Le dossier porte sur la disparition le 11 septembre 1973 du Français Georges Klein, conseiller au cabinet du président socialiste Salvador Allende, renversé ce jour-là par la junte militaire conduite par Augusto Pinochet. Les disparitions d'Etienne Pesle le 19 septembre 1973 et de deux membres du Mouvement de la gauche révolutionnaire (Mir), Alphonse Chanfreau, le 30 juillet 1974, et Jean-Yves Claudet-Fernandez, le 1er novembre 1975, également français, sont aussi examinées. Les accusés, dont plusieurs membres de la junte militaire au pouvoir au Chili de 1973 à 1990, ne sont ni présents ni représentés par des avocats. La justice a toutefois tenu à organiser et même à filmer par décision spéciale cette audience, pour en faire le premier procès mondial du régime.
«Après 37 ans de démarches, nous sommes soulagés que la justice française se réveille pour défendre et rendre ses droits à un citoyen français», a dit à Reuters Roberto Pesle, fils d'Etienne Pesle. Bernard Chanfreau, frère du disparu, dit attendre «un procès honnête, qui puisse faire pression sur les criminels et faire qu'ils soient châtiés un jour». «Ils sont au Chili dans des prisons dorées, en résidence surveillée, mais il faut qu'ils payent», a-t-il ajouté. Les familles des victimes, qui ont lancé l'affaire par des plaintes en 1998, ont dit leur souhait d'obtenir une condamnation, même si elle restait symbolique. Car la portée en sera limitée, le Chili n'extradant pas ses ressortissants. La salle s'est remplie de Chiliens, cités comme témoins, et une trentaine de dépositions est attendue. Le président de la cour d'assises, Hervé Stéphan, a appelé en vain les accusés. Le procès va donc se tenir par défaut et le dossier sera jugé par trois magistrats professionnels, sans jurés. Comme prévu, les accusés ont renoncé à se faire représenter par un avocat, niant à la justice française le droit de les poursuivre.
Des criminels absents
Lue à l'audience, l'ordonnance renvoyant les suspects en cour d'assises, rendue en 2007, a conclu à la nature criminelle du régime militaire. «L'instruction a réuni de nombreuses pièces qui permettent d'établir que le président Augusto Pinochet, qui dirigeait directement la police secrète du régime, la Dina, a conduit une politique tendant à éliminer et faire disparaître des adversaires politiques», peut-on lire. La dictature a fait 3197 morts et disparus, selon un rapport officiel remis au Chili en 1991, qui a aussi constaté la pratique systématique de la torture. Mis en cause dans la procédure ouverte en 1998, quand il était retenu à Londres à la demande de la justice espagnole, Augusto Pinochet fut visé par un mandat d'arrêt français, avant de mourir libre en 2006 à 91 ans dans son pays. Londres l'avait laissé partir en 2000 après 503 jours d'assignation à résidence. Le principal accusé est Manuel Contreras, 81 ans, ancien chef de la Dina de Pinochet. Interrogé lors de l'instruction dans son pays, où il est détenu, il a nié connaître les disparus et dit avoir agi légalement. Quatre autres accusés en France sont morts avant le procès.
Alors que des militaires sont désignés pour les disparitions de Georges Klein et Etienne Pesle, Alphonse Chanfreau aurait été séquestré et torturé à la colonie «Dignidad», une secte située dans la cordillère des Andes et dirigée par un ancien Nazi, Paul Schaeffer, aujourd'hui décédé. L'enquête a en outre conclu que Jean-Yves Claudet-Fernandez avait été enlevé en Argentine, à Buenos Aires, sans doute dans le cadre du «plan Condor», vaste opération d'assassinats d'opposants mise au point par plusieurs dictatures d'Amérique latine, dont le Chili. Une circulaire du département d'État américain aux ambassades du 23 août 1976 montrant que les États-Unis connaissaient l'existence du «plan Condor» figure au dossier. Cette enquête française a vu l'ancien secrétaire d'État Henry Kissinger quitter Paris précipitamment en 2001, deux policiers français lui ayant apporté une convocation du juge français. Le verdict est attendu le 17 décembre.