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« NOUS SOMMES TOUS DES PALESTINIENS » MANIFESTATION DE SOLIDARITÉ AVEC LE PEUPLE PALESTINIEN À SANTIAGO DU CHILI DÉCEMBRE 2014 PHOTO FELIPE TRUEBA / EPA / CORBIS |
Je n’ai entendu le terme « Chilestiniens » pour la première fois qu’en février dernier lors d’une conférence à Istanbul, à l’occasion d’un exposé du directeur de la Fédération palestinienne du Chili, Anuar Majluf.Par Ramzy Baroud
PHOTO BARRA BRAVA |
Je dis « chilien-palestinien » par commodité parce que, plus tard, j’ai compris que le terme « Chilestiniens » n’avait pas été forgé au hasard, ou pour plaisanter.
Le docteur Lina Meruane, intellectuelle chilienne d’origine palestinienne, a expliqué à Bahira Amin du magazine en ligne « Scene Arabia », que le terme « Chilestiniens » diffère de « Chilien-Palestinien » dans la mesure où c’est l’expression d’une une identité unique.
« Il ne s’agit pas d’une identité composée avec trait d’union, mais de la fusion de deux identités qui forment un tout et auxquelles l’appartenance ne pose pas de problèmes », a expliqué Lina Meruane. Bahira Amin parle de « troisième espace » créé dans la diaspora sur une période de 150 ans.
Ceux d’entre nous qui ne connaissent pas l’expérience palestinienne au Chili seront peut-être surpris d’entendre ce vieil adage, « pour chaque village au Chili vous trouverez trois choses : un policier, un pasteur, et un Palestinien. » Mais le dicton exprime, en effet, un lien historique entre la Palestine et un pays situé à l’extrême sud-ouest de la côte sud-américaine.
La distance considérable – plus de 13 000 kilomètres – qui sépare Jérusalem de Santiago, peut en partie expliquer la raison pour laquelle le Chili et son importante population « chilestienne » n’ont pas occupé la place qu’ils méritent dans l’imagination des Palestiniens partout dans le monde.
Mais il y a d’autres raisons aussi, la principale d’entre elles étant le fait que les dirigeants palestiniens successifs n’ont pas apprécié à leur juste valeur l’immense potentiel que représentent les communautés palestiniennes de la diaspora, notamment celle des Palestiniens du Chili. L’histoire de cette dernière n’est pas seulement faite de luttes et de persévérance mais aussi de grands succès et de contributions essentielles à leur propre société et à la cause palestinienne.
A partir de la fin des années 1970, les dirigeants palestiniens se sont employés à engager un dialogue politique avec Washington et d’autres capitales occidentales, aboutissant au sentiment généralisé que, sans la légitimation politique des EU, les Palestiniens resteraient à jamais marginaux et négligeables.
Les calculs des Palestiniens se sont avérés désastreux. Après s’être conformés aux attentes et diktats de Washington pendant des décennies, les dirigeants palestiniens sont revenus bredouilles comme le prouve en fin de compte « l’accord du siècle » de l’administration Trump.
Les décisions politiques ont aussi des répercutions culturelles. Pendant au moins trois décennies, les Palestiniens se sont réorientés politiquement et culturellement, reniant leurs alliés historiques de l’hémisphère sud dans son ensemble. Plus grave encore, cette nouvelle façon de penser a creusé davantage encore l’abîme entre les Palestiniens de Palestine et leurs propres frères, comme ceux des communautés palestiniennes d’Amérique du Sud qui sont restés d’autant plus fidèles à leur identité, langue, musique, et à l’amour de leur patrie ancestrale.
Ce qui rend les Palestiniens du Chili et d’autres communautés palestiniennes d’Amérique du Sud si uniques, c’est que leurs racines remontent à des décennies avant la destruction de la Palestine et la création d’Israël sur ses ruines en 1948.
