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mercredi 1 décembre 2010

Chili : femme ou fille des 33, elles racontent « l'enfer de la mine »

Il compile les témoignages de :
* Mónica, épouse de Florencio Ávalos, premier mineur sorti de dessous terre ;
* Maritza, la fille aînée de Victor Segovia, dit « l'écrivain » ;
* Verónica, la femme de Carlos Mamani, le mineur bolivien. 
Jour après jour, l'attente
Les trois femmes racontent, à la manière d'un journal de bord, ce qu'elles ont vécu pendant que leurs maris et père étaient enterrés à 700 mètres.
Elles vont bien au-delà de cet événement, le plus médiatisé de l'année, et décrivent le dur monde de la mine, les conditions de sécurité, les accidents à répétition et la manière dont ils sont généralement étouffés, l'origine des mineurs, leur difficile accès à l'éducation, à la santé…
Elles parlent de tout ce qui s'est passé en marge des images télévisées. Du silence au début, de l'absence des propriétaires de la mine -qui ne sont jamais venus voir les familles de leurs employés-, des salaires non payés, de la manière d'agir des responsables de l'Etat, des lettres qu'elles ont reçues, des maîtresses qui sont apparues quand on a parlé de chèques, de l'organisation autour du sauvetage, des promesses lancées devant les caméras, et de ce qu'elles deviennent…
A travers la mine, un regard sur le Chili d'aujourd'hui. L'image hi-tech qui s'est vendue et la réalité.
► 70 jours dans l'enfer de la mine sera présenté à La Maison de l'Amérique Latine (217, bvd Saint-Germain, 75007, Paris) le 8 décembre à 18h30. En voici les bonnes feuilles.
Pendant plus de deux mois, la mine San José a fait partie du quotidien de ces femmes. Elle n'a pas été pour elles une « actualité », contrairement à ce que pouvaient y voir tant d'autres, observateurs, journalistes, voire simples spectateurs de ce terrible événement : c'est que la vie d'un proche était en jeu. La vie d'un être aimé, qui se trouve exercer le métier de mineur. […]
Ce livre, qui commence le jour de leur disparition, raconte l'horreur du doute et le quotidien de l'attente des proches. L'espoir et le désespoir de ces femmes, mais surtout leur force, leur foi, la dignité dont elles ont fait preuve, unanimement, des personnes qu'on aurait pu s'attendre à trouver différentes, quel que soit leur milieu social, leur niveau d'éducation. Avec ce côté dur et tranchant mâtiné d'une infinie tendresse que donne souvent aux riches natures une vie qui ne les a pas gâtées, ces trois femmes m'ont ouvert leur cœur. Un cadeau. […]
* Mónica, 33 ans, est l'épouse de Florencio Ávalos, un mineur déjà installé dans le métier, qu'on surnomme « el capatáz » (le contremaitre) ;
* Maritza, 23 ans, est la fille de Victor Segovia, « l'écrivain », un homme qui a parcouru tous les échelons de la carrière sans avoir aucun bagage scolaire ;
* quant à Verónica, la Bolivienne de 21 ans et l'épouse de Carlos Mamani, elle porte un vivant témoignage sur sa situation d'immigrée amérindienne dans ce Chili où ni l'indianité, ni ses droits ne sont vraiment respectés.
Trois femmes, trois destins, trois milieux sociaux très différents
Mónica habite une petite bicoque proprette, dans un quartier respectable (qu'en France on dirait déshérité, mais pas à Copiapó, où il fait bonne figure), un quartier sûr. D'origine argentine, elle vient d'une famille d'agriculteurs. Sa mère a eu dix enfants et les a élevés seule.
