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mercredi 27 novembre 2013

LE CHILI TENTE UN MODÈLE SOCIAL À LA SCANDINAVE

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UN SUPPORTER DE LA PRÉSIDENTE CHILIENNE MICHELLE BACHELET S'EST FAIT TATOUER SON PORTRAIT SUR SA CUISSE, LE 17 NOVEMBRE 2013. PHOTO CLAUDIO REYES

Michelle Bachelet redeviendra en décembre la présidente du Chili. Avec pour priorité la satisfaction des classes moyennes et, en ligne de mire, le modèle suédois.
par Anthony Bellanger

Élue confortablement, Michelle Bachelet pourra compter sur une majorité nette dans les deux chambres. Elle a même frôlé l’élection au premier tour avec 46,7 % des suffrages. La moitié de ce résultat donnerait des palpitations aux socialistes français. Pourtant, ses partisans faisaient grise mine au lendemain du premier tour.

Une déception qui se résume à trois chiffres : la candidate de la droite, Evelyn Matthei, a obtenu un quart des suffrages, le double de ce qu’on lui prédisait; la moitié des Chiliens s’est abstenue ; elle n’aura pas la majorité des deux tiers à l’Assemblée et au Sénat. Or cette super-majorité lui était indispensable pour réformer en profondeur une Constitution directement héritée de Pinochet.


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MICHELLE BACHELET . PHOTO RODRIGO LÓPEZ PORCILE
Pourquoi les électeurs ont-ils été si discourtois avec une femme dont la popularité internationale est si grande ? D’abord, parce que les Chiliens ont de la mémoire. Ils se souviennent de la première présidence de Michelle Bachelet entre 2006 et 2010, et de son bilan, disons, socialement mitigé. Elle a certes renforcé le système des retraites et amélioré la couverture sociale des plus démunis mais a échoué sur un point crucial : l’éducation.

C’est sous sa présidence que les premières manifestations étudiantes ont éclaté. Ce à quoi elle a répondu par une loi éducative plus généreuse. Mais c’était très tard et surtout trop peu. Inutile de préciser que le président de droite qui lui a succédé, Sebastián Piñera, a peu amélioré l’ordinaire des étudiants. Un tel immobilisme s’explique très bien : la gauche sud-américaine a été – à juste titre – obnubilée par le sort des plus pauvres.


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MICHELLE BACHELET . PHOTO RODRIGO LÓPEZ PORCILE
Du Brésil au Chili, de l’Argentine au Pérou, tous les gouvernements de gauche ont ciblé les plus démunis. En chemin, ils ont zappé une classe moyenne en plein essor et exigeante. Et que veut cette petite bourgeoisie industrieuse ? Elle veut la Suède ! A savoir des écoles gratuites, la santé pour tous et des transports publics de qualité. Au Brésil, ça a donné les manifestations de juin 2013 contre la cherté et la mauvaise qualité des transports. Au Chili, d’immenses rassemblements et des grèves étudiantes pour la gratuité de l’éducation.

Dans toute l’Amérique latine, les universités sont privées et chères : en moyenne 4 300 € par an en Colombie, près de 5 000 € en Argentine et 8 400 € au Chili. Le tout financé par des prêts étudiants à des taux… sud-américains. Or, après vingt ans de croissance à 4 ou 5 % dans toute la région, cette classe moyenne veut aussi profiter de la richesse accumulée. En clair, elle veut passer de la charité (s’occuper des plus pauvres) à la solidarité (redistribuer). Sauf que rien n’est prêt pour ce saut qualitatif.


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MICHELLE BACHELET . PHOTO RODRIGO LÓPEZ PORCILE
Les grandes économies sudaméricaines sont encore largement marquées par un néolibéralisme sans frein ou presque. Tout est à inventer et les élites locales sont très réticentes. C’est le sens du vote chilien : la classe moyenne (ceux qui votent) doute de la volonté des élites (ceux qui sont élus) de la satisfaire. Elle doute de Dilma Rousseff au Brésil et de Michelle Bachelet au Chili. La chance de ce pays est d’avoir les moyens d’une telle révolution. Les moyens financiers d’abord. Et les moyens personnels d’une “jefa” (“une chef”) qui a passé trois ans à la tête de l’ONU Femmes où, justement, le modèle était scandinave.