LE PAPE FRANÇOIS À IQUIQUE (CHILI), LE 18 JANVIER 2018. PHOTO VINCENZO PINTO |
Cinq ans après son élection, François fait l’objet de critiques pour ses hésitations dans la lutte contre les abus sexuels commis par des prêtres.
LE PAPE FRANÇOIS TÉMOIGNAIT DEVANT 90 JÉSUITES CHILIENS LE 16 JANVIER 2018 PHOTO JESUITAS.LAT |
François met constamment l’accent sur la défense des faibles, des démunis, des méprisés face aux forts et aux puissants. De Lampedusa, où il fulmine contre la « mondialisation de l’indifférence » qui laisse périr les migrants en mer, au discours de Santa Cruz (Bolivie), qui enrôle l’Église aux côtés des « mouvements populaires », des prisons qu’il ne cesse de visiter aux « esclaves sexuels » dont il prend la défense, le pape argentin tonne contre le « Dieu argent », les trafiquants d’êtres humains et les fabricants d’armes.
LE PONTIFE ARGENTIN A ACCUSÉ DES FIDÈLES ET UNE PARTIE DU CLERGÉ DU DIOCÈSE D’OSORNO, AU CHILI, D’ÊTRE MANIPULÉS PAR DES « GAUCHISTES »
Pourquoi, alors, ne semble-t-il pas prêt à voler au secours de simples fidèles durablement meurtris par des « puissants » de sa propre Église, à savoir des prêtres et des évêques ? Pourquoi, lors de son voyage au Chili, a-t-il choisi de s’afficher à plusieurs reprises en compagnie d’un évêque, Mgr Juan Barros, accusé (il s’en défend) d’avoir couvert un prêtre, le père Fernando Karadima, qui, dans le passé, agressait des jeunes confiés pour leur éducation spirituelle ?
Pourquoi n’a-t-il pas rencontré les victimes qui l’accusent ? Depuis deux ans, des fidèles et une partie du clergé du diocèse d’Osorno, dans le sud du pays, refusent d’avoir pour évêque Juan Barros. François, qui l’y a nommé, a balayé leurs demandes en les accusant d’être manipulés par des « gauchistes ».
En accordant plus de crédit à la parole d’un hiérarque qu’à celle de simples fidèles, le pape François a prêté le flanc à l’accusation de cléricalisme. A chaque discours annuel à la curie romaine, à chaque rencontre avec le clergé des pays qu’il visite, François vitupère cette tendance à considérer que, dans l’Église, les clercs ont une autorité supérieure aux autres croyants, prétexte pour refuser d’accorder du pouvoir aux laïcs. Pour lui, elle est facteur de sclérose.
Depuis cinq ans, il n’a de cesse de recommander au clergé de s’immerger davantage dans le peuple des fidèles et de mieux l’écouter. Or dans sa gestion de l’affaire chilienne, il semble justement être tombé dans ce travers, celui d’un chef d’administration d’abord soucieux de défendre ses agents. Les victimes, elles, ont été accusées de calomnier et de ne pas être en mesure de fournir les « preuves » de leurs accusations.
Une volonté d’avancer mise en route
François a été élu pape parce que les cardinaux ont vu en lui un homme capable de réformer une administration dysfonctionnelle et minée par les conflits. Ils comptaient sur lui pour que l’Église ne soit plus à l’avenir affaiblie par des scandales à répétition. Or sur la pédophilie, sa capacité à réformer semble en échec.
Les affaires de pédophilie, la « plus grande des désolations que l’Église est en train de subir », selon les mots de François, figurent en bonne place parmi ces scandales qui ébranlent l’institution depuis une vingtaine d’années. Le pontificat de Benoît XVI (2005-2013) avait donné aux victimes de prêtres pédophiles et à l’ensemble des catholiques l’espoir que l’institution commençait enfin à prendre la mesure des souffrances infligées par sa si longue propension à ignorer ou à couvrir ces crimes.
