Près de 100 000 Haïtiens ont émigré au Chili l'an dernier, soit deux fois plus qu'en 2016. Une immigration récente, qui s'explique par la bonne santé économique du pays, son faible taux de chômage, et le fait qu'aucun visa préalable n'est demandé aux Haïtiens à leur arrivée dans le pays. Pourtant, plus de 160 Haïtiens se sont vu refuser leur entrée au Chili ces derniers jours et ont été renvoyés vers Port-au-Prince. Il arrive parfois que des migrants soient refoulés mais c'est la première fois qu'un groupe aussi important de personnes se voit refuser l'entrée au Chili depuis le début de l'immigration haïtienne vers ce pays.
Selon la police chilienne, les personnes refoulées ces derniers jours ne disposaient pas d'une réservation d'hôtel valide parmi les documents apportés pour solliciter leur entrée sur le territoire en tant que touristes. Elle a donc considéré que ces personnes ne venaient pas dans le pays pour des vacances et leur a refusé l'entrée au Chili. Dans ce cas de figure, il appartient à la compagnie aérienne de prendre en charge les passagers et de les ramener à leur point de départ.
Vendredi dernier un avion est donc reparti avec la majorité des voyageurs qui venaient d'atterrir à Santiago. Mais d'autres passagers ont attendu 4 jours entiers, et même davantage pour certains, avant d'être embarqués dans un vol de retour vers Haïti mardi 6 mars. La principale compagnie concernée, Latin American Wings, a expliqué qu'elle n'avait pas eu de vol disponible plus tôt pour leur éviter une si longue attente.
L'Institut chilien des droits de l'homme s'en mêle
Des associations ont dénoncé cette situation, et en premier lieu les conditions dans lesquelles ont été retenus les passagers haïtiens à Santiago. Et elles ont été entendues par l'Institut chilien des droits de l'homme, un organisme public indépendant qui a rendu visite à une soixantaine de passagers ce mardi. L'institut confirme que ces citoyens haïtiens ont dû dormir à même le sol, sans couvertures, sans pouvoir se doucher ni avoir accès à leurs bagages et à leur passeport. Les avocats de l'organisme affirment aussi qu'on ne leur a pas donné suffisamment de nourriture, et très peu d'informations sur leur situation. La plupart ne parlaient pas espagnol et ne savaient pas pourquoi ils avaient été refoulés ni quand ils allaient repartir vers Haïti. Pour l'Institut chilien des droits de l'homme, ces personnes ont été retenues dans des conditions contraires à la dignité et au respect des droits humains.
Attitude discriminatoire de la police
Les associations accusent aussi la police d'avoir agi de manière discriminatoire en refusant à ces citoyens haïtiens d'entrer au Chili car ni la loi migratoire ni son décret d'application ne précisent qu'il serait obligatoire d'avoir une réservation d'hôtel pour pouvoir entrer au pays en tant que touriste, ce que souhaitaient ces voyageurs haïtiens. Pour le Service jésuite aux migrants, l'une des principales associations de défense des droits des immigrés au Chili, la police a donc eu une attitude discriminatoire envers les Haïtiens, d'autant plus que ce document est rarement demandé aux touristes par la police. La loi exige simplement de présenter son passeport et prouver qu'on a les moyens de séjourner sur place.
Selon le porte-parole de la plateforme des organisations haïtiennes du Chili, les cas de refoulements se sont multipliés ces dernières semaines.
Interrogée sur ce sujet, la police n'a pas souhaité répondre à nos questions. Mais la principale compagnie qui relie Haïti au Chili, Latin American Wings, a annoncé lundi qu'elle suspendait ses liaisons vers Port-au-Prince jusqu'à dans deux semaines, en raison d'un grand nombre de refoulements justement. Cette compagnie est par ailleurs visée par une enquête de la justice chilienne pour éventuel trafic de migrants, c'est à dire pour avoir transporté des Haïtiens qui entraient comme touristes mais avaient en fait l'intention de rester dans le pays. L'entreprise n'a pas répondu non plus à nos demandes d'interviews.
Un contexte particulier au Chili, où le débat sur l'immigration prend de l’ampleur
Les réactions xénophobes se sont multipliées ces derniers mois. Cela s'est produit encore il y a quelques jours après la diffusion d'une vidéo où l'on voyait des citoyens haïtiens descendre d'un charter à l'aéroport de Santiago.
Les Haïtiens ne sont pas les seuls migrants à s'installer au Chili en ce moment : le pays connait depuis trois ou quatre ans une immigration d'une ampleur inédite, notamment en provenance du Venezuela. Mais c'est vers les premiers que se portent la plupart des réactions négatives.
Le gouvernement de droite qui prend ses fonctions ce dimanche 11 mars au Chili a promis une nouvelle loi migratoire prochainement. Le ministre de l'Intérieur étudie aussi la possibilité de limiter l'accès des Haïtiens au territoire chilien.