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lundi 15 avril 2019

DES DOCUMENTS DE LA CIA RÉVÈLENT LE FONCTIONNEMENT DU PLAN CONDOR


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DAVID FERRIERO, ARCHIVISTE DES ÉTATS-UNIS (À DROITE),
REMET AU MINISTRE DE LA JUSTICE, GERMÁN CARAVANO,
UNE BOÎTE CONTENANT PLUSIEURS DISQUES DURS CONTENANT
LES DOCUMENTS RÉCEMMENT DÉCLASSIFIÉS DU GOUVERNEMENT
AMÉRICAIN RELATIFS AUX VIOLATIONS DES DROITS DE L'HOMME
COMMISES PENDANT LA DICTATURE MILITAIRE DE 1976-1983,
AU NATIONAL ARCHIVES BUILDING. WASHINGTON VENDREDI.
PHOTO NA / DANIEL VIDES
Les documents secrets déclassés par les États-Unis et reçus par le ministre argentin de Justice Germán Garavano ce vendredi 12 avril, comprennent un "Rapport d’Information d’Intelligence de la CIA" daté du 16 août 1977, qui décrit en détail la partie bureaucratique du Plan Condor.
par Carlos Schmerkin
6Temps de Lecture 7 min 15 s
Les États-Unis ont remis vendredi 12 avril à l'Argentine le dernier lot de documents secrets déclassifiés sur la dictature civico-militaire qui a débuté en 1976. Il s'agit de la plus grande déclassification de l'histoire de ce pays. Elle comprend 45 000 pages comprenant des documents fournis par le Département d'État et 14 agences de sécurité et de renseignement telles que le FBI, la CIA et celle qui dépend du Pentagone.

« Le siège central était Condor 1, Argentine. Les frais de mission des assassins étaient de 3500 dollars par jour. Le Commando Central prenait deux heures pour le déjeuner et s’arrêtait à sept heures et demie. Chaque délégué proposait une cible et on votait l’envoi d’un groupe commando.

Au pire moment des dictatures latinoaméricaines, un petit espace existait où l’on votait. Les délégués de l’Argentine, de l’Uruguay, du Chili, du Paraguay et de la Bolivie débattaient au siège central du « Plan Condor » et choisissaient à la majorité simple leurs victimes. Chaque délégué présentait une « proposition d’opération » et la discussion sur l’opportunité, le coût politique et le matériel se terminait par un vote. S’il y avait un désaccord, un document était établi avec des copies pour chaque pays participant. Si une « opération » était approuvée la machine bureaucratique se mettait en marche, incluant des billets de transports et des indemnités de défraiement allant jusqu’à 3 500 dollars par jour pour les commandos comprenant jusqu’à cinq agents.

Les documents secrets déclassés par les États-Unis et reçus par le ministre de Justice Germán Garavano ce vendredi, comprennent un Rapport d’Information d’Intelligence de la CIA daté du 16 août 1977, qui décrit en détail la partie bureaucratique du Plan Condor. Le rapport n’est pas classé comme secret, mais il commence avec l’avertissement de ce qu’il inclut « des sources et des méthodes sensibles d’intelligence », sorte de code pour prévenir qu’ il ne peut être diffusé afin de ne pas compromettre agents, sources ou méthodes de vol de papiers.

Le document informe le Centre d’opération que les services d’intelligence de cinq pays et « jusqu’à une certaine mesure du Brésil » ont signé en septembre 1976 un accord de coopération pour « des opérations contre des cibles subversives ». La CIA fait une distinction, jusqu’à présent inédite, dans la mécanique du « Plan Condor » en affirmant que « Condor » est le nom du pacte de coopération, qui s’appelle dans la pratique « Opération Teseo ».

Les agents de la CIA en Argentine qui ont rédigé le Rapport affirment avoir vu une copie de l’acte original, qui commence par un paragraphe intitulé « Règlement de Teseo, Centre d’Opérations ». Le premier sujet est la définition de la mission, ce qui consiste à identifier des cibles « conformément aux demandes présentées par les participants, et de désigner des opportunités et des priorités ». Le Centre d’Opérationsdoit instruire les « équipes d’intelligence et d’opérations », les premiers sont en charge de trouver et d’identifier les cibles et les deuxièmes de les tuer et de s’enfuir.

À la manière militaire, le Centre a la responsabilité d’administrer les ressources humaines et matérielles de chaque opération, d’instruire les services de chaque pays de la collaboration qu’il doit apporter et de leur rappeler que suivant leur accord, les services étrangers doivent donner une priorité aux requêtes de l’ « Opération Teseo ».

Organigramme

L’ « Opération Teseo » a une base à Buenos Aires, qui est désignée comme Condor 1 dans le jargon interne. Le Centre d’Opérations est formé par des représentants permanents des services d’intelligence des pays participants. Sous les ordres de ce Centre sont placées des équipes d’intelligence et d’opérations, « formées par le personnel des pays membres », et des équipes de réserve si les choses se compliquent. Ces équipes n’ont pas le droit de se rendre dans le Centre d’Opérations à moins qu’elles ne reçoivent d’ordres spécifiques de le faire.

Selon le document, « le nombre minimal d’agents fourni par chaque service participant sera, si possible, de quatre personnes, dont éventuellement une femme. Chaque pays aura une équipe similaire en réserve, prête à couvrir toute éventualité ».

Les défraiements

Le Centre d’Opérations en Argentine est en charge d’administrer les fonds de l’Opération Teseo, et de recevoir le solde de tout compte des frais de chaque groupe commando. Chaque pays participant a mis une quotité de dix mille dollars pour démarrer l’Opération et a accepté d’apporter un chiffre similaire à la fin de chaque opération, « dans un délai pas plus de quinze jours ».