Maritza est l'aînée des cinq filles d'un homme sorti de l'école sans même avoir terminé son primaire. Dans les entrailles de la terre, il noircit des pages de son écriture enfantine, tout en majuscules et décrit consciencieusement leur quotidien, à lui et à ses camarades : une fois sorti, il aimerait en faire un succès de librairie. […]
Verónica est Bolivienne. Elle vient du pays où les mines sont vénérées, mais bien plus dangereuses. Elle vit derrière le quartier Juan Pablo Segundo, mal famé, même en plein jour, à cause des drogués qui y traînent. Sa maison se cache derrière la décharge de cailloux où s'entassent aussi ordures et excréments humains. […] C'est aussi cela, le Chili de 2010. […]
Le rôle des médias
La présence des caméras aura sans nul doute permis la mise en place d'un véritable dispositif de sauvetage faisant appel à la technologie la plus poussée qu'ait jamais vue le grand public, mais l'attention du monde entier aura aussi créé une situation étrange, souvent malsaine : l'impression d'assister à une matinée de cirque.
Car la fascination du monde pour ce « direct » des entrailles de la terre pousse les médias à suivre, minute après minute, l'évolution de ces 33 hommes enterrés vivants.
C'est beaucoup, 700 m. Ce n'est pas qu'un chiffre. Il suffit de prendre un avion pour s'apercevoir qu'à 700 m d'altitude on ne voit plus les gens marcher dans la rue : à peine des petits points…
Fascination
Pourquoi cette attirance troublante pour ces « hommes de l'ombre » et la survie en milieu souterrain ? Sans doute parce que nous touchons à quelque chose de profondément enfoui en chacun de nous depuis toujours : la terreur de mourir étouffé, la peur du noir, l'angoisse de ne jamais plus revoir le soleil, le besoin de lumière, le fait de s'imaginer enfermé entre roc et pierre, là où le ventre de la terre est métallique et froid.
Et puis, dans une certaine mesure, le retour au ventre maternel, lequel, comme l'affirment les croyances andines (mais aussi certaines mythologies du Nord, surtout germaniques), correspond à la mort : ce voyage dans les entrailles de la mère Terre, cette descente au plus profond de soi, nous attendons qu'ils nous la livrent, nous la racontent.
Parce que nous touchons à l'essence de l'être, de tout être humain, du balayeur au Président, en passant par le mineur. […]
Jeudi 5 août
► Mónica Araya, épouse de Florencio Ávalos
Comme tous les soirs, la soupe était prête à 20h45. Un bon bouillon, un œuf poché et des légumes, parce que, lorsqu'il rentre de la mine en hiver, mon homme aime bien manger chaud. […]
C'est vers 21h30 que ma sœur Nelly m'a appelée :
« Dis-moi, il est là ton Ávalos ? »
La question m'a semblé bizarre. Je lui ai répondu :
« Florencio a du retard, il est sur le point de rentrer, mais pourquoi cette question ? »
A l'autre bout du fil, Nelly se taisait. J'ai cru que ça avait été coupé. […] « Ils parlent d'un éboulement », a ajouté Nelly. J'ai raccroché net, monté les marches quatre à quatre et allumé la télévision dans la chambre. Le communiqué était court, très court, mais il passait en boucle : un éboulement important à la mine San José.
Dans la chambre à côté, Pipe s'était réveillé. Il s'est jeté dans mes bras :
« Tu vois, tu vois, mon papa est mort ! » […]
En sortant de Copiapó, on a croisé la camionnette d'un autre frère. Il était au courant. Parce que mon frère Osmán y était lui aussi, mais également mon beau-frère Renán Ávalos et Omar, un parent éloigné qu'on appelle « l'oncle ».
Maritza Segovia, fille de Victor Segovia
Vers 21 heures, je suis rentrée chez mon père, Victor Segovia. Mes parents sont séparés -pas divorcés- depuis cinq ans. Comme mon compagnon est momentanément en prison, je vis chez mon père.
Généralement, je lui prépare quelque chose de chaud pour quand il revient de la mine. Il rentre propre : les mineurs sortent de la mine et se douchent sur place. Comme ça, à la maison, ils sont tout beaux.
