Catégorie

mardi 19 novembre 2013

LES MAPUCHE UN PEUPLE TOUJOURS EN QUÊTE DE SA TERRE ET DE LA LIBERTÉ

[ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ]           
MASQUE ANTHROPOMORPHE.
« KOLLÓN » CULTURE MAPUCHE 1532
Peuple originaire du Chili, les Mapuche ont toujours été marginalisés, discriminés. Les autorités les ont dépouillés de leurs territoires ancestraux au profit des multinationales. Après les élections générales d’hier, le prochain gouvernement saura-t-il solder cette dette historique ?
Temuco (Chili), envoyée spéciale. Les Mapuche ont coutume d’ériger un Rehue sur des lieux purs pour y tenir leurs cérémonies spirituelles. Cette sculpture en bois représente l’être et l’univers complexe de ces Indiens, peuple premier du Chili. Mais le Rehue dressé sur la zone aéroportuaire de Temuco, capitale de l’Auracanie et des Mapuche, a quelque chose de différent.

«Il est politique », déclare avec insistance, Maria Rapiman, présidente de l’une des communautés où vivent 180 familles. En 2005, avec ses semblables qui composent le territoire de Mahuende, ils ont décidé de reprendre leurs droits. « Nous avons occupé l’aéroport car les terres sur lesquelles il a été construit nous appartiennent, raconte la responsable. L’État a expulsé les familles qui étaient là et les a replacées dans des parcs protégés où elles ne peuvent même pas arracher un arbre. » Un drame pour les Mapuche, littéralement « les gens de la terre », qui vivent de l’agriculture vivrière et du petit élevage. « Nous avons construit des barricades, poursuit-elle. Durant une semaine, nous avons affronté l’armée de l’air. »


[ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ]         
PONCHO MAPUCHE. L’EXPOSITION ITINÉRANTE « MAPUCHE: SEMENCES DU CHILI » FUT EXPOSÉE DANS DE GRANDES VILLES TELLES QUE PÉKIN ET BOGOTÁ AVANT D’ARRIVER À MADRID

Au terme de ce face-à-face, une convention a certes été signée mais, depuis, les 7,99 hectares disputés n’ont toujours pas été restitués. « Nous ne nous laisserons pas faire. Le Mapuche ne renonce pas », prévient Maria Rapiman qui, à l’école déjà, ripostait à chacune des insultes racistes des « Winkas » (ceux qui ne sont pas Mapuche), qui la traitaient de « mangeuse de cheval ». Ce racisme gangrène encore la société qui les marginalise, en dépit d’un combat historique pour la reconnaissance de leurs traditions et la restitution de leurs terres. Ils ont débouté la domination inca puis les colons espagnols, contraignant le royaume à leur accorder, en 1641, leur indépendance territoriale, du fleuve Bio-Bio jusqu’à la pointe du Chili. Mais après la guerre d’indépendance, en 1818, le prétendu traité signé avec les autorités de l’époque s’est soldé par une spoliation de 95 % de leurs territoires. L’État leur concède alors quelque 500 000 hectares et des titres de propriété, indispensables aujourd’hui pour faire valoir leurs droits. Seul répit, les réformes agraires du gouvernement d’Eduardo Frei mais surtout de l’Unité populaire du socialiste Salvador Allende et sa loi indigène qui leur rendra près de 200 000 hectares. La dictature de Pinochet se chargera de pulvériser cette amorce de justice, en ravalant au rang d’indésirables les Auracas. Près de 60 % des détenus et des disparus de cette région sont des Mapuche.


[ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ]         
« RÉSISTANCE MAPUCHE », POCHOIR SUR UN MUR DE SANTIAGO DU CHILI.

Le modèle néolibéral de privatisation des ressources naturelles mis en place par le dictateur et accentué par les gouvernements de la Concertation (coalition de centre gauche) n’a cessé de ronger leur contrée. « Les multinationales et les compagnies étrangères ont fait main basse sur les forêts, les sources hydrauliques et les routes », déclare Marileo Domingo, président de l’Assemblée nationale des Mapuche de gauche. Si Temuco a échappé à ce bradage à prix modique, « dans le Sud, l’agriculture a été dévastée par l’exploitation intensive de compagnies forestières aux conséquences dramatiques pour l’environnement », chassant par là même des milliers de Mapuche. D’autres ont vendu leur âme, considère le responsable politique. « Ils se sont accommodés de la situation, en cédant leurs terres à bon compte au mépris de leur communauté. Certains préfèrent être subordonnés et se laissent acheter », ajoute-t-il.

[ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ]
« RÉSISTANCE MAPUCHE », POCHOIR SUR UN MUR DE SANTIAGO DU CHILI.


Sur les murs du local de l’Assemblée, des posters du président bolivien, Evo Morales, rappellent combien l’élection de cet Indien a soulevé un espoir pour les peuples originaires dépourvus de reconnaissance sociale et politique. Ils n’en défendent pas moins l’autonomie de leur territoire jusqu’à en mourir. Ces dernières années, plusieurs dirigeants indiens ont été tués par les forces de l’ordre, chargées de défendre les exploitations illégales des multinationales. Sous le gouvernement de la présidente Michelle Bachelet (2006-2010), grande favorite de l’élection d’hier, la Concertation a imposé la très critiquée loi antiterroriste d’Augusto Pinochet qui criminalise l’action sociale et qui sanctionne pénalement plus lourdement les Mapuche que le reste des citoyens. Depuis, « le gouvernement de droite a poursuivi cette violence d’État, précise Marileo Domingo. Ce climat de terreur ne résout pas le problème de fond qu’est la restitution de nos terres. Dans une société démocratique et saine, les droits fondamentaux ne peuvent pas être bafoués. »

En août, l’ONU a rappelé à l’ordre les autorités, en exigeant la levée de la loi antiterroriste et l’application de la convention 169 de l’Organisation internationale du travail, signée en 2007 par Michelle Bachelet, relative aux droits des peuples originaires. Depuis, la campagne des élections générales du 17 novembre a ouvert des portes. «  Au sein du front indigène, nous avons élaboré des propositions reprises dans le programme de Michelle Bachelet comme la création d’un ministère des Affaires indigènes et d’un conseil lonko (chefs des communautés). Une nouvelle Constitution reconnaîtrait l’existence d’un État pluriculturel  », soutient le socialiste Daniel Neculpan. Mais à ses yeux il faut également que « le budget alloué aux communautés mapuche, de 0,03 %, soit considérablement supérieur » pour indemniser les familles dépouillées. « L’État dit que cela coûte trop cher, mais lorsqu’ils ont construit la Panaméricaine, ou encore les chemins de fer sur nos terres, sans notre avis, ont-ils pensé aux préjudices ? » fait mine d’interroger Maria Rapiman, pour qui « la Terre mère, celle qui nourrit, est sacrée ». Sans elle, il n’y a pas de vie possible en territoire mapuche.
Cathy Ceïbe