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Le 26 avril prochain, les Chiliens devront se prononcer pour ou contre la rédaction d’une nouvelle loi fondamentale devant remplacer celle en vigueur, héritée de la dictature.
RASSEMBLEMENT, LE 26 FÉVRIER, À SANTIAGO,
EN FAVEUR DU OUI AU PROCHAIN RÉFÉRENDUM.
PHOTO MARTIN BERNETTI / AFP
Dans le sillage de l’extraordinaire mouvement populaire qui s’est levé l’automne dernier, le Chili s’achemine vers un référendum historique, aussi crucial pour son avenir que celui qui scella, en 1988, la fin de la dictature d’Augusto Pinochet. Le 26 avril prochain, plus de 14 millions de Chiliens devront se prononcer pour ou contre la rédaction d’une nouvelle Constitution devant remplacer la loi fondamentale en vigueur, héritée des « années de plomb ».
Rédigé à la fin des années 1970, approuvé le 11 septembre 1980 au terme d’une consultation frauduleuse, entré en vigueur le 11 mars 1981, ce texte, dans sa version initiale, donnait les pleins pouvoirs aux militaires, entravait toute velléité de réforme et gravait dans le marbre les options néolibérales des Chicago Boys, ces économistes chiliens formés aux États-Unis par Milton Friedman, qui inspirèrent, après le coup d’État contre le président socialiste Salvador Allende, les contre-réformes économiques imposées par la junte. Les amendements successifs ont préservé, pour l’essentiel, une architecture institutionnelle qui concentre les pouvoirs au sommet et dessaisit les citoyens tout en gravant dans le marbre un modèle économique aux effets sociaux dévastateurs. Aussi la revendication d’une nouvelle Constitution s’est-elle imposée au cœur du soulèvement populaire en cours, inédit depuis le retour à la « démocratie », voilà trente ans. Les protestataires y voient une condition sine qua non pour donner corps à leurs demandes de justice sociale, rebâtir des services publics dans les domaines de la santé et de l’éducation, revenir à un système de retraite par répartition.
Par ce référendum, les Chiliens devront encore décider du mécanisme par lequel devrait être rédigée une nouvelle Constitution, si ce choix devait l’emporter. Deux options sont soumises à leurs suffrages : une convention constitutionnelle composée de citoyennes et citoyens élus, soit l’équivalent d’une Assemblée constituante, ou bien une convention mixte, composée à 50 % de parlementaires nommés par le Congrès.
69 % des Chiliens seraient favorables à un changement de Constitution
Dans un pays toujours en proie à une grande effervescence, la campagne en faveur du « Apruebo » (je suis d’accord) suscite une vaste mobilisation de la gauche politique mais aussi des syndicalistes, des étudiants, des défenseurs des droits humains, des intellectuels, des artistes, des victimes de violences policières, des féministes. Le député Guillermo Teillier, président du Parti communiste, voit dans ce référendum l’opportunité de sortir d’un système qui fait perdurer « l’injustice sociale, des inégalités extrêmes et des institutions anachroniques ». Ce scrutin offre aussi, selon lui, l’occasion de sanctionner le président de droite, Sebastian Piñera, qui répond aux exigences sociales et démocratiques des Chiliens « par le recours à la force, les violations des droits humains, pour défendre les privilèges de quelques-uns ». C’est que le bilan de la répression, depuis le 18 octobre, est lourd : 31 morts et 3 765 blessés, dont 445 éborgnés parmi les manifestants, au moins 113 cas de torture et de mauvais traitements et 24 cas de violences sexuelles et de viols commis par des policiers.
Le 15 novembre, après un mois de crise, la coalition gouvernementale et les principaux partis d’opposition concluaient un accord ouvrant la voie à cette consultation référendaire et, le 26 février, le coup d’envoi de la campagne officielle était donné. Jusque-là, les sondages donnent une large avance au oui : 69 % des Chiliens seraient favorables à un changement de Constitution ; 14,5 % s’y opposeraient. D’où la stratégie de la droite, qui table sur une démobilisation de l’électorat populaire. Le camp du « Rechazo » (je rejette) tente même de disputer la rue aux protestataires : samedi, quelques milliers de manifestants de droite et d’extrême droite ont défilé dans les rues de Santiago au cri de « Vive Pinochet ! » et « Meurs, marxiste de merde ! ». Avec leur fiel et leurs rodomontades, ces nostalgiques de la dictature faisaient pâle figure, devant la marée féministe qui envahissait, le lendemain, les grandes artères de la capitale. L’approbation mercredi dernier par le Parlement du principe de parité pour la convention constitutionnelle, un projet rejeté une première fois par le Sénat, en janvier, était célébrée dans la marche du 8 mars comme une grande victoire, un pas de plus sur le chemin du changement. Pour Nadia Colmenares, professeur de sciences politiques à l’université centrale, cette mobilisation féministe d’ampleur témoigne d’une « réarticulation du mouvement social » et d’une dynamique déterminante pour l’issue du référendum. À la tête du mouvement populaire, « les femmes ne s’en tiennent pas à leurs revendications propres. Elles portent la lutte contre la pauvreté, pour l’égalité. (…) La lutte féministe bouscule l’agenda politique et social, elle est liée à ce qui se passe au Chili », insiste-t-elle.
Dans un pays où 22,6 % des députés et 23,2 % des sénateurs sont des femmes, l’égale représentation des hommes et des femmes est vue comme une garantie démocratique. « Les gens contestent la classe politique, ils ne se sentent pas représentés par elle, il était donc essentiel que la convention constitutionnelle soit aussi représentative que possible afin que le texte qu’elle produira soit reçu comme légitime par tous les citoyens », résume Julieta Suarez, chercheuse à l’université catholique et coordinatrice du réseau de politologues qui a participé à l’élaboration de la loi sur la parité. En tête de cortège, ce 8 mars, les marcheuses de Santiago arboraient une banderole portant ce slogan : « Ensemble, faisons l’histoire ».
Rosa Moussaoui