J'étais en train de faire la cuisine quand j'ai vu arriver ma grand- mère paternelle et une des sœurs de mon père qui avaient l'air de souffrir le martyre. Elles ne trouvaient même pas leurs mots. J'ai pu finir par déchiffrer plus ou moins derrière leurs cris :
« Dis-nous que ton père est là, qu'il n'est pas sorti, qu'il n'est pas au travail ! Il y a eu un très grave accident, pourvu qu'il n'y soit pas ! »
Le problème, c'est que je l'avais vu, le matin, prendre le bus qui conduit à la mine. Elles se sont effondrées.
[…]
Verónica Quispe, épouse de Carlos Mamani, seul Bolivien
Je dormais. C'est mon père, à 2 heures, qui m'a appris que la mine s'était effondrée. Lui aussi est mineur, lui aussi travaille dans la mine San José. Il quittait la mine au volant du camion quand l'éboulement s'est produit juste derrière lui. Il est sorti du trou en même temps que la poussière. Il croyait qu'elle le poursuivait. Ça lui a fait une peur terrible. Une fois dehors, il s'est trouvé nez à nez avec ses chefs, qui l'ont rassuré :
« Rien de bien grave. On attend les mineurs, ils vont certainement sortir ce soir ou demain matin. »
C'était ce qu'ils disaient. Mais ils se sont trompés, et comment !
Mon père, Johnny Quispe, a voulu y retourner, mais les pierres continuaient à tomber. Il est ressorti sans faire ni une ni deux. Et au moment où il atteignait la surface, il y a eu encore un éboulement.
Ensuite, il est resté tout l'après-midi et toute la soirée sur place, parce qu'il pensait pouvoir aider. Il connaît bien la mine. D'après mon père, l'éboulement est grave, parce que c'est inimaginable ce qu'il y a comme poussière.
Il n'avait pas pu me prévenir plus tôt : le téléphone ne passe pas là-haut, à la mine. Moi, je m'étais endormie tranquille, pensant que Carlos avait pris son tour de nuit. […]
Samedi 7 août
Maritza
Je viens d'aller voir s'il y avait des bonnes nouvelles, et je me suis retrouvée avec le ministre qui faisait une tête d'enterrement. Il nous a annoncé qu'un deuxième éboulement venait de se produire, que la mine était bouchée, et il s'est mis à pleurer. Sa voix s'est brisée.
Au moment le plus critique, quand nous attendons de lui qu'il nous appuie, le voilà qui s'écroule. Ça a été une traînée de poudre : à le voir s'effondrer, on en a tous fait autant. On a tous pensé au pire. Je ressentais une rage profonde.
Dimanche 8 août
Verónica
[…] Un jour, il a entendu parler de la mine : ça rapportait pas mal, plus que le raisin. Avec les quelques économies qu'on avait faites, il s'est payé une formation de conducteur de machines à Copiapó. Ce n'était pas donné, mais au bout du compte ça permettait de se faire recruter à la mine comme diplômé et d'avoir de jolies rentrées. C'est pour ça que Carlos a fait l'investissement. Il a écrit son CV et l'a envoyé un peu partout.
Normalement, le diplôme seul, ça ouvre les portes, mais l'employeur demandait toujours de l'expérience en plus pour embaucher.
