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lundi 20 décembre 2010

TORTIONNAIRES CHILIENS JUGÉS À PARIS : UN PROCÈS EXEMPLAIRE

 
La sœur d'une victime m'a raconté ce drôle de procès, où les accusés étaient absents et où un tribunal attentif a su restituer les parcours de ces militants de gauche.

En 1998, lorsque Augusto Pinochet se trouvait « en clinique » à Londres, le juge Roger Le Loire avait mis le dictateur en examen, lançant contre lui un mandat d'arrêt international au nom des familles de disparus. Douze années plus tard, ces familles ont pu enfin voir se dérouler un procès digne de ce nom.

La disparition ne figurant pas au code pénal, les accusés ont été jugés pour arrestation et séquestration arbitraire, accompagnées de tortures et actes de barbarie sur Jean-Yves Claudet, Alphonse Chanfreau, Etienne Pesle et Georges Klein.

Lourdes condamnations et « verdict historique »


Le 17 décembre, la cour d'assises de Paris a prononcé treize condamnations. Les deux chefs de la Direction du renseignement national (Dina), les généraux Manuel Contreras et Pedro Espinoza, ont été condamnés à la prison à vie. Onze autres officiers ou agents de la répression ont été condamnés à des peines de quinze à trente ans.

Pour Claude Katz, avocat de la Fédération international des droits de l'homme, qui s'est constituée partie civile, ce « verdict historique » représente « la victoire du droit sur la barbarie ».

Le procès s'est tenu en l'absence des accusés : le Chili, où les faits commis pendant la dictature ont été amnistiés, a annoncé qu'il n'extraderait pas ses ressortissants. N'empêche, la sentence du tribunal français empêchera ces criminels de sortir du Chili.

Jacqueline Claudet est la sœur de Jean-Yves Claudet, l'un des quatre disparus. Pour elle, ce procès marque un tournant, et ne se résume pas à un acte politique.Elle nous parle également de sa dimension humaine, du besoin de justice qu'elle ressent.

Jacqueline, comme son frère, militaient au Mouvement de la gauche révolutionnaire (MIR), soutien d'Allende. Grâce à l'appui de l'ambassade de France, elle est arrivée à Paris en 1974.

Votre frère n'a pas disparu au Chili ?

Mon frère avait été jeté en prison à deux reprises en 1973. D'abord, il a été enfermé pendant quelques semaines dans le Stade national qui servait de centre de détention et de torture, d'où il est sorti complètement cassé, au propre et au figuré.

Alors qu'il était encore convalescent, ils sont encore venus le chercher. Il est resté à la Penitencería de Santiago jusqu'en novembre 1974. C'est à cette date qu'il a été expulsé du Chili, et l'ambassade de France l'a rapatrié avec femme et enfant, comme elle l'avait fait avec moi un an plus tôt.

Mais Jean-Yves Claudet va poursuivre sa participation au mouvement de résistance à la dictature…

En juin 1975, il part en Argentine où s'organise l'opposition à Pinochet. Il me dit d'abord qu'il part au Canada. Quelques mois après, en octobre 1975, il passe en France, mais repart très vite.

Ce n'est qu'un mois plus tard que j'apprends qu'il est tombé dans les mains des militaires argentins dès son arrivée à Buenos Aires, fin octobre. Ils sont allés le cueillir à l'hôtel. Nous n'avons plus jamais eu de nouvelles.

Que s'est-il passé ?

Les amis de Jean-Yves lui ont fait passer l'information de ne pas se rendre en Argentine, mais le message est arrivé trop tard.

Comment avez-vous réagi ?

La compagne de Jean-Yves avait peur. Mais elle a vite écrit à la chancellerie et au président de la République français. Elle a aussi appelé l'ambassade de France en Argentine. Sans résultat. Bien plus tard, nous avons appris que l'hôtel dans lequel il était descendu était très contrôlé par les autorités répressives, et que le concierge comme les propriétaires avaient également disparu.

Quand l'espoir de pouvoir amener votre histoire dramatique devant un tribunal est-il né ?

Lorsque Pinochet tombe, à Londres, en 1998. Le Chili est en démocratie, et ne peut plus cacher ce que la dictature a fait aux opposants politiques. Nous avons déposé une plainte.

Le juge d'instruction, Roger Le Loire, a démarré une instruction longue et minutieuse. Pendant cinq ans, il a mené son enquête en profondeur malgré bien des écueils. Mais il a été muté.

Quand est-ce que le cours de la justice a repris son cours ?

Nous avons appris en février que le procès reprenait en décembre 2010, et que les accusés en seraient absents. Il est vrai que la plupart sont en prison, aujourd'hui, pour d'autres crimes.

Mais ce qui frappe, c'est la manière dont ils affichent avec insolence leur totale indifférence vis-à-vis de ce qu'ils ont fait et de ce procès en particulier. Seul l'accusé civil a pensé à convoquer un avocat pour se défendre, et éviter que la justice internationale l'empêche de sortir du Chili.

Que ressentez-vous devant cette attitude ?

Ce qui m'importe c'est que la justice les regarde, les juge, que ce qu'ils ont fait soit mis par écrit, noir sur blanc, une fois pour toutes. Sinon, l'histoire des disparus, celle de mon frère comme de bien d'autres, reste comme suspendue en l'air.

Ça fait longtemps que j'ai dépassé l'envie de les insulter ou de me venger. La justice va bien au-delà de cela.

Ils n'en valent pas la peine ?

La sentence de la justice, c'est ça l'important. Ils ne pourront plus jamais sortir du pays, ils seront à tout jamais « enfermés » dans leurs frontières.

Et puis, ce tribunal s'est montré respectueux vis-à-vis de toutes les familles de détenus et disparus. Nous pensions tous que ce serait affreux, nous avions peur que le procès soit affreusement froid, administratif et déshumanisé.

Mais c'est tout le contraire qui s'est produit. Le juge s'est adapté au fait que les témoins venaient de partout dans le monde, il s'est montré souple, profondément humain. Sans oublier nos avocats qui nous accompagnent depuis douze ans.

Quel sentiment éprouvez-vous en sortant de ce procès ?

Une sensation de soulagement. D'avoir pu partager notre immense peine, notre douleur, d'avoir été entendus. D'avoir mis un terme au discours de ces assassins qui légitimaient leurs actions en mettant en avant des valeurs morales qu'ils ont, en fait, bafouées. Niées.

La force du verdict ?

Ce verdict -des peines qui vont de quinze ans de réclusion à la prison à perpétuité- ne nous ramènera pas nos être chers, nous ne savons toujours pas où se trouvent leurs corps, leurs restes. Mais ce procès en France aura eu une résonance internationale importante. Et il aura sans doute des effets à retardement sur la justice chilienne.

Photos : les quatre Franco-Chiliens assassinés pendant la dictature de Pinochet (DR)
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