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JEAN SALEM, EN NOVEMBRE 2009. PHOTO OLIVIER ROLLER. DIVERGENCE |
Décédé dans la nuit de samedi à dimanche à l'âge de 65 ans, le philosophe, pilier de la Sorbonne, était un expert mondialement reconnu de Démocrite, Epicure ou Lucrèce. Fidèle aux idéaux de Marx, il dénonçait la perte de repères d'une gauche envoûtée par les sirènes libérales.
JEAN SALEM, EN NOVEMBRE 2009. PHOTO OLIVIER ROLLER |
Fils d’Henri Alleg
HENRI ALLEG28 AVRIL 1958 GETTYIMAGES |
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JEAN SALEM, SA MÈRE ET SON PÈRE, HENRI ALLEG, À ALGER, EN 1964. PHOTO COLLECTION PARTICULIÈRE |
Optimisme
Cela n’a pas été toujours facile, pour Jean Salem, d’être le fils d’Henri Alleg. Non parce que l’héritage aurait été lourd. Il l’a, au contraire, porté avec fierté, faisant siens ses valeurs, ses principes moraux, ses convictions de communiste, combattant pour la justice sociale et la paix. Mais parce que toute sa jeunesse, il a eu à vivre ses absences, suivre ses itinérances, «être» tantôt algérien, tantôt russe, tantôt français. Il est d’abord hébergé à Tarascon, chez sa grand-mère, puis, «téléporté», il se retrouve avec les siens à Prague, loge «dans un hôtel qui s’appelait un peu pompeusement l’"hôtel Palace"», en fait l’«hôtel du Parti», puis «dans une sorte de HLM» à Novi Hloubětín. Il est inscrit à l’école de l’ambassade soviétique, où l’enseignement est donné en langue russe. Au bout de trois mois, il arrive à manier la langue. Ses parents voyagent à Cuba et dans l’Algérie indépendante. Jean, accompagné de son frère, est d’abord placé dans «le "camp" de pionniers» d’Artek, sur la mer Noire (Crimée), semblable à un camp de scouts. Puis il est confié à la Maison internationale de l’enfance, à Ivanovo, 250 kilomètres au nord-est de Moscou – un internat où étaient accueillis les enfants de communistes pourchassés dans leurs pays. Quelques mois après, adolescent, il est «redéposé» en Provence, pour enfin, en 1964, retrouver ses parents en Algérie.
Jean connaîtra bien d’autres «ballottements» et «voyages autour de sa chambre», avant de devenir, des années plus tard, un globe-trotteur quasiment professionnel. Il a comme une soif de «cosmopolitisme» (visite tout, Israël, Maghreb, Inde, Sri Lanka, Turquie, pays européens, Russie encore et toujours, Corée du Sud, Venezuela, Chine…) qu’accompagnent la soif de lire (on se demande s’il y a un livre qu’il n’ait pas lu, de la littérature gréco-latine, française, latino-américaine, russe, italienne…) et l’amour de l’art… Pendant ses études, il hésite – égyptologie, sciences politiques, histoire de l’art, médecine – avant d’opter pour la philosophie, devenir professeur au lycée de Fourmies (Nord), et, pendant les vacances, guider les touristes français au musée Pouchkine de Moscou ou à la galerie Tretiakov, et des touristes russes à Venise ou Florence. A l’université, il aurait voulu, bien sûr, faire la «6 000e thèse» sur Marx : c’est Marcel Conche qui le convainc de la consacrer plutôt à l’Ethique épicurienne d’après Epicure et Lucrèce.
Dans l’épicurisme, Salem retrouve «le matérialisme philosophique de Marx, la causticité de Marx, la santé et la tonicité de Marx, un immense optimisme naturaliste, mais agrémentés d’un évident pessimisme anthropologique et d’une invitation à l’abstention politique». L’optimisme, il le fera toujours sien, car rien ne freinera sa recherche du bonheur, indissolublement liée à l’établissement de la justice sociale. L’«abstention politique», il ne la connaîtra guère, mais ses combats lui paraîtront avoir été désespérés par ce qu’il appelle les «années de plomb», ces années qu’ouvre la « mitterrandôlatrie », pendant lesquelles la gauche, envoûtée par les sirènes libérales, perd son âme, et, par une sorte de «détestation de soi», liquide « ce qui restait du mouvement communiste ». Enfant, il avait, à Alger, des lapins et une tortue qu’il avait baptisée du prénom russe de Valentina – «en l’honneur de Valentina Terechkova, la première femme cosmonaute».