Aussi, Carlos a dû travailler pendant quatre mois l'année dernière comme simple ouvrier, sans machine, dans la petite mine Condesa, qui n'est pas très profonde et où on trouve du cuivre et de l'or, comme à San José. La sécurité était bien assurée, mais mon Carlos voulait gagner plus. Il n'avait pas payé sa formation pour rien ! Il disait :
« Je veux travailler avec la machine, en tant que conducteur, sinon ce que j'ai fait sera perdu ! »
Et puis, surtout, il veut que sa fille ne manque de rien. Quand Emily est née, ça a été le plus beau jour de sa vie. Il me dit toujours qu'il va se débrouiller pour qu'elle devienne quelqu'un, qu'elle étudie ; elle aura toujours tout ce qu'il faut, de quoi manger, des légumes, des fruits, il ne lui manquera jamais rien ! Et ça, pour Carlos, ça sera possible parce que la mine va l'aider à atteindre ce but. […]
Quand Carlos est rentré de sa première journée de travail, il m'a raconté :
« Ils disent que la mine est “mala”, mauvaise et méchante à la fois. »
Il a ajouté qu'ils étaient moins préoccupés par la sécurité que dans la mine où il avait travaillé juste avant. Ils lui avaient filé un vieux casque -dans l'autre mine, le casque était neuf-, et pas beaucoup d'explications sur les abris, les principes de sécurité. Voilà ce qu'il m'a dit. […]
Mercredi 11 août
Maritza
Papa et ses deux cousins sont des mineurs. Mais même si j'ai une confiance aveugle dans leur force, dans leur professionnalisme, je me souviens malgré tout que papa leur a demandé à eux comme à ses frères de ne plus y aller dans cette mine, d'y renoncer, de la quitter. Parce qu'elle était mauvaise, disait-il.
Elle craquait et tous les ouvriers de la mine disent que c'est sa façon de prévenir à elle. Mais la catastrophe n'avait pas eu lieu et personne n'y a plus prêté attention.
Depuis toujours, papa nous expliquait que, si un jour il arrivait un malheur, il préférerait que ça soit lui qui le subisse plutôt que sa famille. Il ne l'a pas dit une fois, mais cent depuis huit ans qu'il y travaille dans cette foutue mine !
D'ailleurs, ses deux frères l'ont écouté et ils ont donné leur démission à San Esteban. Il n'y avait que lui qui travaillait à la mine San José. Et ce qui s'est produit, c'est ce qu'il avait en quelque sorte prévu.
Aujourd'hui, c'est lui qui est dedans. Mon père est fils de mineur et tout enfant déjà il travaillait dans ce milieu. Il ne sait rien faire d'autre. Tout son savoir-faire, il l'a appris sur le tas. […]
Quand j'y repense, ça me déchire le cœur. Pour la bonne raison que ce qu'il me disait m'entrait par une oreille et me sortait par l'autre, il était là, juste à côté de nous et ça me suffisait. Il était présent.
Et maintenant je m'en veux : pourquoi ne pas lui avoir posé davantage de questions ? Pourquoi ne pas lui avoir demandé, quitte à l'exiger, d'y renoncer et de suivre l'exemple de ses frères ? Pourquoi faut-il attendre d'être confronté au pire pour se rendre compte qu'on doit réagir et ne pas laisser faire ? Est-ce que j'aurais pu faire quelque chose pour éviter cela ?
Il a vu mourir des compagnons de route, il a vu des accidents dans cette mine-là. Lui aussi a d'ailleurs été victime d'un accident. […] Il a gardé une énorme cicatrice qui lui monte du ventre à la poitrine, jusqu'aux côtes.
Dimanche 22 août
Mónica
Ils sont vivants ! C'est un papier qui était attaché au bout d'une sonde qui le confirme. C'est le plus ancien des mineurs qui l'a écrit : nous sommes tous vivants, les 33. C'est Pablo, un ami de mon mari, qui a appelé mon grand fils, Alex.
« Maman, Pablo dit qu'il y a un message au bout du marteau ! »
Il devait être 6 heures du matin. J'ai dégusté la nouvelle toute seule, sous ma tente. C'est un moment trop intime pour le partager. Seule, je me sens forte. J'ai rendu grâce à Dieu.
Je voulais être sûre que ce qu'Alex m'avait annoncé était bien vrai. Mais il a fallu attendre… L'annonce officielle a eu lieu en début d'après-midi. C'est le président de la République qui nous a montré le papier et la lettre de Mario Gómez, le plus ancien du groupe, en souriant aux caméras. L'émotion. Et encore l'émotion.
