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samedi 1 février 2020

CRISE SOCIALE AU CHILI : LES ARTISTES MOBILISÉS AU THÉÂTRE DU CHÂTELET

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PHOTO  JEREMIAS GONZALEZ
Alors que le Chili est frappé par une fronde sociale sans précédent, de nombreux artistes se sont donné rendez-vous samedi 1er février à Paris pour sensibiliser le public à ce tournant historique. La journée, baptisée “Impact Chili 2020 – Arts en résistance”, accueillera entre autres l’écrivaine et cinéaste franco-chilienne Carmen Castillo. 
Près de quatre mois après les premières manifestations de rues organisées au Chili contre la hausse des prix des services publics, l’intérêt des médias internationaux pour ce qui a rapidement pris la forme d’une insurrection populaire a naturellement décru. Sur place, le mouvement demeure cependant des plus actifs, sans qu’on sache vraiment qu’elle en sera l’issue. Pour attirer notre attention sur l’irréductible détermination du peuple chilien et dénoncer les répressions féroces dont sa lutte fait l’objet, le Théâtre du Châtelet, à Paris, accueille samedi 1er février (de 13h30 à 22h) de nombreux artistes dans le cadre d’une journée Impact Chili 2020 – Arts en résistance.

Projections, concerts, installations, expositions de peinture et de sculpture, alterneront avec des points d’informations et deux débats. L’un traitera (à 15h30) de Musique et résistance. L’autre, qui se tiendra à 18h dans le Grand Foyer du théâtre, questionnera les liens de l’art avec l’engagement et la contestation. On y entendra notamment l’écrivaine et cinéaste franco-chilienne Carmen Castillo, qui s’était exprimée dans Télérama au début du conflit et nous fait part à la veille de cette journée de ses espoirs et ses interrogations.

« Quand est né le mouvement, en octobre dernier, on a parlé d’estallido (« éclatement »), d’un cri d’indignation face au mépris, à l’arrogance du pouvoir. Tout le monde pensait alors qu’il allait retomber. Quatre mois plus tard, tout porte à penser qu’au contraire, cette insurrection citoyenne s’inscrit dans la longue durée. Comment la nommer ? Je me le demande chaque jour. Il ne s’agit certes pas d’une révolution – au Chili, personne n’emploie d’ailleurs ce terme —, mais c’est bien plus qu’une révolte. Lorsque je vais à Santiago, je suis frappée par l’énergie contagieuse de la jeunesse, qui contredit le pessimisme auquel m’invite mon passé militant. Si tout est fait pour que soient épargnés les fondamentaux du système néolibéral, la culture politique qui se construit dans la population est étonnante. Les assemblées territoriales sont devenues de vrais lieux de politisation. Tout le monde se met à étudier ce qu’est une constitution. De l’anarchisme ambiant, se dégagent des courants très clairement marxistes, à l’origine d’une poétique du soulèvement. Je connais un garçon de vingt-cinq ans, leader de son quartier, qui édite de petits fascicules à un euro. Des textes de Gramsci, de Walter Benjamin ou de Robert Bresson. La lecture, dans la revue Ballast, d’une analyse des textes de Georges Orwell face au fascisme m’a tellement enthousiasmée, que j’ai demandé à ma fille de la traduire en espagnol ; il l’a publiée.

En dépit de cette vie politique foisonnante, le mouvement manque d’un leader. On n’en voit pas émerger d’un mouvement historique, comme on aurait pu l’espérer. Le parti socialiste est devenu technocratique, sans aucune sensibilité à ce qui est en train de se passer. Quant à Daniel Jadue, maire charismatique et très courageux, qui a créé dans son quartier des pharmacies populaires et des lieux culturels formidables, il est communiste et trop loyal pour quitter son parti afin de prendre la tête du mouvement.

Qu’est-ce qui va donc se passer ? La constitution va-t-elle changer pour que ne rien ne change ? On n’en sait rien. Pour l’historien Gabriel Salazar, qui vient de sortir un livre sur l’armée chilienne, cette première phase peut être remportée par la classe politique ; mais ce qui viendra ensuite pourrait être plus fort. Que fera alors l’armée ? On ne sait pas. »