Israël prétend souvent que ses victimes palestiniennes n’avaient pas d’identité nationale dans son acception moderne. Certains intellectuels, parfois bien-intentionnés, acquiescent affirmant qu’une identité palestinienne moderne s’est en grande partie construite après la « Nakba » – la destruction « catastrophique » de la Palestine historique.
Ceux qui en sont encore à cette distorsion de l’Histoire doivent faire la connaissance d’historiens palestiniens comme Nur Mashala et lire son livre incontournable « Palestine : A Four Thousand Year History » (La Palestine : Une histoire de quatre mille ans).
Les « Chilestiniens » offrent un réel exemple vivant de la véritable force de l’identité palestinienne collective qui existait avant qu’Israël lui-même ne se soit imposé par la violence sur la carte palestinienne.
Le « Deportivo Palestino », club de football célèbre qui joue en première division au Chili, a été officieusement constitué en 1916 puis, officiellement, quatre ans plus tard. J’ai appris de la délégation «chilestiniennne » à Istanbul que les fondateurs de la communauté palestinienne dans ce pays ont créé le «Palestino » pour s’assurer que leurs enfants n’oublient jamais le nom, et qu’ils continuent de scander le nom de la Palestine encore pendant de nombreuses années.
Le club de football – connu comme « la seconde équipe nationale » de Palestine – va bientôt célébrer son centenaire, célébration qui va probablement se dérouler accompagnée du slogan principal de « Gaza résiste ; la Palestine existe ».
Le stade du Palestino La Cisterna à Santiago, édifice imposant orné de drapeaux palestiniens, est non seulement un témoignage de la ténacité de l’identité palestinienne, mais aussi de la générosité de la culture palestinienne, étant donné que le stade est l’un des plus grands centres communaux de la ville rassemblant des gens de tous horizons dans la célébration continue de tout ce que nous avons en commun.
Pour éviter toute compréhension réductrice de l’expérience palestinienne au Chili et dans l’ensemble de l’Amérique du Sud, il nous faut admettre que comme dans toute autre société, les Palestiniens y ont leurs propres divisions, qui ont généralement pour origine la richesse, la classe et la politique.
Cette division a atteint son paroxysme pendant le coup d’état du dictateur chilien Augusto Pinochet, soutenu par les États-Unis, en 1973. Mais la scission n’a pas duré longtemps car les « Chilestiniens » se sont de nouveau unis suite au massacre de Sabra et Chatila, orchestré par Israël au Sud Liban, en 1982.
Depuis lors, la communauté palestinienne du Chili a appris à accepter ses divergences politiques, tout en convenant que son rapport à la Palestine doit être le terrain d’entente unificateur.
Depuis maintenant de nombreuses années, les «Chilestiniens » œuvrent main dans la main avec d’autre communautés palestiniennes d’Amérique du Sud pour renforcer la nécessaire unité, en prenant leurs distances par rapport à la discorde politique et au l’esprit de faction qui ont fait tant de tort à l’identité politique palestinienne en Palestine même.
Progressivement, les Palestiniens d’Amérique du Sud se regroupent pour occuper une place centrale au sein du courant palestinien plus large, non seulement comme partie intégrante de l’identité palestinienne collective, mais aussi comme modèle qui doit être pleinement compris, voire servir d’exemple.
Il ne se passe pas un jour sans que je ne consulte mon application sur les sports pour suivre l’évolution de « Deportivo Palestino ». Je sais que beaucoup d’autres Palestiniens, dans d’autres parties du monde font de même, parce que malgré la distance, la langue, et le décalage horaire, en fin de compte, nous resterons toujours un seul peuple.
Ramzy Baroud* Ramzy Baroud est journaliste, auteur et rédacteur en chef de Palestine Chronicle. Son dernier livre est «These Chains Will Be Broken: Palestinian Stories of Struggle and Defiance in Israeli Prisons”» (Clarity Press). Baroud a un doctorat en études de la Palestine de l’Université d’Exeter et est chercheur associé au Centre Orfalea d’études mondiales et internationales, Université de Californie. Visitez son site web: www.ramzybaroud.net.
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