On a tous pleuré, certains criaient, hurlaient même. Moi, mon émotion est silencieuse. Le cauchemar est bel et bien fini, ils sont tous vivants ! Par contre, ce qui me choque c'est qu'ils auraient pu nous tenir au courant plus tôt quand même, nous les familles des mineurs !
Il a fallu attendre que le Président prenne sa douche, s'habille, s'arrange, se parfume et prenne l'avion pour que nous ayons les détails de ce qui s'était passé.
Le soir même, ils ont envoyé une caméra au fond. Une caméra pour les filmer. C'était très émouvant de « descendre » dans le noir avec cette caméra, de chercher partout une image reconnaissable et de voir apparaître, soudain, deux yeux, un casque.
Mon beau-père a dit qu'il avait reconnu son fils, mon Florencio. Mais ce n'est pas lui. Mon grand fils Alex est furieux. Ce n'est pas du tout son visage !
Jeudi 26 août
Maritza
La première lettre de papa me déchire le cœur : il ne dit rien sur ce qu'il a éprouvé, sur le fait d'avoir partagé très peu de nourriture avec les autres mineurs, mais il raconte quelle angoisse l'étreignait à voir passer les jours, et, quand il examinait son corps, à remarquer que ses côtes devenaient de plus en plus saillantes.
Quand je pense qu'ils ont dû résister pendant dix-sept jours en ne mangeant que toutes les 48 heures deux cuillerées d'un poisson en boîte (le jurel, très bon marché) et un demi-verre de lait par tête. Plus, de temps à autre, un gâteau sec et une pêche au sirop.
L'eau, ils pouvaient la trouver dans des réservoirs du gisement. Deux boîtes de vivres à se partager. Résultat : papa a perdu plus de vingt kilos.
J'admire ce qu'ils ont réussi à faire : partager, résister, manger le minimum. Et survivre, alors qu'ils savaient que la mine s'était refermée sur eux, en tentant de nous envoyer, par les pensées, un message d'espoir. Papa me l'a écrit :
« J'étais désespéré parce que je voulais que vous sachiez que j'allais bien, qu'il ne fallait pas vous en faire, ne pas pleurer surtout. Que j'allais survivre jusqu'à ce qu'on me trouve, et qu'on serait de nouveau réunis. »
Vendredi 27 août
Mónica
Mon Florencio va toujours travailler dans les mines. Même une fois qu'il sera sorti de ce cauchemar. Il n'ira pas dans celle- ci, mais dans une autre. La mine, c'est toute sa vie. Il aime ce travail.
D'ailleurs, notre grand fils Alex veut faire la même chose. Il lui ressemble. Quand l'accident a eu lieu, il m'a avoué :
« Ça arrive, c'est vrai, mais moi aussi je veux étudier pour travailler dans les mines ! »
Nos deux garçons ont beaucoup mûri pendant ce drame. Ça a agi comme un coup de massue. Mais un coup qui les a fait grandir plus vite. Trop vite peut-être. Ce ne sont plus des enfants. Nous n'avons jamais rien caché au petit Pipe qui, du haut de ses 7 ans, a compris pas mal de choses. Les risques, la fragilité de la vie, la mort… […]
Lundi 27 septembre
Maritza
Les lettres de papa abondent en détails. On découvre par exemple qu'ils font beaucoup d'exercices pour renforcer les muscles des pieds. Parce que, une fois enfermés dans la capsule, debout, et pendant toute l'ascension dans le tube, qu'on estime à environ vingt minutes, ils vont avoir à solliciter leurs pieds, semble-t-il.