En dehors de ces frais d’opération, le Condor est comme un club dans lequel chaque pays paie une quote-part de deux cents dollars par mois « qui arrive à échéance le trente de chaque mois ». Ce chiffre modeste est destiné à « couvrir les frais de fonctionnement et de maintenance du Centre d’Opérations ».

Mais tant de modestie économique se contredit avec les frais des opérations prévus par le règlement lui même. Les groupes commandos reçoivent à l’étranger une indemnité de déplacement estimée à 3 500 dollars « par jour et par personne, plus un chiffre fixe de mille dollars pour des vêtements ». Tous ces frais doivent être présentés au Centre par les chefs de groupe, pour qu’ils soient approuvés par les membres participants. S’il n’y a pas d’objection, chaque représentant permanent a le devoir de communiquer avec son gouvernement pour couvrir les fonds du Centre d’Opérations.

En parallèle, les agents recevaient l’équipement du Centre d’Opérations ou sinon, des services locaux d’intelligence. Cela incluait des armes, des munitions, des explosifs, des documents, des vêtements, des équipements électroniques et des communications, et « autres matériaux divers ».

L‘organisation

Les « équipes de travail », comme ceux de la CIA appellent les groupes commando, « seront formées par des membres d’un ou plusieurs services conformément à leur expérience, qualifications personnelles et aux caractéristiques de la cible ». Le Centre d’Opérations détermine une cible à éliminer et le moment de le faire. Une fois la décision prise, les équipes d’intelligence sont en charge « d’identifier la cible, la localiser, le suivre, communiquer avec le Centre d’Opérations et se retirer ». Un membre de l’équipe d’intelligence et seulement un seul peut prendre contact avec l’équipe des opérations. Cet agent doit s’assurer que l’information arrive aux opérationnels et doit leur indiquer la cible, et ensuite se retirer de la scène.

L’équipe action doit « exécuter la cible » en accomplissant trois étapes :

« A, intercepter la cible, B, accomplir l’opération et, C, échapper. »

Pour des raisons de sécurité de l’opération, les membres de chaque équipe ne peuvent pas connaître ceux de l’autre équipe. Les seuls qui se parlent ce sont les chefs de chaque groupe.

Les ambassades

« Opération Teseo » dispose de son propre réseau de communications nommé Condortel, pour gérer tout trafic entre le Centre d’Opérations et les services des pays participants. Si c’est nécessaire, on parlera par téléphone, avec l’appel à charge de la centrale au Buenos Aires.

Mais s’il est nécessaire d’envoyer des documents, des papiers de tout type, il est établi qu’on utilisera la « valise diplomatique » des ambassades respectives, ou les envoyés spéciaux qui connaissent les mesures de sécurité nécessaires.

Une démocratie

Le chapitre final du document de la CIA indique que le Centre d’Opérations de Teseo prend deux heures pour le déjeuner, puisqu’il opère de 9.30 à 12.30 et de 14.30 à 19.30. Seulement lorsqu’il y a une opération en cours, les horaires s’allongent avec la nomination d un « officier de garde de nuit », dont la nationalité change parmi les membres permanents. D’un point de vue administratif, il est établi que le logement, la nourriture et le transport de cet employé seront payés par le Centre d’Opérations.

Et ici une surprise apparaît, juste à la enfin : le Condor fonctionnait comme une démocratie interne où les choses étaient votées entre membres égaux. Pour choisir les cibles, explique le document de la CIA, « chaque représentant présente sa sélection d’une cible sous la forme d’une proposition. La sélection finale d’une cible se fera par vote et son approbation se déterminera à la majorité simple. En cas de désaccord, on établit un document du débat qui sera signé par les représentants respectifs et envoyé aux services correspondants pour leur information. »

L’expansion

Tandis que la CIA obtenait les documents fondateurs et d’organisation du Condor, le Bureau d’Intelligence et d’Investigations du Département d’État faisait circuler ses analyses de la coordination dans le Cône Sud. Sur un rapport daté du 6 octobre 1977, qu’on diffuse maintenant sans coupes ni ratures, les diplomates spéculent sur la formation possible d’un bloc sud-américain à partir de la coordination de leur services d’intelligence. Avec justesse, ils soulignent la possibilité d’ « inimitiés pré-existantes » et parce que le Brésil ne montre pas un grand enthousiasme sur l’idée et préfère investir dans ses propres efforts de propagande internationale.

Mais dans le texte un nouveau sujet apparaît, celui de l’idée d’ouvrir des bureaux opérationnels du Plan Condor aux États-Unis et en Europe Occidentale. La mission de ces bureaux sera celle de « programmer l’assassinat d’adversaires supposés subversifs des gouvernements participants (au Condor) qui vivent en Europe Occidentale ». Selon les diplomates, les trois pays les « plus enthousiastes » avec l’idée sont le Chili, l’Uruguay et l’Argentine, à cause de l’activité de leurs exilés respectifs. Le Brésil, dit l’analyse, n’est pas intéressé et a repoussé l’idée. Selon le Département d’État, les brésiliens ne veulent pas payer le coût politique qu’ une opération semblable soit connue ni avoir comme associés la fameuse DYNA chilienne.

Les pays intéressés à opérer en Europe l’ont fait à travers de leurs ambassades, en créant des structures d’intelligence, comme l’Argentine à Paris. »
Sergio Kiernan pour Página 12
Traduit de l’espagnol pour El Correo de la Diaspora par : Estelle et Carlos Debiasi