L’élection de Jorge Mario Bergoglio, son franc-parler, sa politique affichée de « tolérance zéro » leur avaient fait espérer que des réformes en profondeur seraient mises en œuvre. Pour beaucoup, cet espoir est aujourd’hui douché.
La démission des deux victimes qui étaient membres de la première commission de protection des mineurs, présidée par le cardinal Sean O’Malley, avait été perçue comme une protestation contre les blocages dans la curie, accusée de traîner les pieds et de bloquer les réformes voulues par le pontife. Parmi celles qui n’ont jamais vu le jour : la création, annoncée par le pape lui-même, d’un tribunal chargé de juger les évêques négligents dans la gestion de prêtres agresseurs sexuels.
Questions sur l’efficacité du mode de gouvernance
L’affaire chilienne remet en cause cette interprétation. Aujourd’hui, certains mettent en doute la volonté de François d’avancer de manière décisive sur ce sujet. Ils relèvent que les propositions de la commission sortante, remises au pape en septembre 2017, n’ont débouché sur rien : le secret pontifical dans les procédures canoniques en cas d’agression sexuelle n’a pas été levé, ce qui permettrait aux victimes d’être mieux informées ; et le délai de prescription n’a pas été aboli. Autant Benoît XVI avait semblé saisir ce dossier à bras-le-corps, autant François semble l’avoir laissé glisser au bas de la pile.
L’affaire chilienne remet en cause cette interprétation. Aujourd’hui, certains mettent en doute la volonté de François d’avancer de manière décisive sur ce sujet. Ils relèvent que les propositions de la commission sortante, remises au pape en septembre 2017, n’ont débouché sur rien : le secret pontifical dans les procédures canoniques en cas d’agression sexuelle n’a pas été levé, ce qui permettrait aux victimes d’être mieux informées ; et le délai de prescription n’a pas été aboli. Autant Benoît XVI avait semblé saisir ce dossier à bras-le-corps, autant François semble l’avoir laissé glisser au bas de la pile.
Après son élection, François avait choisi de ne pas s’installer dans les appartements pontificaux, notamment par crainte de se retrouver isolé et mal informé. Il a préféré occuper un logement dans la résidence Sainte-Marthe, qui héberge des hôtes de passage et où il est davantage accessible. Or sa gestion depuis trois ans de ce dossier chilien pose des questions sur l’efficacité de son mode de gouvernance.
Son degré d’information a été mis en doute à l’occasion de plusieurs de ses affirmations. Il a notamment dit que les victimes chiliennes ne lui avaient pas apporté de preuve de l’implication de certains hiérarques ecclésiastiques. Dès 2015, la lettre d’une victime racontant sur huit pages le fonctionnement de promiscuité et d’agressions sexuelles qui prévalait dans le groupe qui entourait le prêtre gourou Fernando Karadima qui a formé de nombreux pasteurs et quatre évêques chiliens, a été remise au cardinal Sean O’Malley, l’un de ses proches collaborateurs. Le pape l’a-t-il lue ? Ne l’a-t-il pas crue ? Toutes les hypothèses posent question.
Une crise pernicieuse
COUVERTURE DU LIVRE THE DICTATOR POPE |
Mais cette crise est d’autant plus pernicieuse qu’elle ne peut être imputée à des manœuvres de ses «ennemis ». De bout en bout, le pontife argentin aura été le premier responsable de l’enchaînement de maladresses qui ont conduit le Vatican à reconnaître, dans les faits, être en tort. Un spécialiste des affaires de pédophilie, l’archevêque Charles Scicluna, a été dépêché au Chili, où il a rencontré des victimes de Fernando Karadima, mais aussi d’autres prêtres chiliens.
Fin février, le cardinal O’Malley a proposé la création de tribunaux régionaux chargés de juger les affaires d’agressions sexuelles dans l’Église pour désengorger la Congrégation pour la doctrine de la foi, seule compétente aujourd’hui. Sur le terrain de la réforme, les choses pourraient bouger. Pour le pape, le temps presse. Car nul doute qu’il sera encore question de la lutte contre la pédophilie lors de son probable voyage en Irlande, au mois d’août.