Ils apprennent aussi à respirer pour éviter des incidents cardiaques et pouvoir éventuellement prévenir une crise de panique. Tout le temps du trajet, ils sont contrôlés de A à Z. Une sangle autour du thorax mesure l'oxygène qu'ils inhalent, les pulsations du cœur, tout. Ça paraît irréel. N'empêche qu'ils peuvent tomber dans les pommes, décompenser, que les nerfs peuvent lâcher…
Mercredi 29 septembre
Maritza
Mon père écrit qu'il se blinde en quelque sorte contre les cauchemars à venir quand il se souviendra de ce que c'est que de vivre sous terre aussi longtemps. Les psychologues nous le répètent : cette épreuve ne se termine pas une fois le captif rendu à l'air libre.
D'ailleurs, ils soulignent bien que les médecins seront là pour les suivre, et nous aider nous aussi, jusqu'à ce que le calme intérieur soit revenu. Et que tout se termine bien.
Pas question de sortir, de faire un petit tour à l'hôpital et de regagner son petit chez-soi ! Ça me rassure. Il faut dire que les médecins ont été formidables avec les mineurs : ils ont réponse à tout, quels que soient la maladie ou le bobo. Des crèmes, des cachets. Tout. Et que ça fasse ou pas partie du spectacle m'importe peu. Ce que je veux c'est qu'il soit bien, qu'on le sorte vite et le voir le plus tôt possible à la maison.
Jeudi 30 septembre
Mónica
Nous avons attaqué l'Etat et San Esteban et demandons un million de dollars pour dommages et intérêts. Quand je dis nous, je veux parler des 27 familles sur les 33 qui ont engagé un avocat. Le gouvernement chilien a très mal pris que nous ayons porté plainte contre l'Etat. Ils sont très fâchés, en haut lieu. On a même reçu des insultes.
Sur Internet, quelqu'un a écrit :
« Ce sont des chiens, ils mangent, se remplissent la panse, puis attaquent celui qui leur a donné à manger. »
Ils ne se rendent pas compte que, si les organismes de contrôle de l'Etat -et le Sernageomin (Service national de géologie et des mines) entre autres- avaient fait leur travail, tout ça ne serait jamais arrivé ! Ce sont les institutions de l'Etat qui ont donné l'ordre de rouvrir la mine, alors qu'ils savaient qu'elle laissait à désirer…
Les responsables sont bel et bien l'Etat et l'entreprise San Esteban. Ils sont en colère ? Mais de quoi parle-t-on ? L'Etat n'a pas été ferme, n'a pas joué son rôle. Et si le gouvernement a fait tout ce qu'il a fait depuis le 5 août, c'est parce que c'est son devoir. Pas pour nos beaux yeux !
Le Président Piñera a fait des déclarations, depuis déjà plusieurs semaines, soulignant que les mineurs recevraient tous leur paye. Mais la vérité, c'est que les salaires ne sont pas intégralement versés. […]
Verónica
Mon Emily est très malade. Elle pleure tout le temps parce qu'elle a des champignons dans la bouche et le nez bouché qui l'empêche de respirer et une très mauvaise toux. C'est à cause du mauvais temps qu'il fait à la mine. Comme j'y suis tout le temps et qu'elle est avec moi, elle a attrapé du mal.
Je l'ai emmenée au Samu, parce que ce n'est pas cher, et ils m'ont diagnostiqué des champignons et quelque chose de mauvais dans les bronches. Ils m'ont conseillé d'aller voir un pédiatre au centre-ville parce qu'à l'hôpital, c'est une journée d'attente… J'y suis allée.
Mais quand la standardiste m'a dit le prix, 20 000 pesos (30 euros), j'ai hésité. Le médecin, un Equatorien, m'a donné une crème, un sirop pour la toux et un inhalateur. 52 000 pesos supplémentaires (85 euros).
La santé c'est affreusement cher. Si tu ne peux pas payer, tu crèves. Moi je m'endette s'il le faut. Mais la santé de ma petite fille est trop importante pour que je prenne un risque.