, en une cinquantaine de pages. Une seconde partie d’une soixantaine de pages, intitulée « L’exhumation » transporte le lecteur vers une fosse de républicains dont des archéologues se chargent d’exhumer les corps ; une troisième partie, de 70 pages, intitulée « Guernica » raconte les éclaircissements recherchés par Isaura auprès d’un père qu’elle adore, plus âgé que sa mère, mais taiseux sur le passé et une mère française l’ancrant avec légèreté dans le présent de l’Espagne. Isaura est archéologue et veut participer à une fouille de fosse commune où ont été jetés des Républicains – on voit une séquence de ces actions dans Le Silence des autres –, de l’ARMH (Association pour la récupération de la mémoire historique) mais quelque chose la retient d’en parler à ses parents et surtout à son père. Au fond d’elle, elle se dit que le silence de celui-ci sur le passé est peut-être dû à un engagement du côté des franquistes.
Le texte d’ouverture est énigmatique mais il prépare le déroulement narratif. En tout cas, il prend tout son sens une fois le récit achevé : « Guernica est un condensé de douleurs. Il resserre l’espace, enferme comme dans un labyrinthe. Le guerrier gisant et les énormes jambes nous atterrent. La mère renversant la tête pour implorer le ciel donne à éprouver l’abandon dans la mort de cet enfant qu’elle porte au creux de son bras.
Face au tableau, Andrès observe le taureau humain qui garde l’impassibilité d’un dieu, à moins qu’il ne soit en alerte. Mais que pourrait-il découvrir derrière lui de plus abominable que cet enfer sur terre ?
Et si, simplement, le Minotaure détournait la tête, indisposé par la porteuse de lumière ? »
Il faudra toute la fiction pour découvrir les secrets d’Andrès et ce moment, mis en exergue, où sa fille l’a convaincu d’aller voir la fresque de Picasso, une fois qu’elle lui a expliqué qu’elle n’est en rien « réaliste » et qu’il n’y a pas d’avions dont il a la phobie. La visite au musée est décrite avec beaucoup de précision et de sensibilité : « papa avançait vers son passé » pense Isaura. C’est un roman d’une grande efficacité à la fois narrative et historique qui embrasse le passé et l’avidité des jeunes générations à en récupérer les richesses et les horreurs. Isaura serait alors cette « porteuse de lumière » de l’ouverture et Andrès, le père, ce Minotaure qui veut oublier la guerre, en détournant la tête ? La mère implorante avec son enfant au creux de son bras trouve, elle aussi, une actualisation dans l’histoire toute humaine de Guernica.
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L’arrivée dans la cathédrale de Sigüenza est l’occasion pour le romancier de donner une énumération de l’hétéroclite des troupes franquistes et de certains de leurs méfaits : « Il y avait les héros de l’Alcàzar, la poitrine noire couverte de médailles et le bras tendu montrant le poignard qui, à la fin de l’assaut, avait fait bouillonner de sang communiste les caniveaux des rues de Tolède. Il y avait les Navarrais du général Mola et ses requetes au béret basque couleur rubis qui, à Irùn, étaient montés à l’assaut derrière le crucifix, les regulares de Franco et les chemises bleues de la Phalange de Sant’Ignacio qui, à Badajoz, s’étaient fait photographier aux fenêtres des maisons en train de balancer dans la rue les têtes coupées des anarchistes. Il y avait les leales du général Queypo de Llano lequel, excité par le vin de Séville, avait mitraillé en éventail les habitants des banlieues en les fusillant douze par douze, et aussi les bandes armées fascistes d’Arconovaldo Bonaccorsi qui était venu de Bologne pour prendre Palma de Majorque et dont les bottes, à l’aéroport, étaient trempées de sang jusqu’à l’empeigne. Et il y avait les Africains convertis du Maroc, leur calot avec le gland de travers sur leurs cheveux crépus et, glissée contre leur jambe, entre les bandes molletières, la lame longue et étroite dont ils se servaient pour saigner les chèvres dans les villages du Sahara et ici, en Espagne, pour couper la gorge des femmes de Cadix, de Málaga et de Majorque, après les avoir violées.
Tous à genoux dans la nef et aux pieds du Christ agonisant, les mains serrées sur leurs fusils et leurs épées, les yeux baissés et les lèvres prêtes pour répondre au Pater Noster et à Gratia Plena ».
Saisissante description qui, plus qu’un discours, dénonce la guerre cruelle et les méthodes sanguinaires pour anéantir les Républicains. Tout serait à citer dans ce roman tendu, efficace, parodique et à l’humour noir. Il est introduit et conclu par des poèmes : celui de B. Brecht et celui de J.L. Borgès. Il se suspend avec l’arrivée à Guernica des deux compères : « Le soir, nous sommes passés à côté d’un champ où deux paysans piochaient la terre, en bras de chemise, la casquette calée sur le front et le fusil en bandoulière. Ils s’arrêtèrent un moment de travailler pour nous regarder passer, et je me demandai ce qu’ils pouvaient bien penser en voyant ce couple étrange, un type grand et maigre en train de délirer sur un cheval, les bras ouverts et une cuvette sur la tête, et un autre, petit et gros, qui le suivait à dos de mulet.
Où étions-nous ? Dans l’Espagne rouge ou dans la noire… en Castille, en Navarre ou en Andalousie… au Pays basque… à Guernica ? Où étions-nous, mon capitaine et moi ? Je ne le savais plus ».
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« La brusque conscience que j’avais prise à ce moment-là du caractère illimité de l’horreur et, en même temps, de son usure extrêmement rapide est, sans aucun doute, à l’origine de cette écriture du pressentiment et de vision. […] Comment parler de l’Algérie après Auschwitz, le ghetto de Varsovie et Hiroshima ? Comment faire afin que tout ce qu’il y a à dire […] ne se dissolve pas dans l’enfer de banalité dont l’horreur a su s’entourer et nous entourer.
J’ai compris alors que la puissance du mal ne se surprend pas dans ses entreprises ordinaires, mais ailleurs, dans son vrai domaine : l’homme – et les songes, les délires, qu’il nourrit en aveugle et que j’ai essayé d’habiller d’une forme. L’on conviendra que cela ne pouvait se faire au moyen de l’écriture habituelle. »
Entre l’information pour nourrir la mémoire et la métaphore ou le symbole, les créations littéraires se fraient leur voie. Comme l’a exprimé Toni Morisson, l’histoire informe et l’art éclaire. En art, la littérature n’est pas monolithique et entre par toutes les portes dans l’Histoire.
• Sophie Doudet, Pour qui meurt Guernica ?, Scrinéo, août 2018, 218 p., 14 € 90• Guy Jimenes, L’Enfant de Guernica, Oskar éditeur, 2010 (rééd. 2013), 230 p., 12 € 95• Carlo Lucarelli, Guernica, trad. de l’italien par Arlette Lauterbach, Gallimard, « La noire », avril 1998, 144 p., 10 € 85• Alain Vircondelet, Guernica 1937, Flammarion, mars 2018, 194 p., 18 €
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